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Wô minute

Auteur·e·s

Charles-Étienne Ostiguy

Publié le :

1 août 2020

En mars dernier, dans ma retraite neuchâteloise, j’eus vent d’une initiative à l’effet que l’Association des Étudiants en Droit (AED) puisse accueillir un nouveau « comité anglophone », ou Comité des Étudiants Anglophones en Droit (CEAD). Alors embryonnaire, l’idée était morte dans l’œuf, faute d’appuis de l’exécutif 2019-2020 de l’AED, mais surtout, faute de besoin dans la communauté étudiante.


Mais ô quelle surprise de revoir ce comité réapparaître sur mon fil Facebook le 11 juin, celui-ci ayant publié un communiqué. Signifiant que sa mission première est de « venir en aide aux étudiant.e.s anglophones afin d’améliorer leur (sic) compétences en français et d’accueillir les nouveaux étudiant.e.s anxieux », ce comité paraît, au premier abord, rempli de bonne volonté et de toute la nuance qui s’impose quant au très délicat sujet de la langue française à la Faculté, voire au Québec.


Loin de l’intention des créateurs du comité de faire une promotion de la langue de Shakespeare au détriment du fait français, le CEAD met l’emphase sur l’intégration des étudiants anglophones dans le système unilingue francophone de l’UdeM. Compte tenu du lexique juridique soutenu qu’on aperçoit sans cesse dans nos études en droit, une aide d’appoint tant en matière pédagogique que sociale ferait du bien.


Seule remarque : pour vraiment illustrer cette bonne foi, il vaudrait mieux utiliser Antidote avant de publier un communiqué officiel…

Quiconque est déjà allé dans un 4 à 7 corporatif sait très bien que l’anglais n’y est pas étranger. Au contraire, les interlocuteurs du monde professionnel vont parfois uniquement s’adresser en anglais.

Lors de la rencontre du 18 juin dernier, le ton des intervenants suintait de bonnes intentions. La tenue même de la rencontre a d’ailleurs mis en lumière que la prétendue « absence de besoin » quant à l’intégration des non-francophones était un mythe. Nous avons pu y voir beaucoup d’étudiants anglophones qui saluaient l’initiative des initiateurs, heureux d’avoir enfin une ressource clairement définie pour les épauler dans un environnement francophone. Qui plus est, on envisage même un changement de nom pour inclure toute la diversité linguistique de la Faculté. Chapeau là-dessus.


Mais retournons au communiqué initial du 11 juin dernier. Certaines phrases subséquentes me font sourciller. On mentionne notamment que le CEAD « souhaite créer un environnement de soutien et de réseautage pour les anglophones et francophones de la Faculté, afin de mettre en valeur la diversité linguistique qu’on retrouve dans une ville métropolitaine comme Montréal ».


Là, je commence franchement à douter. Quiconque est déjà allé dans un 4 à 7 corporatif sait très bien que l’anglais n’y est pas étranger. Au contraire, les interlocuteurs du monde professionnel vont parfois uniquement s’adresser en anglais. Il est facile pour quiconque de détourner la conversation et de la tenir en anglais ou dans un bilinguisme digne de la fonction publique fédérale. C’est se mettre la tête dans le sable que de prétendre que les étudiants unilingues anglophones ne peuvent bénéficier du réseautage au même titre que les francophones.


Au contraire, un étudiant anglophone unilingue formé à l’UdeM aura fort probablement de meilleures chances de réussites à travers l’Amérique du Nord vu sa connaissance du système bijuridique québécois et l’indifférence qu’a le monde des affaires pour cette excroissance francophone outre-Atlantique. Business is business. De l’autre côté, un juriste unilingue francophone devra faire une croix sur une panoplie de postes intéressants, faute de bilinguisme. Aucun unilinguisme ne devrait être plus viable qu’un autre.


Qui plus est, la création d’un comité me paraît absolument disproportionnée lorsqu’on se penche sur la mission de celui-ci. La mise en place d’un guide d’appoint pour la diffusion des ressources linguistiques, l’intégration des étudiants… Ne sont-elles pas toutes des tâches qui devraient directement découler de l’AED ? N’a-t-on pas (le « on » excluant désormais le finissant qui écrit ses lignes) spécifiquement des VP vie étudiante et VP affaires académiques qui devraient élaborer des stratégies pour mieux encadrer ces étudiants et que personne ne se sente laissé pour compte ?


C’est d’ailleurs ce qui avait été imaginé par Sarah Fortin, présidente 2018-2019 de l’AED, qui avait tenté de créer une initiative visant à mieux intégrer les non-francophones dans les activités de la Faculté et de l’AED. Malheureusement, le projet est mort au feuilleton de la vie estudiantine, faute d’efforts et, surtout, de temps.


Je pense que l’AED actuelle devrait sincèrement considérer, malgré la charge de travail que cela implique, de forcer la note pour réussir à faire de l’AED un promoteur facultaire de la langue française et de la diversité culturelle. Tous s’en retrouveraient gagnants, tant les étudiants non francophones qui pourraient désormais pleinement goûter à la vie étudiante, mais aussi les étudiants francophones qui découvriraient un nouveau pan de leur faculté.


Autrement, laisser ces tâches charnières dans les mains d’étudiants, et leur allouer un budget afin d’accomplir une telle mission pourrait marquer le début de dérives linguistiques à la Faculté. Non pas que l’exécutif actuel puisse envisager une telle avenue, mais rien n’empêche un exécutif de tenir dans quelques années des événements « pour anglophones uniquement » ou même de réclamer plus de cours uniquement dispensés en anglais.


Certes, cet argument très « pente fataliste » peut paraître anodin, voire irréalisable. Mais si le Québec a bien appris une chose en matière de défense de la langue française depuis la Révolution tranquille, c’est qu’en concédant un pouce, on perd un pied, une verge.


Ce n’est pas tout. La création d’un comité à saveur linguistique dans une faculté unilingue serait une première au Québec. Ni l’UQAM, l’Université Laval ou l’Université de Sherbrooke n’a de telles associations. Pour sa part, McGill, ayant une faculté de droit théoriquement bilingue, a un comité voué à la défense des droits pédagogiques des francophones et anglophones… Mais devinez quelle langue est souvent la plus malmenée là-bas.


Mais tous ces arguments ne visent pas à discréditer le besoin évident des étudiants non francophones qui souhaitent obtenir de l’aide pour pleinement vivre leur baccalauréat à l’UdeM. Au contraire, je crois que ce besoin serait mieux pris en charge par une instance qui est élue et qui a un contact direct avec le corps professoral et le rectorat.


Je crois qu’il faut certainement célébrer la diversité d’une ville métropolitaine et cosmopolite comme l’est Montréal. La présence du fait anglais au Québec est, à mon avis, essentielle à son identité même. Mais le trait prédominant, la colonne vertébrale de la culture québécoise, demeure le fait français. Et quand les recensements annoncent, quinquénaire après quinquénaire, que le français recule (au point d’être sous le seuil du 50% d’usage à la maison à Montréal!), je me dis qu’il faut redoubler d’efforts pour protéger le joyau d’Amérique que nous avons tous à défendre : le fait français en Amérique. C’est la mission de nos institutions, de nos universités, mais c’est aussi celle de toutes et de tous au quotidien.

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