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« CRÉATURES » à l’Espace Go

Auteur·e·s

Magali Mailfait

Publié le :

30 avril 2025

Sous la coulée d’une journée pluvieuse, le 5 mars, me voilà prise en arrêt aux abords d’un bassin d’eau où s’érige une structure précaire, abri de fortune tanguant sur un horizon d’eau semblant perdurer sur des kilomètres. « L’eau a envahi la ville. Elle s’infiltre partout, jusqu’à la scène du théâtre »[1]. Le plafond du théâtre s’égoutte, l’eau s’infiltre dans les trous de l’abri où onze filles et femmes âgées de 5 à 70 ans cohabitent.  Où de mieux que le théâtre pour se réfugier lors d’une catastrophe?

« L’eau a envahi la ville. Elle s’infiltre partout, jusqu’à la scène du théâtre »

Cette scénographie de l’eau, entremise par la metteuse en scène Anne-Marie Ouellet et la compagnie L’eau du bain, fut une orchestration ambitieuse qui a donné une consistance intéressante au jeu. Encore aujourd’hui, ma mémoire de la pièce est jointe aux mouvements perpétuels de cet élément liquide, enchâssée à la résonance des gouttes qui éclatent, aux reflets lumineux de l’eau, à ses à-coups électrocutés sur les branchements des ampoules causant multiples pannes de courant, ou encore à sa noire profondeur instiguant mon inconscient de rêveries.


À l’abord de la pièce, la vue de ce logis précaire et solitaire sur cette étendue d’eau nous souffle l’idée d’une crise climatique ayant mené à la quasi-disparition de l’humanité. Or, au fil de la pièce, nous comprenons que l’eau, substance versatile, semble plutôt renfermer l’ensemble des épreuves ou catastrophes possibles, actuelles comme futures. Et le clou du spectacle est bien l’étude de cette cohabitation de femmes en pleine gestion des dégâts, réceptionnant la crise avec beauté et sagesse. Car, là est toute la question :


Comment réagir à un monde qui s’effondre ?


Dans Créatures, les déchets de l’eau sont utilisés pour improviser des costumes monstrueux, élaborer des formes incongrues et inhumaines sur leur corps. Les adolescentes du groupe proclament en parlant des autres : « Nadia est un coffre-fort », « Razili est un miroir », « Sophie est une chanson », « Razili est une montagne ». Aussi, parfois, se contentent-elles de sons élémentaires pour communiquer. Elles font de ce logis bancal un interstice à l’intérieur de ce monde abîmé, peut-être incurable, où la folie, l’absurde et le surréaliste l’emportent sur la crise. Car il y a-t-il réellement une solution, soit une manière raisonnable et rationnelle d’agir qui résoudrait au moins une partie de l’amas des problématiques qui nous sont léguées? Recycler, consommer moins… Cela pourra-t-il arrêter l’élan actuel du monde ? Ou alors ne faut-il pas comprendre que ces crises font partie de l’ordre des choses, qu’elles sont elles-mêmes rationnelles ? Aussi angoissant que cela puisse être, l’histoire n’attendrait de nous aucun acte nécessaire, et donc aucun acte sensé. Face à cela, Mme Ouellet nous rappelle qu’il nous reste, toutefois, l’absurde, l’insensé, dont les vertus furent brillamment témoignées par la pièce. L’activité absurde est une résistance en ce qu’elle offre un espace de liberté, de vitalité et de rencontres qui s’oppose à la rigueur, à l’astringence et à la perte de liberté qui suivent les crises. À l’exemple des costumes improvisés par les adolescentes, tel un Cadavre exquis, l’absurde permet la réunion d’objets ou de concepts à la nature apparemment inconciliable, et ce, avec l’intention audacieuse d’engendrer de nouvelles réalités. Que l’absurde gagne par son activité ludique qui crée, renouvelle et rafraîchit l’âme.


Une sororité

Plutôt que de suivre la structure narrative classique, le fil de l’histoire est celui qui traverse les différentes filles et femmes du logis, les unissant dans une sororité intergénérationnelle aux allures d’une véritable famille. C’est ce fameux « vivre ensemble », que le spectateur retrouve avec douceur dans cette petite cohabitation de femmes où chacune apporte ses couleurs. La solution serait-elle, pour Anne-Marie Ouellet, dans un retour à une échelle plus petite des rapports humains, soit à un sens de la collectivité, si ce n’est de la communauté ?  À ce sujet, Mme Ouellet revient sur la quête de l’enfant en nous : le personnage de l’enfant, autrement qu’être celui qui rêve, est bien celui qui, constamment, enfouit ses mains dans la terre, joue dans l’eau, improvise des jeux avec les objets à sa portée; il représente le sens du toucher, un retour à la matière ainsi qu’à la proximité des choses. Voilà une sensualité qui contraste avec la dureté intellectuelle du capitalisme et du néolibéralisme.


Pour finir sur une note plus critique, peut-être que Créatures aurait bénéficié d’un dialogue plus entraînant ou plus tangible que des poèmes. Il me semble que le théâtre étant déjà une expression abstraite d’idées et d’émotions, si, en plus, on ajoute la forme poétique au dialogue qui est tout aussi abstraite, le lien avec le spectateur est fragilisé et la communication risque de devenir oisive.


Tout de même…


L’œuvre fut une rêverie pluvieuse qui emportera chacun dans son cours fluvial mélancolique et poétique, à dévaler, sur le dos, les rues du monde, les yeux pointés vers un ciel bleu clair aux nuages multiformes.

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