top of page
Portrait%20sans%20photo_edited.jpg

Grimper au rideau

Auteur·e·s

Sophie Gagnon

Publié le :

28 août 2023

« Grimper au rideau ». C’est l’expression que l’on utilise pour décrire ce paroxysme du plaisir sexuel que l’on appelle aussi l’orgasme. En dehors des grandes théories que nous avons entendues maintes fois dans nos cours de biologie, il est aussi important de prendre en compte les aspects érotiques qui sont intrinsèquement liés à la sexualité. D’ailleurs, l’étymologie du mot lui-même signifie « bouillonner de plaisir ». Plus concrètement, il s’agit d’une réponse physiologique qui se produit au sommet de l’excitation, lorsque l’ocytocine et la prolactine sont libérées, induisant ainsi un profond sentiment de bien-être (1). Aux sensations physiques s’ajoutent divers facteurs psychologiques comme les rêves érotiques. L’ensemble de ces réactions constitue un cycle sexuel complet se déroulant sur quatre phases : l’excitation, le plateau, l’orgasme et la résolution (2).

En revanche, l’orgasme féminin n’est pas systématiquement atteint dans toutes les relations physiques. Selon Léa Séguin, doctorante en sexologie de l’Université du Québec à Montréal, cet écart est normalisé, un constat qui nuit à l’égalité en matière de plaisir sexuel.

Historiquement, plusieurs théories ont contribué à l’évolution de notre compréhension de la sexualité au sens large. Par exemple, les récits mythologiques, à l’instar de nombreuses civilisations antiques, comprennent un ensemble de détails, voire une exhaustivité, concernant les relations entre les dieux et les déesses. Des adultères de Zeus racontés par Ovide dans ses Métamorphoses à l’amour interdit d’Orphée et d’Eurydice, ces récits d’amour et d'aventure débordent de détails voluptueux qui animent notre imagination. Aujourd’hui, nous observons ces récits dans des livres, des films ou sur la scène. En complément de ces récits s’ajoute une diversité d’approches contemporaines, allant des clubs échangistes à l’utilisation répandue des vibromasseurs. Ces changements témoignent d’une transformation de notre perspective sur la sexualité et l’importance accordée au plaisir.


L’Antiquité et le Corpus hippocratique

Bien que l'absence de règles dans les récits mythiques conférait aux dieux et aux déesses une très grande liberté (même si cela n’était pas sans conséquence), cette même permissivité ne s’étendait pas à la population ordinaire. À titre d’exemple, le Code d’Hammourabi, qui remonte à 1750 av. J.-C., énonçait les pratiques qui étaient autorisées ou non comme les règles relatives au mariage et les punitions en cas d’adultère, de relations incestueuses ou de viol. Ici, la loi du talion (« œil  pour œil, dent pour dent ») s’appliquait d’emblée plutôt qu’une législation hiérarchisée en fonction du sexe des individus.


Avec l’avènement de la Rome Antique, on observe l’essor des sociétés patriarcales structurées, sans pour autant complètement mettre de côté la dimension érotique des relations sexuelles. Certes, leur connaissance limitée du corps féminin témoignait à la fois de la propension phallocentrique des rapports sexuels et de la négligence du plaisir féminin. En outre, la violence infligée aux femmes était répandue et faisait effectivement partie de la mythologie romaine dès le VIIIe siècle av. J.-C. Si cette construction sociale a évolué avec le temps, cela est largement attribuable aux progrès réalisés dans le domaine médical ainsi qu’à l’approfondissement des notions physiologiques et anatomiques du corps humain. D’ailleurs, de nombreux experts et chercheurs ont débattu de ce sujet.


Un des courants de la culture occidentale, reconnus dans le Corpus hippocratique datant du IVe siècle av. J.-C., soutenait la croyance que l’orgasme féminin jouait un rôle indispensable dans la reproduction (4). À cet effet, il existerait un lien direct entre le plaisir, tant chez l’homme que chez la femme, et la sécrétion d’un liquide nécessaire à la fécondation. Encore en 1814, on lisait dans l’ouvrage de Samuel Farrs, Elements of Medical Jurisprudence , qu’« aucune conception n’est possible sans la jouissance du plaisir des sens ». Ironiquement, l’idée qu’une femme puisse tirer satisfaction d’une activité sexuelle était considérée comme totalement déraisonnable, tant dans l’Antiquité que dans les débuts du Moyen-Âge occidental.


