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Sans bonhomme sourire

Auteur·e·s

Adam Wrzesien

Publié le :

6 février 2021

Ayoye. J’aimerais avoir un mot plus intelligent, plus significatif, pour débuter ce texte. Mais vu les circonstances, savez-vous, ça va être celui-là. La dernière fois qu’on s’est parlé, fin décembre c’est-à-dire, on n’était pas moins épuisés. Neuf mois de mise sur pause pour deux semaines, ça rentre dans le corps — même si beaucoup d’entre nous, moi y compris, avons la chance de garder un confort considérable. La différence, toutefois, c’est qu’on était naturellement remplis de grands espoirs. 2020, annus horribilis autant qu’on en ait connu une dans nos vies, tirait à sa fin. La session d’automne 2020, celle qu’on appréhendait dès que l’Université avait annoncé qu’elle se déroulerait en ligne, était finie. 2021 s’en venait, c’est ce qu’on martelait avec joie, avec une sorte de certitude naïve que le simple changement de l’unité allait balayer l’haïssable réalité qui était devenue la nôtre. Pour nous aider à fabuler, les campagnes de vaccination débutaient en grande pompe partout à travers le monde. 2021, ça allait être une autre game.


Comme moi, vous aviez peut-être un ou deux amis proches sur appel vidéo en regardant le Bye bye — comme nous, vous vous êtes certainement bombardés de félicitations pour avoir passé à travers 2020, au terme du décompte de minuit. « On l’a fait, mon chum, hostie. On l’a eu. We fucking did it. »


Sauf que… non.


Donc ayoye, dis-je, parce qu’avec le premier mois de 2021 déjà derrière nous, on ne sait pas trop avec quoi on se retrouve. En tout cas, pas avec ce qu’on espérait. Autour du 2 janvier, déjà, quand les émissions de fin d’année étaient passées, quand la tourtière était mangée et quand on a bien vu que rien n’avait changé — premier coup dur. Qu’est-ce qui pouvait bien changer ?

La fin de 2020 était déjà une période de scandales aux deux semaines — maintenant, dans les deux ou trois dernières semaines, les exemples s’empilent déjà.

Un des grands espoirs de changement subit en 2021, pour beaucoup d’entre nous, était de voir la politique américaine s’assainir — le 6 janvier, on a eu l’assaut du Capitole. Cette scène d’un effrayant ridicule a su rajouter à notre angoisse, tant elle portait des germes de conflit civil chez notre grand voisin. Devant toutes les forces pouvant être en cause dans un conflit embrasant les États-Unis, notre frontière n’en est qu’une de papier.


Et comme de fait, le 9 janvier, c’est chez nous qu’ont retenti les sirènes. Or, ce n’était pas la guerre — fiou — mais bien une belle alerte multiplateforme (essaye de faire taire ton cellulaire, ta tablette et ta télévision qui se mettent tous à crier en même temps pendant que tu manges ton souper tranquille) annonçant le couvre-feu. Coup nécessaire, mais aussi dur, celui-là. Désillusion consommée de nos espoirs naïfs de voir une fin magique à la pandémie et à tout ce qu’elle implique. La situation qui virait à l’incontrôlable alors même qu’on croyait que les vaccins étaient en voie de tout régler, au lieu de permettre le relâchement que l’on avait si longtemps espéré, a fait en sorte qu’on doive s’enfermer encore plus. À moins, bien sûr, qu’on parte à Cancún. Ça, c’était encore chill.


L’étau s’est resserré pour tout le monde. Pour les étudiants, déjà fatigués, car souvent oubliés, l’échéance des mots « synchrone » et « asynchrone », ainsi que le retour du presque oublié « présentiel », se sont éloignés de beaucoup. Même l’Université de Sherbrooke est rendue presque totalement à distance. On comprend que le moral soit bas.


Chez nos cousins français, d’ailleurs, même son de cloche. Le 12 janvier, c’est le jour où une deuxième — une deuxième — étudiante française a tenté de se défenestrer depuis le début de l’année. Ici ou là-bas, précarité financière, fragilité psychologique, surmenage, isolement : si vous êtes chanceux, comme je le suis, vous ne connaissez peut-être qu’un de ces troubles; si vous l’êtes moins, peut-être jonglez-vous avec les quatre, et quelques autres en surplus. « Quelle job cruelle », dirait Plume. Quelle job cruelle, y’a pas à dire. Si je le cite ici, c’est bien parce que les textes décapants de Plume Latraverse noient dans l’humour noir du pire goût imaginable le mécontentement, la rage, l’impression de se sentir oublié par sa société.


C’est bel et bien le sentiment d’oubli qui rend l’expérience étudiante de la pandémie assez particulière. Tout au long du mois, des textes, des lettres ouvertes, ont fusé partout dans le monde. Au Québec, certains textes ont visé dans le mille, tellement dans le mille que le premier ministre a jugé bon d’y répondre.


Une belle réponse, que celle de Legault le 16 janvier. Sauf le bonhomme sourire après le « Lâchez pas ». Parce qu’on ne rit pas. Vous l’avez remarqué, qu’on ne rit plus.


