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Réflexions environnementales au temps de la course aux stages

Auteur·e·s

Frédérique Bordeleau et une autre étudiante

Publié le :

14 février 2024

Alors que le mois de février s’impose, une effervescence rituelle l’anime : la course aux stages bat son plein à la faculté. Un bal de visites de cabinets, de repas copieux, de kiosques de distribution de matériel promotionnel et de 5 à 7 professionnels enivrent les étudiant.es qui essaient tant bien que mal d'équilibrer leur vie personnelle, académique, et ce qui en reste. Ceux-ci se font emporter par la foule d’avocat.es qui tentent de vendre leur pratique, leur mode de vie; se font susurrer des maux doux à l’oreille.

Depuis 2008, les firmes Torys LLP, McCarthy Tétrault LLP, Miller Thomson LLP et Osler, Hoskin & Harcourt LLP ont investi plus de 500 milliards de dollars dans l’industrie fossile, selon un rapport publié par l’Université de Toronto Law Union.

Difficile de savoir où donner de la tête puisque les événements de réseautage ont lieu tous les jours. Outre la faculté qui encourage et facilite la pratique du droit dans des cabinets prestigieux de par l’espace qui est dédié à cet effet autant dans les courriels que dans ses corridors (ce n'est pas dans toutes les universités que l’on retrouve des locaux de classe dédiés à des compagnies ou encore un « espace » financé par l’une d’elles comme le salon Stikeman), la pression sociale contribue aussi à l’effet tunnel de la course aux stages. Ainsi, pendant tout le déroulement de ladite course, il n’est pas évident de prendre le temps de réfléchir et d’adopter un point de vue critique sur ce processus. De se questionner sur l’intégrité des grands cabinets et sur notre rôle à jouer en tant que futur.e.s avocat.e.s. De se demander si le système que nous nous apprêtons à intégrer est durable.


Depuis 2008, les firmes Torys LLP, McCarthy Tétrault LLP, Miller Thomson LLP et Osler, Hoskin & Harcourt LLP ont investi plus de 500 milliards de dollars dans l’industrie fossile, selon un rapport publié par l’Université de Toronto Law Union.


En novembre dernier, l’Université de Toronto Law Union a publié un premier rapport mettant en évidence l’apport prépondérant des plus grands cabinets du Canada dans le financement de l’industrie fossile et leur rôle critique dans la crise climatique.

Ce rapport met aussi en lumière le rôle de facilitateurs que revêtent ces cabinets dans l’extraction de ressources, notamment grâce à la criminalisation des formes de résistance autochtones, comme il le sera illustré dans cet article.


Sur leur site Web, les cinq cabinets juridiques canadiens cités dans l'étude vantent leur engagement à l’égard des enjeux environnementaux et sociaux qui affectent notre planète. Or, un simple coup d’œil aux données présentées dans l'étude révèle une discordance significative entre leurs actions effectives et les discours qu'ils semblent promouvoir sur leurs plateformes en ligne.


Torys LLP : 162,5 milliards CAD

Le cabinet Torys a contribué depuis 2008 à la réalisation de transactions reliées à l’industrie fossile à une hauteur de plus de 162,5 milliards de dollars canadiens contre seulement 41,5 dans les énergies renouvelables. Bien que leur site Internet souligne les « initiatives de bienfaisance et de soutien communautaire [qui] démontrent [leur] engagement profond à favoriser le bien-être de nos communautés locales et ailleurs », Torys représente régulièrement des causes dans lesquelles il en est autrement. Entre autres, on peut penser à l’arrêt Première nation de Nacho Nyak Dun c. Yukon, où le cabinet a défendu le gouvernement du Yukon qui souhaitait, de manière unilatérale, modifier une entente réalisée avec la Première Nation Nacho Nyak Dun concernant la conservation du bassin versant de Peel, un des plus importants d’Amérique du Nord. Dans les faits, plusieurs changements sont nécessaires pour que leurs paroles s’alignent avec les actions qui sont posées.


Miller Thomson : 232 millions CAD

Le cabinet Miller Thomson présente quant à lui un bilan fort intéressant : selon le rapport, ce dernier a facilité l’investissement, entre 2008 et 2023, de 232 millions de dollars canadiens dans les énergies fossiles contre 1,4 milliard dans les énergies renouvelables, et ce, principalement au niveau de l’énergie solaire (un domaine particulièrement lucratif). Cependant, les impacts de leurs activités sur les populations locales, particulièrement autochtones, sont encore à déterminer.


