top of page
Portrait%20sans%20photo_edited.jpg

Quand la violence devient virale

Auteur·e·s

Adrien Banville

Publié le :

2 octobre 2022

Menaces de mort, injures, propos misogynes ou racistes… Les candidat·e·s des élections québécoises subissent plus que jamais la violence des internautes,  si bien que le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) a dû tirer la sonnette d’alarme la semaine dernière. La santé politique québécoise est-elle en proie aux polarisations violentes de la démocratie américaine ?

Il va sans dire que la violence n’a jamais sa place en démocratie, mais on n’assiste ni à une campagne polarisante, ni serrée (en tête du moins), ni surprenante quant à son issue, ce qui aurait eu à tout le moins, sans évidemment la justifier, la prétention de l’expliquer.

31 août. Le député libéral sortant de Marquette, Enrico Ciccone, trouve son bureau de campagne cambriolé et vandalisé quelques jours après avoir reçu des menaces. La même journée, la députée libérale sortante dans Saint-Laurent, Marwah Rizqy, annonce avoir été la cible de plusieurs menaces de mort sur ses réseaux sociaux et par téléphone. 1er septembre. Une photo d’une pancarte électorale ensanglantée du candidat péquiste de Chauveau, Sylvain Lévesque, circule sur Twitter, titrée par des menaces. 6 septembre. Les locaux de la candidate péquiste de Taschereau, Jeanne Robin, sont vandalisés. 12 septembre. Le candidat d’Arthabaska, Éric Lefebvre, est victime d’intimidation lorsqu’une trentaine de véhicules encerclent  sa résidence personnelle. 21 septembre. Vandalisme dans les bureaux de Gatineau du candidat libéral André Fortin. Ici, je ne mentionne même pas le cyberharcèlement continu dont sont victimes nos politicien·ne·s, lequel vient d’ailleurs tout particulièrement viser et freiner les femmes ayant eu le courage de se lancer en politique. (1)


Pour une campagne annonçant d’emblée la réélection d’un gouvernement caquiste à la majorité écrasante et durant laquelle un des enjeux clivants est la construction d’un tunnel Québec-Lévis (ou sera-t-il un pont?! «Stay tuned », dirait Duhaime), juxtaposé à la véritable problématique de fonds et d’avenir qu’est le destin comptable de nos prochains impôts, je n’aurais jamais envisagé cette prolifération soudaine de la violence en politique québécoise. Il va sans dire que la violence n’a jamais sa place en démocratie, mais on n’assiste ni à une campagne polarisante, ni serrée (en tête du moins), ni surprenante quant à son issue, ce qui aurait eu à tout le moins, sans évidemment la justifier, la prétention de l’expliquer.


Pourtant, le grimpage de rideaux était tel que le DPCP a dû s’en mêler le 15 septembre dernier en lançant une microcampagne de sensibilisation visant à juguler le déversement de fiel des internautes québécois·e·s sur leurs politicien·ne·s. [IMAGE 1] : campagne du DPCP


En entrevue au micro de Paul Arcand, le Directeur des poursuites criminelles et pénales, Me Patrick Michel,  a déclaré:


« Ce qu’on ne sait pas dans la population, c’est que ces infractions ont une portée très large […]. Souvent, les policiers se présentent à la porte et on entend ʺc’était une joke, j’ai fait ça sous le coup de la colère ou de l’impulsivitéʺ .

Il faut le dire, précise-t-il, ce sont souvent des personnes qui n’ont pas d’antécédents judiciaires [et qui] vont se retrouver à faire face au système de justice pour la première fois de leur vie en raison d’un écart de conduite. » (2)


L’intervention du directeur du DPCP soulève aussi une étrange similitude entre les menaces en ligne et les cas de rage au volant, où la civilité de « monsieur et madame Tout-le-Monde » tombe au moment où l’on s’exprime dans l’intimité du cubicule automobile… ou derrière son écran.


Les réseaux sociaux pointés du doigt


Les réseaux sociaux incarnent à la fois le remède et le poison de l’information. S’il peut être tentant de les désigner comme la cause de la violence en ligne en raison de leur rôle de catalyseur, il faut garder à l’esprit que leur effet sur le comportement politique n’est pas si évident à mesurer. Cela dit, force est de constater la véritable arène politique polarisée que sont  devenus Twitter, TikTok, Instagram, Facebook et Reddit.


