Stuff de junior
Auteur·e·s
Jérôme Coderre
Publié le :
1 octobre 2020
Dans le milieu du hockey, que je fréquente depuis ma tendre enfance, on entend souvent cette expression, signifiant que quelque chose est un peu brouillon, échevelé, bref, qui ne fait pas très professionnel. La semaine dernière, la Ligue de hockey junior majeur du Québec (LHJMQ) avait une chance en or de se défaire de l’image peu glorieuse que l’on accole à son niveau. C’est simplement dommage qu’elle ait lamentablement raté sa chance.
Remise en contexte. Affligée par d’importants problèmes financiers — la pandémie n’ayant pas aidé —, la plus importante ligue de développement amateur de hockey au Québec (la quasi-totalité des joueurs québécois dans la ligue nationale y est passée) a demandé au gouvernement provincial de la soutenir financièrement. Le gouvernement, par la voix de sa ministre des sports, Isabelle Charest, s’est montré ouvert à l’idée, à condition que la ligue prenne des actions concrètes pour diminuer, et éventuellement enrayer, les batailles au hockey.
Parce que oui, si vous n’avez jamais écouté un match de hockey de votre vie, sachez qu’il arrive parfois que deux (parfois plus !) joueurs décident de faire arrêter le jeu, de lancer leurs gants sur la glace, et de commencer à se battre, poings nus, souvent sans leurs casques. Tout cela sur une glace, avec aux pieds des patins dotés de lames tranchantes. Absurde, non ? Juste à expliquer la séquence, j’ai de la misère à me convaincre que ça arrive vraiment. Pourtant, oui. Apparemment, ça fait partie du hockey, de la game comme disent certains. Ah bon.
C’est aussi débile que de prétendre qu’il faudrait permettre les attaques au couteau, pour diminuer le nombre de crimes perpétrés avec des armes à feu. Le raisonnement ne tient tout simplement pas la route.
Source : Inconnu
Source : Inconnu
Toujours est-il que la ligue a tenu un vote auprès des propriétaires des équipes junior. Résultat : à peine 55 % des proprios ont voté en faveur de mesures plus strictes à l’endroit des bagarreurs. Notez bien que le vote ne portait même pas sur l’interdiction desdites batailles, ce qui est pourtant le cas d’à peu près toutes les autres ligues de hockey au monde, exception bien sûr de la LNH. Trop peu pour que la ministre octroie la subvention. Elle n’a pas non plus caché sa déception en voyant le résultat du vote. Avec raison.
Le monde du hockey est rempli de bien drôle de bibittes. Parce qu’ils se sont tous prononcés cette semaine, ces hurluberlus. De ceux qui disent qu’on ne peut pas interdire les bagarres parce qu’elles font partie du hockey depuis toujours, ce qui est faux soit dit en passant ; elles étaient interdites dans les premières années de la Ligue nationale. À ceux qui prétendent que les bagarres amènent du spectacle. Pourtant, les matchs de hockey les plus excitants ont lieu lors de compétitions internationales, où elles sont formellement interdites et passibles de sanctions très sévères.
Il y a aussi ceux qui estiment que les batailles au hockey sont nécessaires pour que les joueurs expulsent leur colère et évitent de donner des coups vicieux, potentiellement plus dangereux, à la place. C’est aussi débile que de prétendre qu’il faudrait permettre les attaques au couteau, pour diminuer le nombre de crimes perpétrés avec des armes à feu. Le raisonnement ne tient tout simplement pas la route. C’est essentiellement la théorie des pulsions de Freud, bien que je doute que les gens qui gravitent dans le monde du hockey aient étudié la psychanalyse freudienne.
En réalité, un seul l’a fait : Ken Dryden. Pour les néophytes, Dryden est l’un des meilleurs gardiens de but de l’histoire de la LNH (il a gagné 6 coupes Stanley en 8 saisons). Il est aussi avocat (il a pris une pause de hockey pour terminer son bac en droit à Cornell), auteur à succès et ancien député fédéral. Dans son livre The Game, le meilleur livre sur le hockey jamais écrit, il résume avec finesse pourquoi l’approche de la LNH (et par extension de la LHJMQ) sur les batailles au hockey est mauvaise.
En réponse à ceux qui estiment que les bagarres servent de catharsis et qu’elles permettent de répliquer à un geste disgracieux, Dryden affirme que cette approche, au contraire, empêche les beaux jeux et tue le spectacle sur la glace :
« Anger and frustration can be released within the rules […] If Freud was right and anger released is anger spent, then a right hook given is a body-check missed, and by permitting fighting, the NHL discourages determined, inspired play as retaliation. »
Inspirant ? Le pire dans tout cela, c’est que ces lignes ont été écrites en 1983, bien avant que l’on comprenne l’impact des commotions cérébrales sur le cerveau, surtout pour les jeunes d’âge junior (entre 16 et 19 ans). Bien avant que des études claires démontrent que les joueurs ayant subi des commotions s’exposent à plus de dépression, d’anxiété, de problèmes de dépendance aux drogues et à l’alcool, et j’en passe.
C’était aussi avant que des histoires comme celle de Steve Montador, ancien bagarreur décédé tragiquement à l’âge de 35 ans, quatre jours avant la naissance de sa fille, ne sortent au grand jour. Montador était atteint d’encéphalopathie traumatique chronique, une affection cérébrale directement liée aux commotions cérébrales. Il a donné son cerveau à la science et les résultats donnent la chair de poule, surtout quand on sait que cette pratique est encore bien ancrée dans le monde du hockey, un sport à la base pourtant si beau et élégant.
Vraiment, cautionner encore aujourd’hui les batailles au hockey relève de la folie. Et de penser que des propriétaires d’équipes junior refusent des subventions qui pourraient aider leur sport à s’épanouir davantage, au nom du maintien de ce supposé spectacle arriéré et barbare, vraiment, ça donne mal au cœur; et c’est la crédibilité de tout le sport qui en prend un coup.
« What matters is that fighting degrades, turning sport to dubious spectacle, bringing into question hockey’s very legitimacy, confining it forever to the fringes of sports respectability »
Bref, du vrai stuff de junior.