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Réflexions sur un projet de loi violent

Auteur·e·s

Celeste Trianon

Publié le :

21 octobre 2022

Il y a un an, j’ai dû m’assumer comme activiste – non à cause de ma volonté, mais plutôt à cause d’un ministère qui ne consulte pas le monde.


Depuis des années, les familles québécoises attendaient une loi qui assurerait que leurs réalités soient couvertes. En même temps, une autre communauté s’impatiente: la communauté trans.



Ce projet de loi était violent, et aurait pu être mortel si adopté tel quel.

À la suite d’une victoire constitutionnelle historique, le “jugement Moore” (après Gregory Moore, j.c.s.), plusieurs articles du Code civil ainsi qu’un article du Règlement relatif au changement de nom et d’autres qualités de l’état civil (RLRQ, c. CCQ, r. 4) ont été déclarés inconstitutionnels parce qu’ils violaient le droit à l’égalité, entre autres, des personnes trans et non binaires. L’exigence de citoyenneté pour le changement de nom et de la mention du sexe (arts. 58 et 71 C.c.Q) a été déclarée inconstitutionnelle avec effet immédiat. Les personnes non binaires étaient finalement reconnues, les mentions binaires « femme » ou « homme » allant à l’encontre de leur droit de pouvoir s’autoidentifier. Les parents trans peuvent finalement changer leur désignation parentale en tant que « mère » ou « père », et peuvent s’autodéclarer comme « parent » – une victoire majeure pour les familles queer et trans du Québec. Une autre conclusion dudit juge – que l’exigence de fournir une lettre d’un⋅e médecin ou d’un⋅e professionel.le en santé mentale pour les adolescent.e.s trans est inconstitutionnelle – a été portée en appel par le Procureur général du Québec; c’était décevant, mais, recopiant les mots de mon collègue et ami Samuel Singer, co-demandeur au litige, « ça n’a pas pu me préparer pour qu’est-ce qui allait venir ».


Le 21 octobre 2021, la bien attendue refonte du droit de la famille a été présentée à l’Assemblée nationale. Tout avait l’air beau… jusqu’à l’article 23. Je vous le laisse lire, vous allez comprendre instantanément pourquoi ce moment a été décrit comme le «9/11 de la communauté trans québécoise».


(voir tableau)


Un bond en arrière de 43 ans, n’est-ce pas le fun?

Je me souviens clairement de la panique que j’ai eue lorsque j’ai découvert ce projet de loi, quelques heures après son introduction. Les membres de ma communauté se sont retrouvé⋅e⋅s dans des situations similaires, sortant d’urgence des salles de classe et de leurs jobs. Ma boîte à courriels devient le déluge. En moins de six heures, je déclare une réunion d’urgence pour plusieurs parties impliquées dans la communauté trans – et moins de vingt-quatre heures plus tard, un plan d’action est déjà formé.


Dans les jours suivants, je me retrouve à être le visage principal de l’article le plus « trending » du jour sur la Montreal Gazette – au-dessus de quatre articles portant tous sur les Canadiens de Montréal. Mes mots, « truly the most directly transphobic bill ever proposed in Quebec, and also in Canada », résonnent à travers la province et au-delà. Une semaine après le dépôt dudit projet de loi, j’ai fait publier une pétition à l’Assemblée nationale, marrainée par la co-cheffe de Québec Solidaire Manon Massé et rédigée avec le soutien de Jennifer Maccarone (députée de Westmount—Saint-Louis): 13,000 signatures en trois semaines, un record pour la députée solidaire. Vivement, un mouvement populaire en pleine activité s’est créé en quelques jours: des manifestations, séances d’information, et comités d’organisation et de mobilisation ont été fondés. Je travaillais des semaines de 40, 50, 60 heures sans même y penser - tout en étudiant à temps plein; plusieurs autres travaillent des heures également ou encore plus élevées.


En même temps, les demandes à l’aide sautaient. J’ai même reçu des témoignages de personnes ayant fait des tentatives de suicide, en grande partie à cause dudit projet de loi. Ce projet de loi était violent, et aurait pu être mortel si adopté tel quel.


Trois semaines après l’adoption du projet de loi, Simon Jolin-Barrette, ministre de la Justice, a annoncé qu’il allait faire demi-tour. C’est seulement six mois après, en mai 2022, que j’ai pu avoir accès auxdits amendements; l’équipe de Manon Massé me les a envoyés. Heureusement, la majorité des articles problématiques ont été réglés - et notre communauté a réussi à faire valoir plusieurs de ses demandes à long terme, notamment l’abolition partielle des tarifs relatifs à la transition légale – la « taxe trans », comme certain⋅e⋅s d’entre nous disons. Finalement, le projet de loi a été adopté en début juin, et sanctionné peu après; même si la CAQ, en priorisant sa fameuse Charte de la langue française, a repoussé la refonte du droit de la famille sur les banquettes, une partie a pu être adoptée, et le restant devrait l’être la prochaine législature.


En une semaine, je fonde une clinique juridique à part entière, pour accompagner les personnes trans et non-binaires avec leurs procédures de changement de nom et de la mention du sexe – pour répondre à la demande communautaire suite aux changements législatifs, et d’assurer de faciliter la procédure requise pour obtenir un tel changement.  Celle-ci a bien marché: dix jours après la mise en vigueur des dispositions en question, j’ai déjà accompagné 200 personnes dans leurs démarches de changement de la mention du sexe. Plusieurs des personnes qui étaient venues vers moi m’ont dit qu’iels ont attendu des années pour la nouvelle mention du sexe non binaire. Même si j’avais voulu les aider avant, je n’avais pas le choix. À part la simple conclusion que les personnes non binaires existent, il est évident que les personnes trans ne vont pas tout simplement disparaître parce qu’iels ne peuvent être légalement reconnu⋅e⋅s. Les changements législatifs peuvent faire souffrir ou aider à permettre l’épanouissement de nos communautés, mais ne peuvent jamais en inventer ou en effacer.

