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Brume sur l'horizon

Auteur·e·s

Florence Claveau-Roy

Publié le :

9 septembre 2022

On a tous·tes notre raison de faire des études en droit. Des phrases clichées du quiz d’Intro au droit comme « comprendre la société » et « changer le monde»,  aux convictions personnelles du genre « pour combattre l’injustice » ou « pour réfléchir sur les concepts de droit et de justice. »

« ... à travers les notions de clause abusive et de société d’acquêts, la glorification de la course et l’exclusivité des comités, je me demande si ceux et celles qui rêvent de combattre l’injustice ou qui pensent au rôle de la justice dans une société avant de trouver le sommeil peuvent réellement trouver un sens, une raison d’exister, une chaise sur laquelle s’asseoir à la Faculté de droit de l’Université de Montréal. »

Pour ma part, j’ai amorcé des études de droit parce que je ne savais pas trop ce que je voulais. On me disait alors que le droit mène à tout. J’avais plusieurs intérêts en lien avec le droit et bien malgré moi, j’ai fait ce choix en étant consciente de l’approbation qu’il susciterait autour de moi. Cela étant dit, je n’ai pas l’impression que les gens qui font des études de droit pour leur sensibilité à l’injustice, pour la réflexion philosophique ou pour la formation de base pouvant mener à plusieurs domaines professionnels se sentiront épanouis à la Faculté de droit de l’Université de Montréal. Pour le dire simplement, l’expression le droit mène à tout, il me semble, ne reflète pas l’expérience concrète des études à la fac.


Après une première année de droit, j’ai l’impression d’avoir appris une technique. Voici les faits. Voici la question. Appliquons les faits à une règle de droit.  Présentons-nous à nos cours. Bourrons-nous le crâne deux fois par session. Recrachons les 300 pages de lecture en une réponse de 100 mots. Croisons les doigts pour que notre réponse s’enregistre sur Safe Exam Browser. 


Il y a certainement des aspects intéressants à l’apprentissage de cette technique : faire de l’ordre dans ses idées, créer une routine d’étude rigoureuse, développer une bonne capacité de synthèse. Cela dit, à mon sens, cet apprentissage d’une technique est peu stimulant intellectuellement. J’aurais préféré être amenée à produire davantage de réflexions, à comparer différentes façons de penser la justice, à discuter, à critiquer l’information que l’on me transmettait, à faire des liens avec d’autres disciplines universitaires, etc. 


Il est probable que certains cours aient comme objectif de susciter la réflexion autour des concepts du droit et de la justice, en plus d’offrir une perspective historique du droit. Je pense, entre autres, aux deux cours de Fondements du droit. Malheureusement, ces deux cours n’ont pas comblé mes attentes par rapport à la qualité et à la profondeur des réflexions qu’ils auraient le potentiel de susciter.  


Cela dit, je m’arrête un instant dans cet élan critique pour reconnaître la qualité de l’enseignement reçu dans certains autres cours de première année de droit qui eux, sans m’y attendre, m’ont agréablement surprise. J’aimerais souligner à quel point j’ai apprécié le professeur cultivé qui savait jongler entre politique allemande et grandes divisions du droit positif sans perdre l’attention de naïf·ve·s étudiant·e·s à la gueule de bois en pleine intégration. J’éprouve également une forte reconnaissance envers certain·e·s professeur·e·s qui donnaient leur cours comme on raconte une histoire sans perdre de vue la rigueur dans les concepts enseignés. Je remercie ceux et celles qui, au fil des années, ont pris le temps de se remettre en question afin de développer une méthode d’enseignement en se mettant à la place des étudiant·e·s afin qu’ils et elles aient la meilleure expérience possible. De façon plus large, les quelques rencontres que j’ai eues avec les membres de l’administration de la Faculté m’ont convaincue que ces derniers alignaient réellement leur travail vers le bien de la population étudiante avec un grand souci pour l’inclusion. Ces différent·e·s intervenant·e·s reflètent ce que devrait être le milieu des études supérieures  à mon sens, un lieu qui donne envie de s’élever vers la connaissance.


