top of page
Portrait%20sans%20photo_edited.jpg

« NE LAISSONS PAS LA HAINE GAGNER »

Auteur·e·s

Rosalie Poulin

Publié le :

29 novembre 2024

Si les auteur.es des premières éditions du Pigeon Dissident auraient pu discuter de la contestation des représentations de la pièce Les fées ont soif par Denise Boucher (voir l’arrêt Jeunes canadiens[1] de la Cour d’appel du Québec), aujourd’hui je devrai discuter de la vague de haine sur les réseaux sociaux subie par l’équipe de ESPACE GO après les premières représentations de la pièce Moi, Jeanne.

“Caresser la cassure, la parole
ce moment où personne ne me dit
à quoi je devrais ressembler"

Cette œuvre est une adaptation francophone du texte de Charlie Josephine (I, Joan) qui donne à Jeanne D’Arc la possibilité d’exprimer plus clairement son rapport au genre et à la sexualité grâce au vocabulaire et à la théorie queer moderne.


Malgré que l’épopée de Jeanne d’Arc soit une histoire traditionnelle, ancrée dans la religion catholique (qui a davantage persécuté qu'appuyer les personnes queers), la forme de la pièce actualise son propos et fait l’éloge de la beauté et des défis liés à une vie hors des normes traditionnelles du genre.  Notamment, la pièce emprunte certains codes à l’art de la drag : maquillage qui masque le genre des acteur.es, discours mélodramatiques, mouvements suggestifs ou lascifs et costumes extravagants qui ponctuent d’un peu de gaieté les thèmes d’oppression et de transphobie abordés dans la pièce. Bref, cette « armée émancipée, résolument queer »[2] énonce haut et fort ses convictions dans une pièce extravagante où l’identité queer est célébrée et mise de l’avant.


Tout comme Denise Boucher a utilisé un triptyque d’idoles chrétiennes (Marie, la mère au foyer, Madeleine, la prostituée et une statue de la vierge Marie) pour remettre en question les codes du patriarcat, Moi, Jeanne s’attaque à une autre icône catholique, Jeanne d’Arc, et la transforme en tête d’affiche de la non-binarité.


Or, il semble que cette idée n’ait pas été accueillie favorablement par tous les internautes.  En effet, le 3 octobre dernier, dans une publication Instagram, le théâtre écrivait : « NE LAISSONS PAS LA HAINE GAGNER. »[3]Dans cette publication, ESPACE GO met en lumière le travail d’ombre fait par son équipe de communications qui a dû, depuis le début des représentations de la pièce Moi, Jeanne, supprimer une quantité importante de commentaires haineux sur leurs pages.


Cette réaction négative face à des œuvres ou à des personnes queers ou féministes n’est pas nouvelle ni isolée. Récemment, Léa Clermont-Dion, autrice et réalisatrice québécoise, s’est retrouvée au cœur d’une controverse après que l’auteur-compositeur Stéphane Venne ait commenté une photo où elle apparaît, critiquant sa pose qui consisterait en un « code sexuel hyper connu »[4].  À titre de référence, l’autrice posait dans un portrait simple, modestement vêtue, « bouche ouverte et tête penchée sur le côté »[5].


J’aurais bien aimé pouvoir faire une critique intelligente de cette pièce, qui selon moi aurait pu être davantage subversive et s’éloigner des « clichés queers » (si je peux même me permettre cette expression).  Parce que, malgré la réaction haineuse des internautes, cette pièce n’était qu’une introduction à la théorie queer et aux revendications des personnes non-binaires.  Les propos dépassent rarement la constatation que notre société a été construite par des hommes et pour les hommes et donc que les autres groupes sont nécessairement aliénés par notre système.


Si cette critique me permettrait de m’avancer sur un terrain glissant, une perspective intrinsèquement dissidente, il m’a semblé plus important de mettre en lumière la réaction populaire des québécois.es à cette pièce. Si nous pouvons parfois vivre (surtout dans le cyberespace) dans une bulle auto-réverbérante où seulement celleux qui pensent comme nous s’expriment, la haine subsiste hors de cette bulle.  Dans le contexte de l’élection d’un certain président américain, il est important de s’attacher aux œuvres qui proposent des perspectives diversifiées et d’en faire la promotion et l’éloge lorsque possible.


J’ai envie de vous partager ce court poème écrit par Marie-Andrée Gill, qui nous appelle à chérir les moments d’éclaircie qui émergent des failles du discours oppressif et la fragilité de la libération:


“Caresser la cassure, la parole

ce moment où personne ne me dit

à quoi je devrais ressembler.”

[1] Jeunes Canadiens pour une civilisation chrétienne c. Fondation du théâtre du Nouveau-Monde

[2] https://espacego.com/les-spectacles/2024-2025/moi-jeanne/

[3] https://www.instagram.com/p/DArNiLvvnnI/

[4] Extrait d’une publication sur X par Stéphane Venne, aujourd’hui supprimée.

[5] Extrait d’une autre publication, aujourd’hui supprimée également.

[6] https://ca.pinterest.com/pin/985231164050125/

bottom of page