Maintenant, un an après ce moment transformateur de ma vie, je comprends beaucoup plus ce qui s’est passé dans l’arrière-plan. Aucun⋅e membre de la communauté trans n’a vraisemblablement été consulté⋅e dans le processus de rédaction de ce projet de loi; les mémoires que moi et plusieurs autres membres de la communauté trans avons envoyés au Bureau de lutte contre l’homophobie et la transphobie – un bureau du ministère de la Justice! – semblent avoir été ignorés. Souvent, nous pouvons être les meilleur⋅s expert⋅e⋅s de notre communauté, mais nos entourages cishétéronormatifs adorent penser qu’ils sont mieux placés à répondre à nos besoins que nous-mêmes. Au final, notre objectif principal, c’est l’épanouissement et l’euphorie – la possibilité de vivre des vies à part entière, ce qui n’est toujours pas possible.


En même temps, je constate un certain oubli de ce qui s’est passé. Les nouvelles mainstream sont revenues à leur travail habituel – c’est-à-dire, semer une panique morale sur les soi-disant wokes. Je vois un certain silence autour de moi –  comme si on avait oublié que le recul mondial des droits des personnes trans a failli entrer dans un pays aussi soi-disant progressiste que le Canada. Chaque fois que j’observe tout ce qui se passe au sud de notre frontière, je frisonne – les centaines de lois transphobes introduites notamment dans le Bible Belt, bâties sur l’idéologie d’extrême droite et non la science, ayant comme seul objectif de terroriser notre communauté, me donnent une peur quasi existentielle. Même localement, on se retrouve avec des groupes anti-trans, financés par la CAQ, qui ont une influence disproportionnée sur les médias. Nous ne sommes clairement pas immunisé⋅e⋅s à l’infiltration du Trumpisme: dans les dernières semaines, une adolescente trans était forcée à quitter son école à Alma, en raison d’intimidation récurrente, et des commissions scolaires se font attaquer par des groupes anti-trans lors de leurs élections. Un effort doit clairement être mis en place afin de lutter contre les préjugés auxquels notre communauté et tous ses membres font face  tous les jours – et ce, partout dans la société, commençant dès un jeune âge.


Un jour, j’espère que les communautés marginalisées n’auront plus besoin d’actes d’héroïsme. Tellement de fois, prendre en charge un mouvement social tout.e seul.e, c’est un train express vers un burnout complet; j’ai failli tomber dans ça. Entre-temps, la lutte continuera – en solidarité et non en solitude!


Pour lire plus sur les enjeux trans en société: https://www.24heures.ca/2022/08/06/voici-pourquoi-les-enjeux-trans-ca-concerne-tout-le-monde


*Cet article a été écrit en collaboration avec The Link, qui a publié la version anglaise de cet article.*

Sources citées : 


1. Centre for Gender Advocacy v. Attorney General of Quebec, 2021 QCCS 191.


2. Le jugement a trouvé les articles en violation de la Charte québécoise (art. 1, 4, 5, et 10), ainsi que la Charte canadienne (sous l’art. 15, échouent le test Oakes).


3. SINGER, Samuel. Quebec must reverse course on Bill 2 and restore January’s historic trans rights victory. The Globe and Mail. https://www.theglobeandmail.com/opinion/article-quebec-must-reverse-course-on-bill-2-and-restore-januarys-historic/


4. DUNLEVY, T’Cha. Bill 2 is ‘the most transphobic bill ever proposed in Quebec,’ activist says. Montreal Gazette. https://montrealgazette.com/news/local-news/bill-2-is-the-most-transphobic-bill-ever-proposed-in-quebec-activist-says  


5. Voir: https://www.assnat.qc.ca/fr/exprimez-votre-opinion/petition/Petition-9319/index.html


6. CARABIN, François. Les modifications au projet de loi 2 bien accueillies par la communauté LGBTQ+. Le Devoir. https://www.ledevoir.com/politique/quebec/710121/identite-de-genre-les-modifications-au-projet-de-loi-2-bien-accueillies


7. Cette clinique – que je n’ai pas encore baptisée – est le successeur spirituel de la première Clinique juridique trans, fondée par mon collègue-ami Samuel Singer. Bien sûr, les activités de ladite clinique sont faites dans le cadre des limitations applicables à quelqu’un qui n’est pas avocate.


8. Notamment, Pour les droits de femmes du Québec (PDF Québec) a reçu plus que $350,000 en trois années de la part de la CAQ. Voir: AIT KACI ALI GONZALEZ, Samira. Des femmes trans dénoncent le financement d’un organisme féministe jugé transphobe. La Converse. https://laconverse.com/des-femmes-trans-denoncent-le-financement-provincial-dun-organisme-feministe-juge-transphobe/


9. RAINVILLE, Patricia. Transphobie à Alma: la jeune Kloé ne portera pas plainte à la police. Le Droit. https://www.ledroit.com/2022/10/19/transphobie-a-alma-la-jeune-kloe-ne-portera-pas-plainte-a-la-police-120f27237fe8fb93fe8b783370a087a6


10. MONTPETIT, Jonathan et Lori WARD. Scores of anti-trans candidates running in Ontario school board elections. CBC. https://www.cbc.ca/news/canada/ontario-school-board-trustee-investigation-1.6622705

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