top of page
Portrait%20sans%20photo_edited.jpg

Paren(thèse)

Auteur·e·s

Florence Claveau-Roy

Publié le :

28 août 2023

Le Pigeon dissident interroge un·e ancien·ne étudiant·e ayant complété un mémoire de recherche ou une thèse de doctorat à l'Université de Montréal. L'objectif de l'entretien est de s’intéresser au sujet de recherche de ce·tte chercheur·euse, en plus de retracer les grandes lignes de son parcours universitaire et professionnel.

« … le concept d’intersectionnalité politique souligne le fait que les femmes autochtones font partie d’au moins deux groupes marginalisés qui ont parfois des objectifs politiques divergents. Cette réalité traduit donc l’importance pour les femmes autochtones d’articuler un discours qui leur est propre et de se voir reconnaître la légitimité pour le diffuser. » p. 18

Thèse

Femmes autochtones et intersectionnalité : féminisme autochtone et le discours libéral des droits de la personne

Sarah-Maude Belleville-Chenard


Sujet : Féminisme et revendications autochtones

Directeur de recherche : Jean Leclair


« Féminisme et revendications autochtones sont-ils nécessairement antinomiques? […] N’est-ce pas plutôt un problème de rapports de pouvoir à l’extérieur, mais également à l’intérieur, des communautés? » (p. iv)


Ce mémoire cherche à illustrer, à partir de la théorie de l’intersectionnalité, comment les femmes autochtones, parce qu’elles sont la somme de deux groupes marginalisés dans la société canadienne, ont des revendications qui leur sont propres. Par conséquent, elles doivent avoir une tribune particulière sur le plan politique, autant à l’intérieur de leurs communautés qu’au sein de la société canadienne. Les prochains paragraphes mettent l’accent sur certains thèmes explorés par Sarah-Maude Belleville-Chenard dans son mémoire.


AVANT-PROPOS 
La question de la légitimité d’effectuer des recherches en droit autochtone sans faire partie d'une communauté a accompagné Sarah-Maude tout au long de ses recherches. À la suggestion de son directeur de recherche, elle a rédigé un avant-propos pour préciser d'où elle venait. Comme nos expériences influencent la façon dont nous réfléchissons et dont nous voyons le monde, elle y aborde sa propre ignorance face aux revendications des peuples autochtones. Sarah-Maude mentionne les points en commun qu'elle partage avec les femmes autochtones tout en précisant qu'elle se penche sur son sujet d'un point de vue extérieur.


Loi sur les Indiens

À l’origine et pendant plusieurs décennies, la Loi sur les Indiens était sexiste. Par exemple, de 1951 à 1985, l’art 12(1) (b) de la loi enlevait le statut d’Indienne aux femmes qui se mariaient avec un non-Indien, ainsi qu’à leurs enfants mineurs ou à naître. Encore aujourd’hui, malgré plusieurs ajustements apportés à cette loi, les femmes autochtones vivent plusieurs formes d’oppression causées par la discrimination sexuelle historique de cette loi. À titre d’exemple, plusieurs conditions de vulnérabilité exposent les femmes autochtones à des niveaux élevés de violence au sein de leurs communautés et de la société canadienne. L’existence de la Loi sur les Indiens est également remise en question puisqu’elle contient une définition du « Statut d’Indien » imposée par le gouvernement fédéral. Pour plusieurs membres de Nations autochtones, l’identité juridique des Autochtones devrait être établie par les Nations elles-mêmes. Autrement dit, plusieurs membres des communautés autochtones revendiquent le droit fondamental des peuples autochtones à l'auto-identification. Ainsi, les effets sexistes et racistes de la Loi sur les Indiens ont amené plusieurs Autochtones et non-Autochtones, d’hier à aujourd’hui, à demander son abolition.


Projet de loi C-31

Le projet de loi avait comme objectif de redonner aux femmes autochtones et à leurs enfants le statut d’Indien. Cette modification à la Loi sur les Indiens a permis la réinscription des femmes ayant perdu leur statut, ainsi que de leurs enfants au Registre des Indiens. Cette réinscription assurait également la réintégration de ces femmes et enfants dans leur bande d’origine. Enfin, ce projet de loi a aboli l’émancipation et créé la « clause limitant la deuxième génération » qui empêche de transmettre le statut après deux générations successives de mariages entre Indiens et non-Indiens. Certaines communautés autochtones ont contesté la loi C-31, notamment par crainte que les modifications à la Loi sur les Indiens empiètent sur leurs droits ancestraux.


