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Sexe, cinéma, cyclisme: entrevue qui déshabille l’histoire sensationnelle du Bike Smut

Auteur·e·s

Michael Kowalsky

Publié le :

24 février 2023

Avertissement: Le contenu de cet article ne reflète aucunement les opinions de l’auteur ou des membres du Pigeon dissident. En réponse à certains des propos de l’auteur concernant l’âge et le consentement, l’équipe du Pigeon dissident a tenu à rédiger une courte réponse qui suit l’entrevue.


Nous sommes ravi·e·s d'encourager cette créativité et nous essayons de mettre le moins de barrières possible aux artistes. Nous leur disons simplement qu'il faut que le film soit propulsé par un humain et qu'il soit sexuellement positif.

On dirait un phénomène issu d’un univers parallèle, mais pendant neuf ans, des réalisateur·trice·s et amateur·trice·s ont créé un festival de films érotiques autour de la bicyclette. Bike Smut consiste en des courts métrages faits maison, parfois artistiques, parfois vulgaires, ayant tous en commun le vélo et l'amour charnel. Les films sont ponctués de pauses pendant lesquelles des circassien·ne·s sur scène font des mouvements de danse autour d’un vélo stationnaire. Après avoir assisté à la diffusion de Bike Smut ici à Montréal, j’ai contacté le directeur du festival, RevPhil, pour parler de ses expériences, motivations, inspirations, et des aspects juridico-légaux de leur projet.


Qu'est-ce qui vous a poussé à créer le festival de films Bike Smut et pourquoi avez-vous décidé de vous concentrer sur l'association du vélo et du porno?


J'ai commencé à faire des courts métrages quand j'étais enfant, peu de temps après avoir commencé à faire du vélo. Vingt ans plus tard, j'avais une communauté d'artistes joyeux·euses et queerdos à Portland qui ont relevé le défi de titiller les tétons du public tout en faisant du millage sur nos roues métaphoriques. Ainsi, l'attrait et la provocation s'alignaient sur nos politiques. Chaque année, j'étais surpris d'en apprendre davantage sur les interactions souvent invisibles entre la mobilité et la sexualité et, chaque année, je me suis senti obligé d'encourager une diversité d’artistes à contribuer à notre travail et de me pousser à livrer notre programme de films et de performances en tournée dans des endroits de plus en plus éloignés.


En voyant les réactions du public, j'ai réalisé que j'avais l'obligation de partager ce programme encore plus largement. La demande de Bike Smut n'allait pas être facilement satisfaite. Donc, j'ai quitté ma maison et j'ai commencé à faire des tournées à l'année longue. Quand je me suis finalement retiré de la production à temps plein, j'ai réalisé que j'avais donné plus de 500 représentations au cours des neuf dernières années et je me suis dit que c'était suffisant pour l'instant.


Comment est-ce que les cinéastes découvrent votre festival ? Recherchez-vous des contributions de créateur·trice·s spécifiques ou leur permettez-vous de vous contacter ?


Presque tou·te·s nos réalisateur·trice·s connaissent Bike Smut parce qu'ils et elles ont déjà participé à notre festival ou parce que leurs pairs ont réalisé un film pour nous. Il arrive souvent que quelqu'un dans une ville soit enthousiaste à l'idée de créer un court métrage, puis que d'autres personnes commencent à en parler et bientôt, ils et elles m'écrivent : « J'ai une idée de film, est-ce que je peux faire un film pour vous ? », de manière si humble! Nous sommes ravi·e·s d'encourager cette créativité et nous essayons de mettre le moins de barrières possible aux artistes. Nous leur disons simplement qu'il faut que le film soit propulsé par un humain et qu'il soit sexuellement positif.


Il y a tellement de festivals sur le marché et ils semblent tous exploiter les artistes de la même manière. Il faut payer pour soumettre son art au festival, puis passer son temps à promouvoir le festival, et enfin espérer recevoir assez d'attention médiatique à travers le festival pour que quelqu'un·e vous remarque. Les dés sont pipés contre les artistes. De plus, la plupart des festivals exigent que l'artiste renonce définitivement au contrôle du contenu. Je comprends que, d'un point de vue juridique, cela protège le festival, mais cela reste de la merde.


Y a-t-il des pays ou des cultures spécifiques qui produisent plus de films que d'autres ?


Dès la première année, j'ai remarqué que les femmes produisaient environ 70 % de nos films. Ces femmes ont vu une occasion de faire entendre leur voix et se sont lancées. C'était très satisfaisant d'avoir cette énergie. Nous avons également remarqué qu'il n'y avait aucune contribution provenant d'hommes gais. Nous avons encouragé des personnes concernées et fait de la promotion dans les communautés homosexuelles, mais rien n'a changé. Finalement, ma directrice de la création, Miss Poppy Cox, a décidé de relever le défi elle-même et a collaboré avec des gais de la région de San Francisco pour produire Derailed. Comme pour beaucoup de nos meilleurs films, le public s'est questionné sur l'authenticité des orgasmes sur l’écran. Je peux vous dire qu'ils étaient réels et qu'ils étaient bons ! Ce film a brisé la glace et, depuis lors, les hommes gais contribuent à notre festival.