Fasken : 36 milliards CAD

Le cabinet Fasken, se proclamant sur son site web « déterminé à bâtir un avenir responsable » et y affirmant prendre des mesures « pour évaluer et réduire l’empreinte environnementale du cabinet », a néanmoins contribué à des transactions liées aux énergies fossiles atteignant 36 milliards de dollars canadiens depuis 2008, soit 15 milliards de plus que ce qu’elle a transigé dans le domaine des énergies renouvelables. À l’échelle mondiale, sachant que 80 % des émissions de gaz à effet de serre résultent de la combustion des combustibles fossiles et des procédés industriels, il devient difficile de concilier de telles transactions avec l’aspiration affichée de créer un avenir durable. Heureusement, ce cabinet distribuait des emballages alimentaires en cire d’abeille en début d’année en guise de matériel promotionnel. Il a enfin réussi à aligner babines et bottines.


En outre, Fasken affirme également s’impliquer en faveur de la réconciliation avec les peuples autochtones et mettre en œuvre des « mesures significatives en faveur de la vérité et de la réconciliation ». Cependant, cela n'a pas empêché le cabinet de représenter Coastal GasLink Pipeline Ltd. dans plusieurs litiges dont certains opposant la cheffe Wet’suwet’en Howilhkat en déposant des injonctions contre les blocages s'opposant à la destruction du territoire Wet’suwet’en par le gazoduc de la compagnie, criminalisant ainsi des militant.e.s autochtones. Fasken a également défendu les intérêts de Coastal GasLink (CGL) dans une action en justice lancée par la chef Sleydo’ et d'autres défenseurs.euses des terres Gidimt’en, alléguant des motifs de harcèlement et d’intimidation.


Osler, Hoskin & Harcourt LLP : 126,5 milliards CAD

Le cabinet Osler, Hoskin & Harcourt LLP semble également éprouver des difficultés à aligner ses actions et ses déclarations. En effet, le site Web de l’entreprise exprime le désir d'adhérer aux facteurs ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance), ce qui signifie, au niveau environnemental, la volonté de réduire l'empreinte environnementale de l'entreprise et de prendre en compte des éléments tels que « [l’]utilisation des ressources, [les] changement[s] climatique[s] et [la] durabilité » lors des prises de décisions.


Or, ici aussi, les données présentées dans l'étude sont saisissantes. Osler a effectivement contribué à des transactions impliquant les énergies fossiles, totalisant 126,5 milliards de dollars canadiens, contre seulement 17,6 milliards touchant le secteur des énergies renouvelables, créant ainsi une différence considérable de 108,9 milliards de dollars canadiens. De plus, Osler, Hoskin & Harcourt LLP a représenté Trans Mountain Pipeline ULC dans divers litiges, y compris le dépôt d'injonctions contre des militant.e.s écologistes à Burnaby, engagé.e.s dans la contestation de l'extension du gazoduc Trans Mountain sur les terres non cédées des Secwépemc. Il est ainsi difficile de prendre au sérieux le cabinet lorsqu’il affirme se « consacre[r] à avoir une gestion responsable de l’environnement et une utilisation efficace des ressources ».


McCarthy Tétrault : 174 milliards CAD

Enfin, bien que la firme McCarthy Tétrault, sur son site Web, affirme « comprend[re] que sa responsabilité d’entreprise doit s’exercer au-delà des murs du cabinet afin de renforcer son engagement envers les communautés locales », cette compagnie a cependant effectué des transactions liées aux énergies fossiles atteignant un total de 174 milliards de dollars canadiens (devenant ainsi le cabinet le plus prolifique au niveau de l’investissement dans les énergies fossiles au Canada), comparativement à des transactions de seulement 34 milliards de dollars dans le secteur des énergies renouvelables.


Cette disparité est d’autant plus préoccupante étant donné que les populations autochtones figurent parmi les plus touchées par les changements climatiques au Canada. Il apparaît donc contradictoire d’affirmer un engagement envers les populations locales tout en facilitant des transactions ayant un impact si négatif sur ces communautés. Très woke, comme on dit.


Ainsi, malgré nos horaires chargés, il est plus qu’important de prendre le temps de se demander si nous voulons réellement travailler pour des compagnies qui priorisent les profits par rapport au droit à un environnement sain et au respect des communautés locales. Le but de cet article n’est pas de culpabiliser les personnes qui choisissent de donner de leur temps à de telles entreprises. Plutôt, il vise à leur donner les outils pour prendre des décisions réfléchies et éclairées quant à la direction que prendra leur pratique et aux conséquences sociales et environnementales de celle-ci. Sur ce, bonne course.

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