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Sans annulation

Auteur·e·s

Adam Wrzesien

Publié le :

15 mars 2021

Ce texte se veut une réponse à la chronique « Wokes identitaires » de Me Frédéric Bérard, parue dans le journal Metro le 10 mars 2021.


Les demandes pour faire (re-)rebaptiser l’aéroport de Dorval font définitivement couler beaucoup plus d’encre que je ne l’aurais imaginé il y a deux semaines. Les habitués de la cause nationaliste et indépendantiste — avec lesquels je ne cacherai pas mon affinité — se sont fait entendre, on s’y attendait, pour pourfendre Pierre Trudeau et mettre en valeur la candidature, entre autres, de René Lévesque au rang prisé d’aéroport. Or, au moment où j’écris ces lignes, la pétition demandant très exactement cela a dépassé les 30 000 signatures — et d’autres pétitions parallèles, proposant d’autres noms, récoltent aussi des nombres impressionnants d’adhérents. Voilà pour mon pessimisme.


Mais pour l’auteur de la chronique Wokes identitaires, parue au matin du 10 mars dans le Metro avec un titre qui n’en laisse pas gros à l’imagination, il s’agit là d’autant de cancelleurs en puissance. N’ayons pas peur de lire le sous-texte : des hypocrites, au pire, car ces gens — à l’image des Québécois en général, j’ose le rappeler — tendent à dénoncer lesdites pratiques de cancellation quand un scandale y attenant se présente. Au mieux, ce sont là des naïfs qui, par leur bêtise, se « vautr[ent] dans les marasmes visqueux de la théorie de l’annulation ».


Avec égards pour son auteur, que je tiens dans la plus grande estime, je suis d’avis que cette chronique reflète très mal la réalité, en plus de s’articuler autour de paralogismes évidents.

Pierre Elliott Trudeau est très certainement un grand Canadien. Je dirais même, un grand Canadien français. Mais l’homme n’est assurément pas un grand Québécois.

Loin d’être avare de superlatifs, le chroniqueur ouvre le bal en citant « ouï-dire spectaculaire de l’affaire », alors qu’on parle de politique, voire de diplomatie, et non de droit. Je conçois la tentation de transposer les critères de la Commission d’enquête sur les Pommes aux activités du Bureau de vérification des Oranges ; mais comme le disait Horacio au temps des Tartelettes, un moment donné, on se rend compte que ce n’est pas le même fruit. Un avocat qui dit au juge « un tel a dit telle affaire » risque en effet de perdre sa cause. Mais un diplomate qui dit « un chef du gouvernement a dit qu’il allait saboter une économie », ça a parti des guerres, vous savez. Je pense qu’on a le droit à un petit scandale.


Puis, la chronique se poursuit dans la conversation imaginée — comique, j’en conviens — entre une personne présentée comme raisonnable, exaspérée par l’autre, un typique homme de paille nationaleux, ostentatoirement fallacieux et un peu colon. Ce qu’on en comprend : renommer l’aéroport — qui n’a pris le nom de Pierre Elliott Trudeau qu’en 2004, rappelons-le — serait un acte d’annulation du personnage, dès lors analogue aux attaques subies tant par des personnages historiques que par des personnes bien vivantes durant les derniers mois aux mains des tenants du terrorisme intellectuel. En gros, les cancelleurs demandent qu’on cesse d’honorer des personnages qu’ils n’aiment pas ; les signataires veulent enlever à Dorval le nom de PET ; ergo, les signataires sont des cancelleurs, au même titre que les lapideurs de Lieutenant-Duval.


L’homme de paille souhaitant annuler complètement Pierre Trudeau puisqu’il serait « un réel enfant de chienne » existe sûrement. J’avoue ne pas l’avoir repéré, pour l’heure ; mais il est sûrement là, quelque part, je dirais, entre Lacolle et Kuujjuaq. Or, apparenter la volonté de nommer Dorval autrement à l’annulation est un paralogisme flagrant, dès lors qu’il est aisé de le partager sans songer une seconde à la vertu de l’ancien premier ministre.


Car il ne s’agit justement pas de savoir si le père Trudeau était gentil ou méchant. Ni même, en fait, de savoir s’il était un traître. Objectivement, comploter pour faire perdre l’emploi à des gens qui ne s’en doutent même pas et qui continuent de te faire si confiance qu’ils t’élisent à 68 % des voix et te donnent tous les sièges du Québec, moins Joliette… Si ça ce n’est pas de la trahison, ben je m’appelle Micheline. Mais on s’en fout, de ça aussi. En fait, c’est bien plus simple.