Combien de fois êtes-vous venus à Montréal et quels sont les événements les plus mémorables de vos visites ?


Je crois que nous avons joué cinq spectacles différents à Montréal. Je suis riche en souvenirs! Comme le fait d'avoir été initié à la poutine lors de notre deuxième spectacle dans la salle de spectacle punk Death Church à Verdun, ou d'avoir vu Miss Poppy Cox ravir le public en français au Café l'Artère. Comme Portland, Montréal possède de fortes cultures du vélo et du sexe. Peu de villes ont des interrelations aussi puissantes entre ces communautés.


Vous affirmez que vous maintenez les normes éthiques et artistiques les plus élevées. Qu'entendez-vous par là, et comment vous assurez-vous du respect de ces normes ?


Excellente question, j'apprécie l'occasion d'en parler. L'éthique de Bike Smut est particulièrement précieuse pour toute personne qui a un vécu de marginalisation ou d'aliénation dans le mouvement ou la sexualité. Sans cette expérience « en selle », le défi peut être d'autant plus grand. Je crois que la joie et la libération que recèlent les moyens de transport à propulsion humaine et la culture positive du sexe (c'est-à-dire le fait de se déplacer par ses propres moyens et de créer un environnement exempt de honte sexuelle) peuvent aider notre société à s'éloigner d'une exploitation puritaine, destructrice de la nature et dominée par la voiture. Nous offrons aux artistes une plateforme sécuritaire pour créer leur propre vision de la mobilité sexualisée (ou de la sexualité mobilisée) dans un espace intime où les invité·e·s réalisent que c'est souvent leur seule occasion de voir ce spectacle. Nous ne produisons pas de DVD et nous ne mettons pas les films en ligne (même si les artistes peuvent le faire et que nous créerons des liens vers leur contenu). Les artistes conservent les droits sur leurs films pour qu'ils et elles puissent rester maîtres de leur propre corps. Quelques artistes nous ont demandé de ne plus montrer leurs œuvres et, bien que cela soit difficile à entendre, nous nous y conformons.


Nous faisons de notre mieux pour vivre nos convictions. Nous travaillons avec des artistes et des organisations locales pour intégrer les luttes régionales dans le spectacle. Par exemple, lors des Jeux olympiques à Vancouver en 2010, nous avons réalisé un spectacle inspiré de Dirty Dancing. À la fin, j'ai soulevé une artiste en l'air et elle a écarté les jambes, révélant le message « Fuck (the 5 Olympic Rings) » sur l'intérieur de ses cuisses. Peu de festivals de films tournent et encore moins veulent être impliqués dans ce genre de choses. Il est plus facile de fournir un spectacle tout fait à répété, de prendre votre argent et de passer au spectacle suivant.


La plupart des festivals sont de grands parleurs, petits faiseurs. Ils dépensent une grande partie de leur budget en publicité. Nous n'avons pas de relations avec les médias ou d'argent pour acheter des publicités. Ce que nous avons, c'est de foutues bonnes politiques et de l'art; c'est ce que notre communauté nous donne et ce qu'elle exige de nous. Vivre ces principes n'est pas facile, mais cela donne un niveau d'authenticité auquel les autres festivals ne peuvent se mesurer.


Comment vous assurez-vous qu'il n'y a pas de personnes mineures dans les films ?


Avez-vous consulté les différentes lois sur l'âge de consentement dans le monde? Je repense souvent à Prometheus Rising de Robert Anton Willson, dans lequel il décrit ainsi l'histoire des lois sur le sexe : « Il y a deux mille ans, dans l'Égypte ancienne, la règle était la suivante : si vous étiez le pharaon, vous deviez épouser votre sœur. Actuellement, nos dirigeants ne doivent pas épouser leurs frères et sœurs. En un laps de temps relativement court, les lois sexuelles les plus importantes ont été complètement inversées. La seule règle qui n'a pas changé est celle-ci : nous devons tous suivre la règle, quelle qu'elle soit. » Je crois que le but de cet exercice mental est de prendre du recul et d'essayer de comprendre comment la société nous façonne alors que nous participons à façonner les autres.


Dans notre culture, une personne n'est pas légalement autorisée à contribuer ou à accéder à quoi que ce soit de sexuellement explicite pendant 6 204 jours, mais le 6 205e jour, tout change. Nous sommes soudainement propulsé·e·s dans notre propre agentivité. Beaucoup ne sont pas préparé·e·s à ce changement ; pendant ce temps, certains mineur·e·s sont plus matures que les adultes qui lisent cet article. La capacité d'introspection est si faible que la plupart des gens sont frustrés et décident de faire ce qui est le plus facile et de retourner à n'importe quelle distraction qui leur permettra de se libérer l'esprit.


