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Tomas

Auteur·e·s

Frederique Bordeleau

Publié le :

30 novembre 2023

tomas, post post automatiste. C’est le nom de la dernière exposition de l’artiste Tomas Dessureault à la galerie Va savoir, à Montréal. Du 18 au 26 octobre dernier, il s’y est enfermé pendant 176 heures lors desquelles il a créé plus de 50 œuvres. De l’autre côté de la vitre le séparant de la rue, les passants de la rue Laurier pouvaient ainsi s’arrêter pour l’observer créer, manger et dormir. Une entrevue avec l’artiste.

Je ne manque jamais d’inspiration. Je n’ai pas le syndrome de la page blanche. Pour moi, soit j’ai envie de faire une œuvre ou je n’ai pas envie de la faire. Le matériel m’inspire beaucoup.

J’arrive à la galerie. Eye liner sous les yeux, biscuits à l’avoine à la main, Tomas travaille déjà par terre. Sur d’anciennes cartes géographiques, armé d’un sharpie et d’un pinceau, il s’affaire à sa prochaine peinture. Je me joins à lui et nous discutons tranquillement. Ses dernières toiles ornent les murs et d’autres sont déposées à même le sol.


Parle-moi de ton exposition et de ta performance

Je suis devenu ami avec Franz, mon galeriste, parce que je venais souvent à la galerie. Un jour, j’ai osé lui proposer de faire une expo. Dès que j’ai lancé l’idée, il m’a dit de penser à un concept. Moi, j’avais envie de faire des grands formats, mais je n’ai pas d’atelier; je peins dans ma chambre, je dors avec des toiles dans mon lit. J’ai dit à Franz, « bon, ben écoute, je pourrais m’enfermer ici pendant une semaine puis travailler? Comme ça, moi, ça me donne un atelier. »


Quelle a été la réponse du public face à ton enfermement?

Les gens considèrent souvent mon enfermement comme une performance. Pour moi ce n'est pas ça le concept, c’était à la base un simple accès à un atelier. Par contre, j’avais vraiment sous-estimé à quel point on aimerait que je sois enfermé, le fait que je dorme ici, que je mange ici. Parfois, je sortais un peu de la galerie prendre de l’air, parce qu’ici, l’air est saturé de peinture (j’en mets épais, c’est ça mon truc) – et 2-3 fois des messieurs s’arrêtaient :

  • Ahah! Je savais que tu n’étais pas enfermé!

Ou encore

  • Enlève-moi ton affiche, ce n’est pas vrai que t’es vraiment enfermé. Fausse publicité!

Les gens, on dirait, voulaient voir un artiste mourir. Ils voyaient ça comme un truc du genre où l’on pousse l’artiste à sa limite dans l’enfermement, mais moi ce n’était pas ça : je voulais juste un atelier.


Je suis ami avec les employés du magasin de peinture à côté et souvent, le matin en me réveillant, je recevais un texto du genre « Bon matin Tomas, je t’ai déposé un déjeuner et un café ». À la fin, je leur ai tous donné un dessin. Même des gens du quartier m’apportaient des choses.


Sur le bord de la fenêtre, j’empilais des Gurus et des tasses à café vides pour montrer aux gens que j’étais en plein travail, que je n’arrêtais pas. J’ai compté à la fin et j’ai bu 6 Gurus par jour et 3 à 4 cafés! J’ai même été contacté par l’équipe de Guru!  Au début, je dormais à même le sol parce que quand j’étais petit je dormais souvent à terre, genre à côté de mon lit. Finalement, j’avais d’immenses courbatures et des gens sont même venus me porter un matelas.


Parle-moi de ton processus créatif

Je ne manque jamais d’inspiration. Je n’ai pas le syndrome de la page blanche. Pour moi, soit j’ai envie de faire une œuvre ou je n’ai pas envie de la faire. Le matériel m’inspire beaucoup. Par exemple, en ce moment, je peins sur d’anciennes cartes géographiques. Certaines ont des trous, des rainures et ces particularités du médium guident mon pinceau, m’aident à faire apparaître un sens. C’est travailler à partir de ce qu’on a. Je n’ai pas infini d’argent! Parfois, j’ai juste un bleu. Je vais prendre celui que j’ai et l’œuvre va être adaptée en fonction de ce bleu-là. Il y a une condition matérielle à être artiste.


Artistiquement, comment as-tu vécu ton enfermement?