Autodétermination

L’autodétermination des peuples autochtones se fonde sur le « droit inhérent des peuples à disposer d’eux-mêmes » (1). L’autodétermination désigne le droit d’une nation autochtone de choisir comment elle sera gouvernée. À titre d’exemple, la reconnaissance de l’autodétermination des peuples autochtones permettrait à chaque communauté de décider si elle devrait créer ses propres institutions gouvernementales ou s’incorporer aux gouvernements déjà mis en place qui regroupent tant des Autochtones que des non-Autochtones. Ainsi, la reconnaissance de l’autodétermination consacrerait le droit des peuples autochtones de prendre des décisions pour eux-mêmes et de se penser collectivement de manière autonome.

(1) Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 RCS 217 au para 114


AFAC c. Canada

Dans les années 1990, l’Association des femmes autochtones du Canada (AFAC) est allée devant les tribunaux pour se faire reconnaître le droit de représenter les femmes autochtones dans le cadre des discussions menant à la signature de l’Accord de Charlottetown. Les groupes autochtones étaient alors invités à la table de négociation puisqu’une des propositions de l’accord était de consacrer le droit à l’autonomie gouvernementale autochtone dans la Constitution. Or, l’AFAC soulignait la nécessité de protéger les droits des femmes autochtones au sein de leurs communautés dans le processus vers la reconnaissance du droit à l’autodétermination. À cette époque, il semble que le statut des femmes autochtones, à l’intérieur de leurs communautés, était fragilisé. L’AFAC prétendait que la question de la violence envers les femmes autochtones n’était pas prise au sérieux par les dirigeants de leurs communautés. Certains conseils de bande admettaient ouvertement vouloir contourner le projet de loi C-31 qui prévoyait redonner aux femmes autochtones et à leurs enfants leur statut d’Indien·ne.


La Cour suprême n’a pas reconnu la nécessité d’avoir un groupe représentant les droits des femmes autochtones au cours des négociations avec le gouvernement canadien. Cela a pu faire reculer les droits des femmes autochtones en tant qu’individu au moment même où l’autonomie politique des communautés autochtones s’accroissait. Ainsi, l’affaire AFAC c. Canada montre l’importance d’inclure la voix des femmes autochtones dans le processus décisionnel vers l’autodétermination des peuples autochtones.


Le mémoire de Sarah-Maude Belleville-Chenard met en lumière les effets de la colonisation et de la mise en place de la Loi sur les Indiens sur le statut des femmes autochtones au Canada. Ce lourd passé de discrimination sexuelle a, encore aujourd’hui, d’importantes répercussions sur la condition des femmes autochtones. Ces dernières vivent plusieurs formes d'oppression, de l’exclusion du monde politique à  l’exposition à la violence physique. Il devient alors nécessaire de reconnaître les femmes autochtones comme un groupe social distinct et d’écouter leurs revendications autant à l’échelle canadienne que dans les structures politiques de leurs communautés.



Entretien

« J’aborderai le sujet qui m’intéresse du point de vue qui est le mien; celui d’une femme blanche dans la vingtaine provenant d’une famille francophone de la classe moyenne et ayant vécu la plus grande partie de ma vie dans une région urbaine québécoise assez homogène. Ce positionnement est d’autant plus important puisque j’aborderai, dans les pages qui suivent, des questions qui touchent à des cultures autochtones dont je ne peux prétendre faire partie. » (p. x)


Comment avez-vous abouti à la Faculté de droit au départ ? 

Je viens de Québec. J'ai complété mon D.E.C. au Cégep et je suis allée directement à l'Université. J'avais appliqué à l'Université de Montréal en psychologie et en droit. Je n'avais pas compris qu'en acceptant mon premier choix, mon dossier fermait automatiquement pour mon deuxième choix. Bref, sans le savoir, je n'avais pas vraiment le choix de m'inscrire en droit. (rire)


Quel genre d'étudiante étiez-vous ? 