On avait déjà vécu neuf mois de pandémie, oui, mais jamais un janvier de pandémie. Parce qu’à vrai dire, c’est aussi ça, janvier, tous les ans. Ensevelis sous la neige, privés de la lumière du jour, d’autant plus lorsque les heures de travail ou de cours coïncident avec les heures d’ensoleillement, nous sommes moroses : soit de devoir gratter notre pare-brise, ou bien de geler dehors puis d’avoir chaud dans le métro. Nous sommes irrités de marcher dans la sloche; nous sommes stressés de glisser sur une des nombreuses côtes autour de l’Université. À moins de ne jurer que par les sports d’hiver, l’amour pour janvier est un phénomène rare.


D’habitude, janvier est généralement un grand mois de fêtes et de chaleur humaine, notamment avec le Carnaval, qui vient ramener la gaieté et l’enthousiasme dans la morosité inévitable qui suit le temps des Fêtes et les vacances — tant attendus, consommés, puis terminés. C’est aussi ça qu’il nous manque. Cette année, on ne peut pas compenser pour janvier comme on le fait à l’habitude. Eh bien, on le prend mal.


Le monde est en colère, tant chez nous qu’ailleurs. La fin de 2020 était déjà une période de scandales aux deux semaines — maintenant, dans les deux ou trois dernières semaines, les exemples s’empilent déjà. Les vacanciers, les hassidiques, ou, à la Faculté, l’article anonyme d’un membre de la section A dans le journal qui publie ces lignes… La colère ne sait plus par où sortir, elle prend toutes les occasions. La seule chose qui n’a pas mal tournée, dans la mesure où on ne considère pas la nécessaire présence de l’armée à tous les points stratégiques pendant une passation de pouvoir comme un évènement ayant « mal tourné », c’est l’investiture de Joe Biden — et vraiment, on ne sait pas trop pourquoi.


Autrement, McGill, qui semble souvent si loin tant ce qui s’y produit paraît déjanté, mais qui se trouve pourtant juste de l’autre bord de la Montagne, n’a pas dérogé à la tendance : des étudiants en littérature, désemparés d’avoir lu un mot offensant (que vous devinez) dans une œuvre datée, ont revendiqué — et obtenu — le droit de ne pas lire certaines pages, voire certaines œuvres qui risquent de les brusquer. Ces étudiants plaidaient qu’ils étaient profondément bouleversés, certains avaient même vu leur détresse se traduire en symptômes physiques. D’autres plumes plus éloquentes ont attaqué le sujet, et je m’abstiendrai de déchirer ma chemise et de me demander si l’État devrait subventionner des établissements qui n’ont plus pour but de transmettre le savoir, mais bien de flatter uniquement dans le sens du poil. Je dirai ceci, toutefois : la colère ambiante y est pour beaucoup. Je refuse, oui je refuse, de croire qu’une telle chose se serait produite à un autre moment qu’en janvier 2021. Le monde est à bout, le monde fait des conneries. Là où je travaille, les gens qu’on aide sont aussi à bout. Ils sont décidément plus bêtes qu’en décembre. Peut-être bien que moi aussi.


C’est difficile. Mais on n’a pas le loisir de s’arrêter.


Les délais se rajoutent, s’étirent et se rallongent, mais les vaccins s’en viennent. La fin, la vraie fin de 2020, n’est pas à nos portes, mais elle est prévisible.


Chaque jour, on fait ce qu’on doit. Ça, ou on le remet à plus tard, et on finit par le faire à la toute dernière minute — mais ça, on le faisait déjà avant. C’est l’important. Nous sommes étudiants, et chacun d’entre nous est bien plus encore. Plusieurs ont bien d’autres devoirs : professionnels, familiaux, communautaires. Chaque fois que je parle à un ami et qu’il me raconte ce qu’il fait de ses journées, je suis impressionné.


Impressionné, parce que dans toute cette folie, je vois des gens qui continuent. Impressionné de voir mon équipe, au travail, où on se salue tous, chaque matin, malgré la distance. Impressionné, quand je vois que, moi aussi, je continue à faire ce que je dois.


En étudiant, tant bien que mal entendons-nous, nous contribuons toujours à bâtir notre avenir, et avec le nôtre, celui du Québec. En travaillant, nous fournissons des services essentiels à des quantités phénoménales de gens. En nous impliquant, que ce soit au sein de notre famille ou plus largement, on aide tout simplement les autres à tenir le coup. Et ce ne sont là que quelques exemples de toutes les façons desquelles nous restons à notre poste. Au-delà de notre colère, légitime et dont les revendications doivent continuer d’être portées, voilà le plus important : notre société, nos communautés, qui s’attendent à ce que chacun d’entre nous fasse son devoir pour le bien commun.


En décembre, je m’interrogeais sur l’ampleur de la tâche qui allait nous incomber en 2021. Eh bien, maintenant, tout est clair.


Je vous le dis sans bonhomme sourire, je vous le dis à l’impératif :


Lâchez pas.

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