Les gens me demandent beaucoup si le fait d’être enfermé paraît dans mon art. Ben oui, évidemment. Chaque œuvre se répond. C’est-à-dire que, dans chaque œuvre, je découvre un truc, puis j’en commence une deuxième à partir de ça. Disons que je fais un tableau et boum! il se passe quelque chose! Il y a quelque chose qui vient de marcher, qui vient de m’étonner et là je l’attrape, le tableau est presque fini. C’est la découverte. Pendant un bout, les gens me demandaient comment je savais quand un tableau était terminé. Je leur répondais que c’était quand j’avais fait un trait de trop. Mais maintenant, quand ça arrive, la peinture va ailleurs. Ce n’est plus le même. Au début, quand j’ai commencé à peindre et que j’aimais un tableau, j’avais tendance à refaire le même après. Mais pour moi, maintenant, ce principe ne marche plus : si une œuvre est trop similaire, je la détruis, je la retravaille, je vais ailleurs. Je suis là pour être étonné. Quand les gens rentrent dans la galerie, une des premières choses qu’ils me disent c’est à quel point les œuvres sont différentes, qu’il y a une exploration. J’ai horreur de faire toujours la même chose.


Quand j’étais enfermé, je faisais tous mes tableaux en même temps. Ça me permettait d’aller me promener. Parfois, j’avais un peu trop de rouge. Là je regardais mes toiles et je voyais que ça irait bien sur un tel tableau et là boum! ça me débloquait! La peinture me renvoyait à un autre dessin qui me faisait penser à une autre toile et ainsi de suite. Parfois même c’est juste un geste ou un motif que je reprends. Ça se construit comme ça.


Est-ce que je veux passer un message? Pas vraiment, à l’exception d’un tableau que j’ai fait pour ma ville natale, Val-d’Or, dans le cadre d’un festival artistique pour parler des problèmes d’itinérance dans la ville. Pour les autres, il y a toujours une intention derrière. Je mets de l’avant des trucs, mais c’est vraiment corrélé avec l’esthétisme du tableau. Par exemple, le tableau à côté de nous, là, il parle de quelqu’un. Ce n’est pas abstrait, je ne fais jamais d’abstrait.


As-tu beaucoup de tableaux en cours?

150. (Rires) Il y en a que je n’arrive pas à finir. J’en ai un en tête en particulier. Ça fait des mois qu’il est là, je ne sais pas comment le continuer, je ne sais pas où il s’en va, mais, en même temps, j’ai peur de le détruire, d’aller ailleurs et de perdre le truc. Alors il est juste là. Un jour, je vais oser le détruire ou je vais trouver le truc pour le faire fonctionner.


Comment places-tu les autres dans ton art?

Ça, c’est intéressant parce qu’avant, quand j’avais moins d’expérience, je ne parlais pas vraiment des autres et je faisais juste m’intéresser à moi. Même dans mes tableaux, j’étais visuellement dedans. Puis, éventuellement, j’ai fait un tableau qui s’appelle L’art des autres. C’était la première peinture où je me suis décidé à me situer par rapport aux autres peintres, où j’allais devoir subir la critique, où j’allais être comparé, où je pouvais être détruit.


Mais c’est fou parce que je fais mon art pour moi à la base, mais ça touche des gens. Lors de ma dernière expo, une personne s’est mise à pleurer en regardant un de mes tableaux. Je ne m’attendais pas à ça. Je ne fais même pas de tableaux pour que les gens regardent. À la limite, je n’en ai presque rien à faire si les gens aiment ou pas. J’oublie que les gens sont touchés par l’art et, quand ça arrive, je ne comprends pas. Je fais mes trucs et ça va en avant, je ne regarde pas en arrière.


C’est quoi ton prochain projet?

Trouver un atelier! Une galerie m’a approché pour faire une autre expo, mais elle ne fonctionnait pas trop avec ce que je voulais faire alors j’ai refusé. C’est complexe, je dois bien choisir les lieux où j’expose parce que ça aussi ça contribue à définir mon style. J’ai beaucoup aimé mon expérience ici, comment mon enfermement a permis de créer une communauté. Encore maintenant, quand je me promène sur Laurier, il y a toujours des gens qui me reconnaissent et qui viennent jaser. La libraire à côté m’a dit qu’elle entendait des gens dans le magasin qui parlaient de moi en disant « notre Tomas ».


Alors que l’exposition de Tomas et surtout son enfermement avaient pour but de lui garantir un endroit où travailler, où développer des œuvres plus massives, son expérience a donné l’opportunité aux gens d’entrer dans sa création, d’y participer, que ce soit en lui apportant des vivres ou en manifestant leur présence de l’autre côté de la vitre. La réponse du public à cette démarche artistique démontre ainsi le besoin qu’ont les gens de sortir de leur quotidien. Ces choses, ces idées, qui sont particulières, osées, rassemblent, qu’on le veuille ou non.


L’art existe en dehors de nous. Le fait de créer est un acte positif. Même s’il résulte d’un besoin personnel - de créer, d’extérioriser son vécu - l’art n’est jamais individuel. Chaque personne le vivra d’une manière différente, certes, mais tous seront liés par cette mise à nu de l’artiste, son audace de montrer à tous ce qu’il vit. Créer, c’est de dire oui à l’autre, même si, à la base, on ne le fait que pour soi.

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