Pierre Elliott Trudeau est très certainement un grand Canadien. Je dirais même, un grand Canadien français. Mais l’homme n’est assurément pas un grand Québécois. Non pas car je ne l’aime pas, mais bien parce qu’il serait le premier à se retourner dans sa tombe s’il était appelé ainsi. Pour reprendre les phrases citées par le personnage nationaleux dans la chronique du Metro, Pierre Trudeau ne veut pas faire partie du « dégueulasse peuple de maîtres-chanteurs », des « mangeurs de hot-dogs ». Et encore là, dois-je le rappeler, cela n’a rien d’un jugement de valeur! Pour lui, l’identité québécoise était un relent rétrograde de duplessisme, et il valait bien mieux que les Canadiens français demeurent tels quels et tentent de prendre leur place au sein du Canada, from côste-tou-côste. Paf, voilà, simple de même.


On dit souvent qu’au terme de la Révolution tranquille, c’est la vision du père Trudeau qui a triomphé, plutôt que celle de Lévesque, car le Québec fait toujours partie de la Fédération. Pourtant, dans la vision ainsi déclarée victorieuse, il n’existe ni de nation québécoise ni de Québécois dans une mesure autre que « Canadien (— français ?) habitant la Province de Québec ». Or, cette nation et cette identité sont désormais des faits largement acceptés comme évidents, tant chez les souverainistes que chez les fédéralistes, excluant un partisan de notre annexion par l’Ontario, si vous me permettez mon propre homme de paille. Pour l’heure, la nation québécoise existe, et elle a un territoire, sur lequel se trouve l’aéroport de Dorval — de compétence évidemment fédérale, mais j’y reviens — et cette vitrine de la nation ne devrait pas porter le nom d’un grand Canadien français qui s’en est sans cesse constitué l’adversaire. Non pas car l’homme serait méchant ou traître, mais bien pour les mêmes raisons qu’il n’y a pas d’aéroport Napoléon-Bonaparte à Londres ni de gare Catherine-la-Grande à Varsovie ni d’école Denise-Bombardier à Tracadie.


Je m’avance : s’il s’agissait d’un aéroport devant voir le jour à Saint-Boniface, Manitoba ; mis à part un évident Louis-Riel, il ne trouverait pas meilleur nom que Pierre Elliott-Trudeau, qui est et sera toujours, sans annulation possible et au risque de me répéter, un grand Canadien français, peu importe les vacheries qui lui sont attribuables. Mais il s’agit ici de Montréal, Québec. « On le sait, hein, tokébakicitte », me dira-t-on. Ben savez-vous, la dernière fois que j’ai checké la carte, c’était encore le cas, oui, merci.


Le fait que les installations aéroportuaires soient de compétence fédérale ne signifie pas que cette compétence fédérale doit être exercée envers et contre le Québec. Autrement, je serais un souverainiste, pour le dire ainsi, beaucoup moins calme. Si la volonté nationale québécoise devait se manifester, plus tard, via l’Assemblée nationale, à l’effet de demander un nouveau nom pour l’aéroport de Dorval, pourquoi nous enfoncer PET dans la gorge? Elle est là, la vraie question, au final. Je comprendrais, si le fédéral devait absolument travailler à nier la nation demanderesse ; mais si même une Chambre dominée par les conservateurs de Harper — pour info, c’est loin d’être Gérin-Lajoie, ce gars-là — était capable de directement la reconnaître, alors on conçoit mal qu’une simple demande de respect toponymique se heurterait à une quelconque mauvaise foi de la part des libéraux.


Les signataires de toutes les pétitions qui ont fait couler tant d’encre, dont maintenant la mienne, savent très bien que le premier ministre actuel est le fils de l’autre. Être en désaccord avec le chef d’un gouvernement, a fortiori minoritaire, n’est toutefois pas la première de mes angoisses.

NDLR : Cet·te auteur·trice a choisi d'utiliser son droit de retrait quand à l'application de la politique de rédaction inclusive du journal Le Pigeon Dissident prévue au Chapitre VIII.1 de ses Règlements généraux.

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