Ceci étant dit, trop de fois s’est perdue cette vision des études supérieures lors de ma première année. À plusieurs reprises, la qualité de l’enseignement reçu laissait à désirer. Dans un cas, la personne avait été assignée à la dernière minute. Malgré sa gentillesse évidente, cette personne n’avait probablement pas le temps d’enseigner ce cours à ma section, de sorte qu’un cours sur deux était donné en ligne. Le contenu du cours manquait de structure, si bien qu’on perdait non seulement le fil conducteur, mais les faits le sous-tendant. Dans un autre cas, la personne chargée du cours m’a paru incarner un doux mélange de paresse et de condescendance. N’ayant visiblement pas d’habileté de communication, l’information était transmise sans entrain et avec beaucoup de mots pour ne rien dire. Dans le cadre de ce cours, la spécialité du chargé de cours prenait une trop grande place au détriment d’autres champs d’analyse du droit qui méritaient d’être présentés avec sérieux. L’examen final était la copie exacte de l’examen de l’année précédente déposée sur StuDocu, accessible à tous et à toutes le temps d’un abonnement d’essai gratuit d’une durée limitée. Ces cours m’ont donné l’impression de retourner au secondaire le temps d’un avant-midi devant un·e professeur·e n’ayant pas envie d’enseigner cette matière, au grand malheur d’un groupe d’étudiant·e·s confus·e·s, voire frustré·e·s. 


Le cours d’Habiletés du juriste, donné exclusivement en ligne, demeure à ce jour une expérience traumatisante. Cette longue navigation dans l’obscurité des capsules vidéos éditées à l’époque où Flo Rida était encore cool manquait cruellement d’encadrement. Je cherche encore quelle forme de soutien peut prendre l’expression « faites-vous confiance », réponse donnée à la plupart des étudiant·e·s ayant osé poser une question par courriel aux responsables.


Que dire également de certain·e·s professeur·e·s, probablement préoccupé·e·s exclusivement par le volet « recherche » de leur poste, si bien qu’ils et elles paraissent se soucier trop peu de leurs fonctions d’enseignant·e·s. Peut-on se permettre de débuter chaque cours avec au moins dix minutes de retard et de sortir presque en courant après avoir mis fin à son exposé ? Peut-on refuser de discuter avec les représentant·e·s de classe, braves élu·e·s n’ayant comme unique mission que de relayer le questionnement de plusieurs étudiant·e·s, parce qu’on est surpris·es et déçu·e·s de leur question ? 


Pour être cohérent avec la mission d’éducation qui est le moteur d’un établissement universitaire, on doit exiger du corps professoral qu’il ait autant à cœur l’enseignement que la recherche. On doit exiger qu’il soit organisé et rigoureux. Et si je peux me permettre, on doit exiger l'empathie et l’humilité à chacun et chacune d’entre eux et elles également.  C’est, pour ma part, ce à quoi je m’attends d’un établissement d’étude supérieure, d’autant plus que je sais combien d’autres personnes qualifiées pourraient occuper ce poste en comblant ces attentes. 


Après une première année de droit, j’ai l’impression d’avoir intégré un milieu froid et rigide où uniquement une poignée d’étudiant·e·s peuvent véritablement voir les horizons qui s’ouvrent à la Faculté. J’ai aussi l’impression que tous les yeux sont rivés vers le même paysage, c’est-à-dire que l’on met fortement l’accent sur un seul type de carrière vers lequel mène le droit, celui de la pratique (idéalement dans un grand cabinet.) Or, à travers les notions de clause abusive et de société d’acquêts, la glorification de la course et l’exclusivité des comités, je me demande si ceux et celles qui rêvent de combattre l’injustice ou qui pensent au rôle de la justice dans une société avant de trouver le sommeil peuvent réellement trouver un sens, une raison d’exister, une chaise sur laquelle s’asseoir à la Faculté de droit de l’Université de Montréal. 






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