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Syed, Conlon, mais surtout les autres

Auteur·e·s

Gabrielle Simoneau

Publié le :

27 septembre 2022

Le 19 septembre, les États-Unis ont regardé, avec un mélange de honte et de fierté, Adnan Syed marcher dans la rue pour la première fois en 23 ans. Condamné à vie pour un meurtre qu’il n’a vraisemblablement pas commis alors qu’il était adolescent, Syed, maintenant âgé de 41 ans,  aura croupi plus de temps entre les barreaux que le contraire. Si cette fatalité dérange, on se dit qu’au moins le système aura fini par atteindre la bonne conclusion. Cette rhétorique, comme une tasse chaude du Café Acquis, nous réconforte dans notre confiance aveugle envers les institutions et leur capacité à conduire la Justice avec un grand J, alors que l’histoire de Syed démontre plutôt une série de défaillances profondes du système.

Cette rhétorique, comme une tasse chaude du Café Acquis, nous réconforte dans notre confiance aveugle envers les institutions et leur capacité à conduire la Justice avec un grand J, alors que l’histoire de Syed démontre plutôt une série de défaillance profondes du système.

En voyant les images touchantes de Syed sortant de prison, il est facile d’oublier que malgré une avocate de la défense qui ne présente pas le témoin alibi de son client (et qui sera radiée du Barreau peu après le procès), des détectives condamnés pour des conduites peu catholiques avec la preuve dans d’autres affaires, une preuve maigre d’abord circonstancielle basée sur un témoin à l’histoire changeante, les demandes d’appel de Syed ont été continuellement refusées. S’il est libre aujourd’hui, c’est en raison d’une loi de la législature du Maryland permettant la reconsidération des peines des personnes condamnées lorsqu'elles étaient adolescentes et ayant passé plus de vingt ans derrière les barreaux. En révisant son cas, le bureau de la procureure générale s’est aperçu qu’en plus des faits énoncés plus haut, la police avait non seulement omis d’investiguer deux autres suspects avec des motifs, elle n’avait pas partagé l’existence de ces suspects à la défense de M. Syed, une violation du principe énoncé dans Brady v. Maryland.


De l’autre côté de l’Atlantique et dix ans avant la condamnation de Syed, c’étaient Gerry Conlon et le reste du Guildford Four qui devenaient enfin libres après plus de 15 ans de détention pour une explosion meurtrière qu’ils n’avaient pas commise (2). Loin de s’arrêter à Conlon, la police réussit aussi à accuser et faire condamner sept membres de sa famille, le Maguire Seven, sur des hypothèses farfelues de possession de nitroglycérine. Le berceau de la common law, sous la pression de la peur ambiante, a créé une cellule terroriste de l’IRA  de toutes pièces. Le juge, avant d'octroyer à Gerry Conlon la sentence obligatoire de prison à vie rattachée au meurtre, aurait déclaré qu’il aurait préféré que la Couronne poursuive des accusations pour trahison, afin de pouvoir le condamner à mort. Pourtant, de sérieux doutes quant à la véracité des témoignages du Gilford Four, obtenus après plusieurs jours de torture, avaient été notés pendant le procès. Comme dans Syed, la police anglaise dissimula l’alibi de Conlon, prétendant faussement que l’homme (une personne itinérante) n’existait tout simplement pas (un mensonge effronté). Si Conlon et ses compatriotes ont finalement pu sortir des murs du pénitencier, le père de Gerry, Giuseppe, n’aura pas eu cette chance, étant décédé pendant son incarcération.


Dans les deux cas, il aura fallu une mobilisation citoyenne, influencée par les campagnes journalistiques remettant en question le jugement. Dans le cas de Syed, c’est le podcast Serial, avec ses cotes d’écoute faramineuses, qui a mis en lumière les irrégularités majeures du dossier de police et des manigances des détectives qui, on le sait maintenant, étaient tout simplement diaboliques. Pour le Guildford Four, ce sont la BBC d’Irlande du Nord et des journalistes du Belfast Telegraph, après l’appel refusé de 1977, qui ont publiquement questionné les conclusions du tribunal. Ces interventions ont permis, au fil du temps, de faire basculer l’opinion publique défavorable écrasante en faveur des accusés.


Cette mobilisation citoyenne, cruciale dans les exonérations de Syed et de Conlon, a toutefois permis ces erreurs judiciaires inexcusables en premier lieu. En comparant ces deux cas, une similitude saute aux yeux: les victimes des torts du système ont en commun de faire partie d’une communauté marginalisée à leur époque. Bref, Syed, un homme musulman d’origine pakistanaise, et Conlon, un jeune Irlandais squatteur, représentaient l’Autre, et inspiraient déjà les suspicions. S’il a été si facile de croire qu’ils avaient commis des actes violents, s’il a été si facile de se ranger derrière un processus policier et judiciaire aussi approximatif, c’est probablement parce que l’identité culturelle et ethnique des accusés cadrait déjà avec les idées préconçues que se faisait le public, qui formera éventuellement un jury de «pairs». La brillante avocate derrière la libération de Gerry Conlon, Gareth Pierce, qui a notamment représenté Moazzam Begg, détenu à Guantanamo, souligne, dans son livre Dispatches from the Dark Side : On Torture and the Death of Justice (3), que les nations ayant elles-mêmes souffert d’inégalités et de violences semblent oublier rapidement cette souffrance quand il en vient à l’Autre :


Repeatedly, historically, even nations which have recently emerged from the fires of hell remember the experience as it relates to themselves, but yet consign others to the same fate. Fewer than ten years after the end of World War Two, and only eight years from the UN Declaration of Human Rights, the first reports of the use of torture by the French against Algerians fighting their war of independence began to emerge, with justifications that today appear very familiar.


Surtout, Peirce nous rappelle que ce n’est pas le conflit en tant que tel, mais l’injustice au sens large, qui a mené au conflit et ultimement à l’utilisation de lois antiterroristes inéquitables et à la condamnation des Conlon:


[I]t is dangerously misleading when we look to the recent past for lessons for the present to acknowledge the many terrible wrongs in Northern Ireland’s recent history and yet to assert that it was the conflict in Northern Ireland that produced them. It was instead injustice itself, again and again, that created and fuelled the conflict.


Certes, on peut se réjouir qu’Adnan Syed, un adolescent condamné à vie pour un meurtre qu’il n’a pas commis, soit libre. On peut se dire que la suspension des droits fondamentaux en Irlande du Nord et en Angleterre est loin derrière nous. Le problème, c’est qu’il y a, en ce moment même, d’autres Syed et d’autres Conlon, qui n’ont pas la chance de piquer l’intérêt d’un podcast ou d’une avocate redoutable, ou encore de vivre dans un état démocrate avec une propension pour la réhabilitation. Pour Syed, pour Conlon, mais surtout pour les autres, on ne peut se laisser arrêter par le réconfort d’une fin hollywoodienne et ignorer la corruption judiciaire ayant mené celle-ci.

  1. Michael LEVANSON, «Judge Vacates Murder Conviction of Adnan Syed of ‘Serial’», The New York Times, 19 septembre 2022, en ligne: <https://www.nytimes.com/2022/09/19/us/adnan-syed-murder-conviction-overturned.html>

  2. Alastair LOGAN, OBE, « Guildford Four: how the innocent were framed and the truth buried», The Justice Gap, 6 mars 2020, en ligne: <https://www.thejusticegap.com/guildford-four-how-the-innocent-were-framed-and-the-truth-buried/>

  3. Gareth PEIRCE, Dispatches from the Dark Side : On Torture and the Death of Justice, New York, Verso, 2011.

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