J'étais enthousiaste de m'impliquer, je participais aux évènements. J'avais une vision assez idéaliste du droit. Je me disais qu'en droit, on peut changer les choses, on peut aider à changer le monde. J'ai été un peu déçue au début de mes études de la vision très positiviste du droit à la Faculté (« le droit, ce n'est pas la justice »). Je me disais que j'allais peut-être déchanter. Je n'étais pas une première de classe. Je n'étais pas non plus une étudiante qui passait toutes ses fins de semaines à étudier. Je dois dire toutefois que mon expérience à la maîtrise a été très différente de celle au bac. À la maîtrise, il y avait beaucoup plus de place pour la créativité, l'écriture et la réflexion. J'ai mieux réussi dans ces cours qui me rejoignaient davantage.


Quand est venue l'idée de faire une maîtrise ?

Pendant mon bac, j'ai fait le cours à option « Stage de recherche au CRDP ». J'ai fait mon stage avec Jean-François Gaudreault-Desbiens. Le sujet de recherche m'a vraiment intéressée. J'ai toujours été curieuse et j'aime écrire. J'ai réalisé au cours de ce stage que la recherche me permettait de nourrir ces intérêts. Il y avait aussi quelques membres de ma famille qui évoluaient dans le milieu universitaire. Ma tante était professeure et, étant entourée de gens qui étaient dans ce milieu, ça m'a donné envie de l'explorer.


Comment est venue l'idée de se pencher sur des questions qui concernent les communautés autochtones ? Comment êtes-vous entrée en contact avec votre directeur de recherche ? 

J'ai eu plusieurs cours avec le professeur Jean LECLAIR pendant mon baccalauréat. À ma première année, il enseignait le cours « Fondements du droit ». Je l'ai trouvé vraiment passionnant. Il a une approche différente des professeur·e·s civilistes. Il est capable d'aller au-delà du contenu du cours et de discuter d'une foule de sujets. Je me suis par la suite inscrite au cours « Traditions juridiques autochtones » d'abord pour Jean LECLAIR (rire), mais au fil des cours, j'ai développé un intérêt pour le sujet. J'avais souvent des discussions avec lui après les cours. Il m'a référée éventuellement à l'association Femmes autochtones du Québec. J'ai fait un stage avec cet organisme au cours d'un été à Kahnawake. À ce moment-là, j'étais vraiment dans le bain des revendications des femmes autochtones. C'est donc au cours de ce stage que j'ai eu l'idée de travailler sur la question des femmes autochtones.


J'ai également suivi un cours sur les questions des femmes et du droit avec Isabelle Duplessis lors de ma première session à la maîtrise. Le cours, qui remonte jusqu'à l'Antiquité, est vraiment axé sur l'évolution du droit des femmes et du féminisme. Les questions abordées m'ont vraiment intéressée. Ça m'a permis d'identifier les deux pôles sur lesquels je voulais me pencher dans le cadre de mes recherches : les droits des femmes et des peuples autochtones. Cela dit, d'après mon expérience, ce n'est qu'à la toute fin du processus de rédaction que j'ai su l'axe précis de mes recherches. J'ai débuté ma recherche autour de deux thèmes (femmes et droit autochtone) et mon sujet s'est précisé au fil de la rédaction de mon mémoire.


Dans votre mémoire, vous débordez du champ d'étude du droit notamment en abordant des concepts associés notamment au champ d'étude de la sociologie. Que pensez-vous de l'aspect transdisciplinaire de votre mémoire ? 

Je pense que le fait d'intégrer d'autres disciplines m'a permis d'enrichir mon propos. C'est grâce à l'apport d’études sociologiques, anthropologiques et historiques que l'on peut réellement comprendre les effets sexistes de la Loi sur les Indiens. Il faut certainement prendre certaines précautions avant d'intégrer d'autres disciplines. Il est nécessaire de bien s'informer avant d'élaborer sur des concepts que l'on connait moins. Il y a aussi des nuances à considérer sur le plan méthodologique. Je suggère de prendre des cours dans d'autres facultés lorsque l'on souhaite mener des recherches transdisciplinaires. Je m'étais inscrite à un cours portant sur l'intersectionnalité, enseigné par Sirma Bin au département de sociologie de l'Université de Montréal.