D’ailleurs, dans son traité Des maladies des femmes, Hippocrate utilise le terme « hystera » pour décrire la « maladie de l’utérus » dont de nombreuses femmes étaient affligées (4). Identifiée comme une névrose, cette affection était assimilée aux comportements ne correspondant pas aux attentes de la société patriarcale. Par exemple, le désir sexuel, les sécrétions corporelles ou même le stress et l’irritabilité. Aussitôt, on associe ces manifestations dites « étranges » aux esprits diaboliques et l’on suggère alors des traitements tels que l’exorcisme (5). À travers le temps, de nombreuses féministes publiques ont été diagnostiquées comme hystériques, parmi lesquelles Virginia Woolf, auteure féministe du XXe siècle. À cet effet, plusieurs solutions ont été proposées pour guérir l’hystérie. Par exemple, Isaac Baker Brown, gynécologue et chirurgien-obstétricien, conseillait l’ablation du clitoris. Cette méthode extrêmement douloureuse était aussi utilisée pour soigner l’épilepsie ou l’homosexualité, qualifiée de « formes de folies féminines » (5). Ne s’agirait-il pas plutôt d’une façon de contrôler le corps des femmes et de réprimer leurs besoins sexuels et affectifs ?

En revanche, la doctrine théologique d’Aristote cherchait plutôt à comprendre la nature de l’orgasme ainsi que sa raison d’être plutôt que de chercher à la contrôler (6). Plus précisément, la question centrale était de déterminer si la jouissance chez la femme était concomitante à la production du liquide spermatique essentiel à la reproduction, comme le soutenait Hippocrate. Dans son ouvrage De generatione animalium, Aristote décrit l’existence d’un plaisir sexuel féminin similaire à celui de l’homme, mais souligne que seul l’orgasme masculin est nécessaire à la procréation (6). En voilà une réalisation décevante!


Freud, Reich et le courant psychanalytique

Sigmund Freud, considéré comme le père de la psychanalyse, a également proposé une doctrine qui a exercé une influence capitale sur la perception du plaisir féminin. En 1905, il publia Trois essais sur la théorie sexuelle à la suite de son analyse de l’hystérie et de la perversion (7). Ces essais, comprenant « Les aberrations sexuelles », « La sexualité infantile » et « Les métamorphoses de la puberté », présentent une vision élargie de la sexualité, dès la naissance, au-delà des archétypes conventionnels. Ainsi, Freud a modifié l’interprétation de la sexualité en s’éloignant de son rôle purement reproductif pour accorder une place fondamentale à l’importance de la jouissance (7). En conséquence, la répression (ou la permission) de la sexualité est devenue une variable essentielle dans l’analyse de la psyché humaine. Toutefois, il est nécessaire de nuancer les découvertes importantes de Freud afin de mettre en évidence certains préjugés sexistes à l’origine de ses conclusions.


Par exemple, l’introduction par Freud du Complexe d’Œdipe dans la psychanalyse illustre le préjugé systémique qui prévalait dans de nombreuses études psychologiques à cette époque. Cette théorie, qui englobe les désirs à la fois amoureux et hostiles que l'enfant éprouve à l'égard de ses parents, stipule que seul le pénis a une réalité psychique, y compris chez la fille (7). D’ailleurs, lorsque Carl Gustav Jung proposa un modèle analogue pour les femmes (le Complexe d'Électre), Freud rejeta catégoriquement cette possibilité : « ce que nous disons du complexe d'Œdipe ne s'applique en toute rigueur qu'à l'enfant de sexe masculin, et que nous sommes fondés à refuser l'expression de complexe d'Électre qui insiste sur l'analogie du comportement des deux sexes » (8). Sans la moindre ambiguïté, Freud défendait que l’archétype conventionnel dût être façonné selon un modèle masculin. De plus, sa conclusion selon laquelle une femme ne pourrait jamais résoudre intégralement ce complexe d’Électre suggérerait qu’elles sont moins stables que les hommes et donc plus susceptibles d’être hystériques, comme Hippocrate le soutenait. Or, n’existe-il pas aussi des hommes caractériels et instables sur le plan psychologique ?


Bien que Freud ait étudié les différentes facettes de la sexualité, c’est William Reich, son élève, qui devint le pionnier de la théorie de la sexualité génitale. Dans son ouvrage phare, La fonction de l’orgasme (1927), il explore le rôle naturel de celui-ci. Selon lui, même si elle ne se manifeste pas, la sexualité chez la femme entraîne une stagnation de la libido qu’il a surnommée la « peste émotionnelle » (9). Selon Reich, lorsque l’énergie sexuelle n’est pas complètement libérée (c.-à-d., l’absence d’un orgasme) un « reste » s’accumule et devient la source de nombreuses affections libidinales et somatiques, telles que le satyriasis (hypersexualité compulsive chez l’homme) et la nymphomanie (hypersexualité compulsive chez la femme). Parmi les symptômes, on peut citer l’absence de tendresse, de respect et d’écoute mutuelle, l’apparition d’angoisses ou de fantasmes de viol chez la femme, l’omission ou la prolongation des préliminaires, la présence de jugements moraux (dégoût, pudeur, etc.), la rétention de l’orgasme, voire une perte de conscience qui se traduit par l’incapacité d’atteindre un état de jouissance. Pour lui, les patients névrosés qui présentaient ces symptômes avaient tous en commun le manque de satisfaction sexuelle complète et répétée (9).


