Une petite histoire du “oui” au féminin
Auteur·e·s
Maria Boutin et Marilou-Rose Caron
Publié le :
30 novembre 2023
Cela fait bien longtemps qu’une poignée de main peut être contraignante, qu’elle signifie que deux personnes ont dit « oui » à une obligation et s’engagent à la respecter. Il est évident que ce « oui » en est un d’importance : il engage notre responsabilité et on peut en subir des sanctions. C’est un oui protégé. Pourtant, le consentement sexuel est un sujet qui semble compliqué. Alors que la sexualité est un aspect indissociable de la vie humaine, il est difficile de dire que le oui sexuel est encadré depuis aussi longtemps que le oui économique. On sait que le consentement contractuel date des Romains, mais qu’en est-il du consentement sexuel, au sens juridique et sociologique du terme ?
L’idée d’un consentement sexuel est donc historique, car elle suppose l’égalité des partenaires et des conditions sociales de possibilité d’un choix
Déjà, afin de comprendre l’histoire du consentement, il faut d’abord le caractériser. Aujourd’hui, le consentement est défini à l’article 273.1 du Code criminel : l’accord volontaire du plaignant de se livrer à une activité sexuelle. C’est la définition qui sera mobilisée dans le reste du texte lorsque l’on parlera de « consentement ».
Dans un premier temps, on peut retracer une histoire de la sexualité dès l’Empire romain. Il faut savoir que la sexualité romaine est à l’opposé de la sexualité contemporaine. Le sexe est phallocentrique : il se définit en fonction de la pénétration et du sexe masculin, mais aussi en fonction du statut social. Du côté féminin, on considère que les femmes mariées ne peuvent avoir de relations sexuelles que pour la reproduction. Dans le droit romain, le stuprum consiste en un « crime sexuel » et est établi à l’époque de Plautre afin de punir ce qu’il qualifiera de débauche. L’incestum consiste en la violation du vœu de chasteté d’une vestale (une prêtresse romaine) qui permet de lier Rome aux Dieux. Plus tard, un nouveau crime sexuel s’ajoute : l’adultère. Afin de préserver le sang romain et d’augmenter le nombre de naissances, l’Empereur Auguste, en 17 av. J.-C., établit l’adultère comme un crime privé et public. C’est la lex Julia de adulteriis qui le sanctionne : si on est trouvé coupable du crime d’adultère, on court le risque d’être banni.
Finalement, c’est en 326 que l’empereur Constantin condamne le rapt, crime plus similaire à la notion de viol d’aujourd’hui. Le rapt est le vol de la chasteté conjugale d’une femme. Dans tous ces cas, le consentement féminin n’est pas pris en compte. La femme peut consentir à l’incestum, l’adultère ou au rapt. Selon Maëlle Bernard, historienne de la sexualité, c’est le fait que ce soit toutes des actions commises à l’encontre des hommes qui importe. Le rapt est un vol à l’encontre d’un autre homme, et l’incestum punit la Cité. Il n’est donc pas question de respect du consentement dans la sexualité, mais de respect des rapports de pouvoir établis.
Puis, à l’époque médiévale, tout comme dans l’Empire romain, le sexe est défini par un rapport de pouvoir : celui entre les hommes et les femmes. Dans l’Europe chrétienne, Ève venant après Adam et lui devant son existence est naturellement soumise à l’homme. Pour l’Église, la sexualité n’est acceptable que dans un cadre de mariage et de conception. Le mariage est un ultime sacrement. Le consentement en Europe chrétienne peut se concevoir à travers la fidélité conjugale. Les activités sexuelles considérées comme ayant un but autre que la procréation sont proscrites et définies comme étant « contre nature ». C’est en ce sens que l’adultère commis par l’homme est criminalisé au XIIe siècle. La notion même de la nécessité de consentir au sein d’une relation conjugale est ainsi impensable, ce qui marquera d’ailleurs les mentalités occidentales pour les siècles à venir.
C’est seulement en 1791 que le viol apparait dans le Code pénal français. Il est considéré comme une attaque à l’intégrité de la personne, mais nécessite des cris, une résistance accrue et une déchirure de l’hymen. Puis, la société du 19e siècle perçoit toujours le consentement à travers un prisme très exigu. En effet, on traite de viol ou d’absence de consentement lorsque les victimes sont de jeunes femmes. C’est le fait de dérober la victime de sa chasteté que l’on déplore. Pour les femmes mariées ou les femmes prostituées, on assiste à un renversement : elles ne sont pas victimes, mais plutôt coupables d’avoir commis l’adultère ou d’avoir eu des relations sexuelles à l’extérieur du lien du mariage. Il est important de noter que bien que le crime soit entré dans le Code pénal, il est considéré comme une « atteinte à la pudeur » et les cours de justice françaises nient activement la nature criminelle du viol. Pour elles, le fait de céder est l’équivalent de consentir.
Le fait que la femme ne détenait pas la personnalité juridique en Occident jusqu’au début du 20e siècle peut expliquer que le consentement sexuel fut développé, analysé, et mis au premier plan qu’à la suite de la révolution féministe de la moitié du 20e siècle. La possibilité pour la femme de consentir à un acte juridique ou de contracter par elle-même rendait évidemment difficile de concevoir qu’elle détenait un tel pouvoir dans l’univers de la sexualité :
« L’idée d’un consentement sexuel est donc historique, car elle suppose l’égalité des partenaires et des conditions sociales de possibilité d’un choix ».