Quel regard portez-vous sur votre thèse aujourd'hui ? Y aurait-il des mises à jour à faire ? 

Si c'était à refaire aujourd'hui, je mettrais plus l'accent sur l'autodétermination, sur l'affirmation de l'identité des communautés autochtones. Je donnerais plus de place aux systèmes juridiques autochtones, à la manière dont les Autochtones définissent leur identité.


J'ai publié ma thèse au début d'un mouvement sur l'intersectionnalité. À l'époque, c'était un concept assez niché qui demeurait entre les murs de l'université. La place faite aux revendications autochtones dans le discours public a également pris de l'ampleur depuis la publication de mon mémoire. Il y a eu beaucoup de mouvement, beaucoup d'écrits publiés en lien avec ces thématiques. Il y a deux ou trois ans, j'ai relu mon mémoire au complet pour une présentation devant mes collègues. Il y avait plein de choses que j'aurais voulu changer. Je dois accepter que mon mémoire demeure figé alors qu'il y a énormément d'évolution en ce qui concerne les enjeux autochtones et féministes. J'assume que ça a été écrit à une certaine époque, dans un certain milieu. Ça fait partie de l'expérience.


Est-ce que votre thèse a eu beaucoup de résonance depuis sa publication ? 

Je ne sais pas à quel point ma thèse a eu de l'impact et de la résonance, autant dans la société que dans le monde académique. Je pense qu'en fin de compte, c'est en moi que résonne davantage ce mémoire. La rédaction de ce mémoire m'a ouvert aux enjeux du colonialisme. Je viens de Québec. J'ai grandi à côté de Wendake et je ne connaissais absolument rien de la nation huronne-wendate. La rédaction de ce mémoire a donc été davantage transformatrice pour moi personnellement.


Quelle a été la suite de votre parcours à la suite de la publication de votre mémoire ? 

Après ma maîtrise, je voulais m'éloigner du droit autochtone. Je trouvais que je n'avais pas la légitimité de pratiquer dans ce domaine. J'ai cherché un stage du Barreau dans d'autres milieux. J'ai pu dénicher un stage avec Avocats sans frontière à Haïti.


Après mon stage, je cherchais un emploi. C'était un contexte plus difficile pour trouver un poste intéressant dans mon domaine de pratique. J'ai finalement pris un contrat à l'île d'Anticosti comme chargée de projet pour la reconnaissance du site comme patrimoine mondial de l'UNESCO. Or, l'île d'Anticosti est un territoire traditionnel des Innus. J'ai donc eu à collaborer, dans le cadre de mes fonctions, avec les Innus de l'île d'Anticosti.


Sans l'avoir cherché ou anticipé, c'est grâce à ce projet que j'ai réellement pu collaborer avec une communauté autochtone. En allant visiter les Innus à plusieurs reprises, j'ai eu des discussions marquantes notamment avec le Chef de la communauté Innue qui nous a parlé des pensionnats et qui nous a challengé sur des enjeux liés au colonialisme. Ça a été très formateur pour moi. Avant cette expérience, mes connaissances sur les peuples autochtones étaient très théoriques. J'ai acquis, au cours de ce projet, une connaissance pratique et développé une approche plus humaine face aux enjeux des peuples autochtones. Quand j'ai obtenu ce poste à l'île d'Anticosti, on m'a dit que le fait d'avoir vécu pendant six mois en Haïti et d'avoir complété une maitrise en droit autochtone avait été déterminant dans ma candidature. Inconsciemment, les choix que j'ai faits par intérêt personnel m'ont menée vers des opportunités qui s'inscrivaient dans la continuité de qui j'étais et de mes accomplissements passés. Je n'ai jamais eu de plan de carrière prédéterminé. J'ai avancé. Le domaine du droit autochtone est revenu vers moi naturellement. Aujourd'hui, ma pratique est directement liée aux revendications juridiques des peuples autochtones. Les choses arrivent. Il faut faire confiance en la vie.

bottom of page