Si nous avions des raisons de soupçonner qu'il y a eu violation du consentement, nous ferions de notre mieux pour comprendre la situation. Bien que nous restions un festival « d'artistes créateur·trice·s », la question ne s'est jamais posée.


Comment vous assurez-vous que personne n'est forcé·e ou contraint·e de faire un film contre son gré ?


Avez-vous déjà travaillé pour de l'argent ? Qualifieriez-vous de coercition le besoin d'acheter de la nourriture et de payer un loyer ? Notre société ne s'inquiète de la coercition que s'il s'agit de sexe. Dans ce cas, c'est le sexe, et non la coercition, qui met les autres mal à l'aise. En fin de compte, on ne peut pas savoir ce qu'il y a dans le cœur des autres, mais je peux vous dire que si vous enlevez l'argent de l'équation, il n'y a plus aucune motivation pour faire autre chose que créer l'art qu'ils et elles veulent, et c'est plus libérateur que n'importe quoi d'autre.


Avez-vous déjà eu des problèmes avec les autorités locales  (par exemple, les douanes, la police ou les autorités politiques locales) ?


J'ai été retenu à la frontière canadienne pendant presque toute une journée en attendant qu'un expert en obscénité examine un livre de dessins osés. L'expert était gêné que je sois détenu et a choisi avec soin les quelques mots qu'il se sentait à l'aise de partager avec moi pour me dire: « restez calme et tout devrait bien se passer ». Ces gardes pensaient qu'ils allaient me coffrer pour pornographie infantile. J'ai dû leur expliquer calmement qu'il s'agissait de simples dessins au trait et qu'il semblait même y avoir des poils pubiens. Ils n'étaient absolument pas préparés à la tâche de « protecteur de la société » à laquelle ils avaient été assignés. Mais c'est le cas de la majorité des gardes-frontières que j'ai rencontrés.


Avez-vous déjà eu des problèmes avec les autorités religieuses ou morales locales ?


L'une de mes soumissions préférées est celle d'une amie qui pratique des accouchements et des avortements. Elle connaît les vagins, sait comment les ouvrir et y introduire sa main. La série de vignettes noires qu'elle a réalisée comprend ce qu'elle m'a dit être une démonstration de la bonne technique pour effectuer un fisting (pénétration au moyen du poing). Ce sont des films vraiment passionnants et magnifiques. Durant une tournée en Turquie, nous avons fait une présentation juste devant la place Taksim à Istanbul. Après coup, on m'a dit qu'une personne avait été lapidée à un pâté de maisons de là pour avoir montré un contenu similaire. Quelques semaines plus tard, en Hongrie, j'ai appris qu'une menace de mort avait été proférée et qu'une tentative d'assassinat avait échoué par des fascistes qui n'aimaient pas que je présente des films gais radicaux. Ces exemples proviennent d'une perspective conservatrice, mais « l'autorité morale » peut aussi venir de la gauche. Nous sommes tou·te·s vulnérables à la mentalité de la foule.


Quelqu'un a-t-il déjà essayé de vous poursuivre en justice (par exemple, pour indécence, propriété intellectuelle ou autre) ?


Non, et honnêtement, il n'y a pas grand-chose à gagner.


Comment s'assurer que vous ne montrez pas quelque chose qui est illégal dans la région où vous tournez ?


De quelle loi s'agit-il ? Considérez l'idée de « normes communautaires » et de ce que cela signifie réellement. Une communauté doit définir elle-même les normes qu'elle attend. À Portland, nous avons plusieurs affaires juridiques qui soutiennent que le droit à l'expression est plus important que la protection d'une vague notion de pudeur. Cela est dû en grande partie à des événements tels que la World Naked Bike Ride, dont je suis fier d'avoir été un fervent défenseur. Le public qui choisit d'assister à un spectacle de Bike Smut le fait en toute conscience. Le droit de se réunir et de s'engager est plus important pour une société libre que n'importe quel argument qu'une autorité « morale » pourrait essayer de faire valoir.


Quelle est, à ton avis, la chose la plus bizarre que tu aies jamais vue présentée dans un film ?


C'est dur de me demander ça! Une « coupe de cheveux forcée » était un bon exemple de non-consentement consensuel. Un cycliste ayant une crevaison rentre chez lui à pied lorsqu'il voit une personne qui répare des vélos dans son garage. Pendant que la musique devient plus grave, le mécanicien «prend quelques mesures » tout en attachant le cycliste involontairement à son guidon. C'est un moment inconfortable et fugace. C'est alors qu'un autre rebondissement se produit : la musique passe à un air léger et le mécanicien commence à couper avec amour les cheveux du cycliste.


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Je remercie infiniment la collaboration de Bike Smut pour cet entretien. Si la lecture vous inspire à faire un tour au cinéma L’Amour sur le boulevard Saint-Laurent, j’espère que vous vous y rendriez en sécurité et que vos lumières soient vertes !

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