Une illustration simple de l’anachronisme du consentement est le concept de devoir conjugal. Provenant du droit canonique et reposant sur le fondement procréatif du mariage, le devoir conjugal provient du code de Napoléon de 1804, issu des obligations du mariage. En effet, selon l’article 215, les époux ont l’obligation de communauté de vie dont découle une obligation de « communauté de lit ». Ainsi, peu importe l’opinion de la femme, un engagement au mariage est un engagement à des relations sexuelles, et ce, depuis l’époque romaine. Cela fait partie du contrat.
C’est seulement lorsque la femme s’est émancipée que la question de son autonomie à consentir a pris une place d’importance. Dans les années 1970, la deuxième vague féministe se définit par une lutte pour le droit à l’avortement et contre les violences sexuelles. En France et en Amérique, c’est la naissance du combat pour le droit de choisir. Le Mouvement de libération des femmes organise des manifestations et s’associe avec des avocates féministes pour faire avancer le mouvement sur les plans juridique et social. L’avocate Gisèle Halimi y occupe une place toute particulière : en 1978, elle milite pour qu’un procès concernant deux accusés de viol soit rendu public. Elle y arrive — gagne — et un débat sur le sujet prend place sur la scène publique. La même année, une première proposition de loi sur la définition juridique du viol est amenée. En 1980, le viol est légalement considéré comme une agression sexuelle passible de 5 à 10 ans de réclusion pénitentiaire en France. Bien que le viol soit criminalisé depuis longtemps au Canada, c’est grâce aux combats des féministes qu’il est considéré comme un crime important. Ce n’est d’ailleurs qu’en 1983 que l’on reconnait le viol conjugal au Canada avec la Loi sur les infractions sexuelles. Cette même loi efface le mot « viol » du Code criminel afin d’aborder les agressions sexuelles d’une nouvelle manière, sans sa conception de vol.
L’analyse de l’évolution du consentement, de sa signification à travers les époques et de ses conséquences juridiques est d’autant plus pertinente aujourd’hui. Assistons-nous à un changement de cap majeur qui marquera l’histoire de la sexualité? La notion de plusieurs fausses croyances et préjugés demeure, et ce, notamment dans les relations conjugales : rien de surprenant lorsque l’on constate l’assimilation du consentement au mariage qui a traversé plusieurs époques. On espère que le “oui” au féminin, peu importe le contexte, sera entendu et respecté de toustes.
1. Code criminel, L.R.C., c. 46, art. 273.1
2. Sandra BOEHRINGER & Violaine SEBILLOTTE-CUCHET, « Corps, sexualité et genre dans les mondes grec et romain», (2015) S 14 Dialogues d’histoire ancienne, en ligne : <https://www.cairn.info/revue-dialogues-d-histoire-ancienne-2015-Supplement14-page-83.html?contenu=citepar>, p. 83.
3. Catherine BAROUIN, « Violences sexuelles et atteinte au corps dans le monde romain», (2016) Le corps en lambeaux, en ligne : <plement14-page-83.html?conthttps://books.openedition.org/pur/45417s?lang=en#text>, p. 177.
4. Thelma SUSBIELLE, « Retour sur l’histoire du consentement féminin, de l’Antiquité à #MeToo», Femme Actuelle, 11 mai 2023 , en ligne : <https://www.femmeactuelle.fr/amour/news-amour/retour-sur-lhistoire-du-consentement-feminin-de-lantiquite-a-metoo-2155028t>.
5. Maëlle BERNARD , « Lorsqu’elles disent “non”, les femmes pensent “oui” : le déni du consentement, une tradition bien ancrée», SlateFR, 6 décembre 2021 , en ligne : <https://www.slate.fr/story/162908/histoire-moyen-age-sexe-amour-couple-sexualite-inegalites-genret>.
6. idem.
7. ibid 4
8. Florian BESSON & Maxime FULCONIS, « À quoi ressemblait le sexe au Moyen-Âge», SlateFR, 9 juin 2018 , en ligne : <https://www.slate.fr/story/219933/bonnes-feuilles-histoire-du-consentement-maelle-bernard-arkhe-resistance-feminine-acte-sexuel-violence-erotisation-jeu-seduction>.
9. Alexandre JAUNAIT & Frédérique MATONI, « L’enjeu du consentement», (2012) 46 Raisons politique, en ligne : <https://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2012-2-page-5.htm#no5>, p. 5.
10. Lydia MENEZ , « Existe-t-il un “devoir conjugal en France», ElleFR, 2021 , en ligne : <https://www.elle.fr/Societe/News/Divorce-existe-t-il-un-devoir-conjugal-en-France-3920967>
11. Sévérine LIATARD , « Comment le viol est devenu un crime», L’Histoire, avril 2020 , en ligne : <https://www.lhistoire.fr/comment-le-viol-est-devenu-un-crime>
12. Idem.
13. Regroupement des maisons pour Femmes victimes de violence conjugale , « Un peu d’histoire», 2023 , en ligne : <hhttps://maisons-femmes.qc.ca/historique/>