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Reflet d’une confiance perdue : l’importance de la représentativité dans la profession juridique

Auteur·e·s

Ndeye Oumy Ba

Publié le :

5 décembre 2021

Le 20 novembre dernier se tenait la deuxième édition du marathon « Lumière sur le profilage racial » de la Clinique juridique de Saint-Michel. Pendant plus de 12 heures, plusieurs victimes de profilage racial bénéficiaient d’une plateforme par laquelle ils pouvaient enfin raconter leurs histoires, et par la même occasion, sensibiliser la population québécoise sur cet enjeu qui est le nôtre. J’ai moi-même eu l’occasion de témoigner durant le live, et j’ai par la suite reçu une dizaine de messages privés de remerciements et d’encouragements de la part de jeunes qui se sont reconnuᐧeᐧs dans mon histoire. Je venais de me libérer d’un fardeau qui avait trop longtemps pesé sur mes épaules. J’ai dormi la conscience tranquille ce soir-là.

Aujourd’hui, la femme que je suis ‒ noire, voilée, venant du hood ‒ ne s’est pas limitée à cet état de fait. Mais malgré moi, le simple fait d’exister au sein de cette Faculté envoie un message fort : « Si elle a pu le faire, alors moi aussi. »

Le lendemain matin, j’ai reçu un message de félicitations de la part d’un jeune homme. Son approche et le choix de ses mots laissaient présager qu’il n’exprimait pas clairement le fond de sa pensée. J’ai de bon gré entretenu une conversation avec lui, mais j’étais bien décidée à lui faire cracher le morceau. Puis, sur mon écran, est apparue une question. Une question que j’avais beaucoup trop souvent entendue, une question à laquelle j’avais trop souvent répondu : « Comment une fille comme toi s’est-elle retrouvée en droit? »


Ce message m’a immédiatement ramenée à ma première journée à la Faculté de droit, la fameuse journée d’accueil. Après les nombreux discours et une visite de la Coop, nous étions tousᐧtes réuniᐧeᐧs au Café acquis. Un soda à la main, je marchais dans la foule dans l’espoir de tomber sur un visage familier, quelqu’un qui me ressemblait ou juste une âme charitable qui voudrait bien discuter avec moi. Malgré tout le brouhaha, j’ai réussi à saisir les quelques propos d’une discussion entre étudiants :


  • Oui, mon père est avocat et je voulais suivre ses pas, ma mère aussi, mais j’ai fait un bac en sciences po avant.

  • Moi, je viens directement du cégep. J’étais à Brébeuf.

  • Moi, André-Grasset.


J’ai eu un malaise, un haut-le-cœur :  j’ai réalisé que j’étais une parfaite intruse.


Trois ans plus tard, la question de ce jeune homme me ramenait à cet endroit précis.


J’ai trouvé le courage de lui demander ce que c’était qu’une fille comme moi.


Il m’a répondu : « Ben une fille noire, voilée, qui vient du hood »


Je suis passée à travers toute une gamme d’émotions, mais sur le moment, je suis restée bouche bée.


J’ai simplement laissé un « vu ».


L’épiphanie !


Depuis l’assassinat de Georges Floyd, le monde est devenu tout autre : plusieurs reconnaissent enfin les lacunes et failles d’un système qui perpétue l’injustice et l’oppression envers les minorités. On n’aura jamais autant entendu parler de programmes d’équité, de diversité et d’inclusion, de discrimination positive, de culture inclusive, etc. Il y a certainement une volonté de la part de certaines institutions de changer leur culture interne et de prendre les mesures nécessaires afin de combattre la discrimination systémique. Mais la bonne volonté suffit-elle?


Les plus récentes statistiques sur les taux d’arrestations, les pratiques policières et les taux d’incarcération révèlent nettement une surreprésentation des minorités ethnoculturelles à toutes les étapes du système de justice. Ces données s’accordent mal avec l’image d’une société prônant l’égalité de tous devant la loi. Paradoxalement, il y a une sous-représentation des personnes issues de la diversité dans l’effectif policier et dans la profession juridique. Et non, le gène de la criminalité n’est ni noir ni autochtone.