Des études modernes et la « révolution » sexuelle

Il faudra donc patienter jusqu’aux années 1940 pour qu’un véritable discours ouvert sur la sexualité féminine voie le jour. Notamment, les rapports d’Alfred Kinsley en 1948 et 1953 représentent un apport considérable à la recherche scientifique en ce qui concerne la reconnaissance de l’orgasme chez la femme et son importance, marquant le début de la « révolution » sexuelle (10). Puis, en 1957, la première étude médicale sur l’orgasme fut entamée par Masters et Johnson, pionniers de la sexologie clinique. Ce sont eux qui ont élaboré le modèle à quatre phases du cycle sexuel, qui demeure largement utilisé et référencé de nos jours (2). Cette théorie privilégie la présence et le plaisir et non la pénétration ou l’orgasme. Il s’agit donc d’une progression structurée du sensuel vers l’érotique et qui aboutit à la relation sexuelle (2).


En revanche, l’orgasme féminin n’est pas systématiquement atteint dans toutes les relations physiques. Selon Léa Séguin, doctorante en sexologie de l’Université du Québec à Montréal, cet écart est normalisé, un constat qui nuit à l’égalité en matière de plaisir sexuel. Elle observe aussi que la pénétration vaginale est préconisée chez les couples hétérosexuels tandis que la stimulation clitoridienne, catalyseur du plaisir et de la jouissance chez les femmes, est trop souvent délaissée. Une autre croyance erronée qu’elle souligne réside dans l’idée que les femmes trouvent leur bonheur uniquement grâce au lien amoureux et à l'intimité. Bien que cela reste très important, il est essentiel de reconnaître que les femmes, tout comme les hommes, sont des êtres sexuels avec des besoins à satisfaire (11). De plus, il existe une multitude de possibilités pour combler ses désirs sexuels en dehors de la pénétration comme l’utilisation de vibromasseurs, la masturbation, la stimulation manuelle et orale, les jeux de rôles ou l’utilisation de jouets sexuels.


Plus fondamentalement, alors que l’orgasme n’est pas présent dans toutes les relations sexuelles, la communication, quant à elle, peut l’être. D’ailleurs, il existe une corrélation positive entre l’orgasme et la satisfaction émotionnelle ainsi que le développement de stratégies de communication dans le couple (11). Dans cette perspective, il est très important de maintenir un dialogue ouvert et inclusif afin de briser les stéréotypes et les tabous entourant les rapports sexuels. L’orgasme étant une réalité présente depuis les premières civilisations, il devrait être tout aussi naturel d’en discuter ouvertement!

1. Ortingue, S., BIANCHI-DEMICHELI, F., « Le cerveau au cœur du plaisir féminin », en ligne : <https://www.revmed.ch/revue-medicale-suisse/2006/revue-medicale-suisse-58/le-cerveau-au-caeur-du-plaisir-feminin#tab=tab-toc>

2. Radio-Canada, « William Masters et Virginia Johnson, fondateurs de la sexologie moderne », en ligne : <https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/aujourd-hui-l- histoire/segments/entrevue/413332/masters-johnson-sexualite-sexologie>

4. Hippocrate, Œuvres complètes, vol. 7, Des maladies, et vol. 8, Des maladies des femmes, I, Des maladies des jeunes filles, II, éd. Émile Littré, 10 vol., J.-B. Baillère, Paris, 1839-1861.

5. Lambin, E., « Histoire de l'hystérie, cette excuse pour contrôler les femmes » en ligne : <https://www.feministsinthecity.com/blog/histoire-de-l-hysterie-cette-excuse-pour-controler-les-femmes>

6. Cerami, C., « Le plaisir des femmes selon Aristote  », Philosophie antique, 16 | 2016, p. 63-102

7. Freud, « Trois essais sur la théorie sexuelle », 1905.

8. Freud, « De la sexualité féminine », 1931.

9. Radio-Canada, « Histoire de l'orgasme : le point G, prolongation du clitoris », en ligne : <https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/les-eclaireurs/segments/chronique/51932/orgasme-point-g-histoire-sexologie-genevieve-labelle>

9. Pagès, M. La violence politique. Toulouse, Éditions Érès, 2003, p. 113-127

10. Aromatario, A. Révolution sexuelle. Quelle révolution pour quelles sexualités? Paris, Éditions Sextant, 34 | 2017, p. 99-110

11. Radio-Canada, « L’écart orgasmique, un fossé à combler pour l’égalité au lit », en ligne : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1154047/ecart-orgasmique-fosse-orgasme-femme-homme-heterosexuel-plaisir-feminin

Tu aimerais voir ton

texte publié au Pigeon ?

3200, Jean-Brillant,

Suite A-2412, devant Jean Doré, Montréal, Québec, H3T 1N8

Goldwater, Dubé

Commanditaire officiel

Nous remercions nos commanditaires officiels:

bottom of page