Dans son rapport annuel le plus récent, le Barreau du Québec indique que seulement 2748 avocatᐧeᐧs sur 28 349 membres appartenaient à des groupes ethnoculturels, soit seulement 9.6 % des membres (1). Par ailleurs, le projet « Forum – Pour une profession inclusive » avait été mis en place afin d’identifier les actions nécessaires pour permettre une plus grande diversité et inclusion dans la profession. Dans cette même veine, tout récemment, le Jeune Barreau de Montréal (JBM) a adopté sa « Déclaration pour la diversité ethnoculturelle et l’inclusion », posant ainsi des gestes concrets afin d’assurer notamment une meilleure représentativité des avocatᐧeᐧs issuᐧeᐧs de la diversité (2).


L’importance de la représentation


Dans la foulée des discussions sur la confiance du public en la justice, une question s’impose : comment un individu qui ne se reconnait ni en la personne qui le représente, ni dans le magistrat qui décidera de son sort, peut-il concevoir la légitimité de ce système sans le remettre en question ? Transposée dans un contexte systémique, une certaine méfiance s’est cristallisée autour de l’expérience collective et individuelle des minorités face à un système de justice qui a constitué, de l’époque coloniale jusqu’à nos jours, une source importante d’ostracisme et de sous protection.


Pire encore, l’absence de la diversité culturelle dans le monde juridique cautionne l’idée selon laquelle la justice est l’apanage d’une certaine aristocratie cherchant à asseoir et maintenir son emprise sur les minorités. Dans l’imaginaire collectif, la justice ne serait qu’un leurre, l’espoir des rêveurs prisonniers de leurs idéaux ; au pire, elle ne serait que l’incarnation d’une dictature sournoise et perfide.


Bien sûr qu’une meilleure représentation de la population au sein des institutions, y compris dans le milieu juridique, serait idéale afin de combattre les nombreux préjugés. La plus grande présence de juristes issuᐧeᐧs de divers groupes ethnoculturels répond non seulement aux besoins exprimés par les justiciables, mais aussi aux impératifs d’une nouvelle ère. L’heure est au cosmopolitisme; le bon juriste est celui qui ne se contentera pas uniquement du droit, mais bien celui qui sera sensible aux réalités de la vie de son client et qui fera preuve d’audace lorsque viendra le temps de défendre ses intérêts. C’est comme ça que le droit se meut, c’est comme ça que le monde devient un peu plus juste…


J’ai tendance à dire que le droit est l’arme la plus puissante qu’une personne puisse détenir, et c’est encore plus vrai lorsqu’il s’agit d’une personne issue de la diversité. Unᐧe mauvaisᐧe avocatᐧe ou magistratᐧe le sera, peu importe la couleur de sa peau, son origine ethnique ou sa religion; or, le contraire peut être tout aussi vrai. Mais pour le savoir, il nous faudra une place à la table.


Aujourd’hui, la femme que je suis ‒ noire, voilée, venant du hood ‒ ne s’est pas limitée à cet état de fait. Mais malgré moi, le simple fait d’exister au sein de cette Faculté envoie un message fort : « Si elle a pu le faire, alors moi aussi. »


Au moment où j’écris ces lignes, je repense à ce fameux message et au fond, j’aurais voulu que la question soit tout autre :


« Pourquoi n’y a-t-il pas plus de gens comme toi en droit ? »

Sources citées:


  1. BARREAU DU QUÉBEC, Rapport annuel 2020-2021, en ligne :  https://www.barreau.qc.ca/media/2862/4-rapport-annuel-2020-2021.pdf

  2. JEUNE BARREAU DE MONTRÉAL, Le JBM adopte la Déclaration pour la diversité ethnoculturelle et l’inclusion et encourage tous les membres de la communauté juridique à contribuer à sa mise en œuvre, en ligne : https://ajbm.qc.ca/le-jbm-adopte-la-declaration-pour-la-diversite-ethnoculturelle-et-linclusion-et-encourage-tous-les-membres-de-la-communaute-juridique-a-contribuer-a-sa-mise-en-oeuvre/

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