Au niveau international, le contexte actuel de guerre en Ukraine, de fatigue postpandémique, d’effritement des démocraties occidentales, de populisme et d’inflation (pour ne nommer que ceux-là) est un terreau propice à la désinformation ainsi qu’à la polarisation des discours politiques. Certains États y voient évidemment une opportunité de déployer une stratégie géopolitique. Si les opérations d’ingérence par des États hostiles visent surtout les États-Unis, on a aussi pu en ressentir les effets en Ontario tout comme au Québec lors des manifestations de camionneur·euse·s à Ottawa. En effet, leur financement provenait en partie de sources étrangères suspectes, selon des expert·e·s tel⋅lle⋅s que Jessica Davis, une ancienne spécialiste du financement terroriste du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS). (3)(4)


D’un point de vue  plus technique, il existe aussi différents enjeux liés à la détermination de l’algorithme et à la responsabilité politique des grandes plateformes. Le phénomène amplement documenté des chambres d’écho en est un exemple type, mais certains sont moins connus, comme le panoptique numérique et la gouvernance algorithmique. Ces derniers, succinctement, supposent que nos comportements politiques sont influencés par la logique algorithmique des réseaux sociaux. Ce phénomène se traduit communément par une priorisation des recommandations en fonction d’un potentiel viral ou d’un caractère polarisant maximisant le temps d’attention plutôt que l’intérêt public (bonjour Reddit). Par exemple, étrangement, mes articles affichant une photo d’animal mignon ou d’Elvis en tête d’affiche (oui, j’ai déjà commis ce péché) ont toujours mieux performé que ceux abordant le logement social, même si ce sujet me semble beaucoup plus pertinent pour l’avenir de notre société. Allez savoir pourquoi…


Par conséquent, si la violence peut effectivement être induite et exacerbée par les réseaux sociaux, qui ont, à mon sens, la responsabilité d’assurer un contenu sécuritaire pour leurs utilisateur·ice·s, je suis d’avis qu’ils ne constituent toutefois pas la source première de cette montée de fiel en politique québécoise. Pour la trouver, il faudrait davantage se pencher sur le contexte politique spécifique au Québec depuis les élections de 2018.


Poilievre, Legault et la politique de la colère


L’élection québécoise de 2018 a créé une véritable fracture historique dans la politique québécoise. D’une part, les Québécois·e·s faisaient sans équivoque un trait sur le traditionnel axe souveraineté-fédéralisme, et,  d’autre part, il·elle·s rejetaient les deux partis traditionnels s’étant partagés l’hégémonie politique depuis les années 70.


La politique québécoise s’est donc ainsi trouvée, en l’espace d’une élection, recentrée sur un débat gauche-droite rappelant l’époque où l’Union nationale, parti identitaire francophone et rural, s’opposait aux libéraux, le traditionnel parti fédéraliste, urbain et économique. Évidemment, on peut raisonnablement se douter que cette perte de nos repères pour appréhender l’avenir engendre une anxiété politique, une anomie de transition. Ah! et entre-temps, en parallèle à cette métamorphose politique plutôt soudaine, on fait face à une pandémie, à une urgence climatique (insérer un énième soupir ici), à une tentative de paralyser le Parlement orchestrée par des camionneur⋅euse⋅s en colère, au  gouvernement populiste anti-institutions-démocratiques de Trump qui mènera à l’assaut du Capitol, à une invasion en Ukraine, à une escalade de violence liée au crime organisé à Montréal, au décès de Joyce Echaquan et au refus de reconnaître le racisme systémique, à une crise du logement à laquelle on attend toujours une réponse, à un désinvestissement massif des organismes d’aide communautaire, à une hausse marquée du coût de la vie, et j’en passe.


Si cela ne justifiera jamais la violence, je peux comprendre la colère et l’anxiété. Dans ce climat politique tendu, des candidats comme Poilievre et Duhaime l’ont bien compris : on ne peut pas nier leur existence ou les éviter. Mais quelles solutions envisager alors si ce n’est pas de se résoudre à l’irresponsable option populiste d’attiser le feu comme le font les conservateurs fédéraux et provinciaux?


Votons, impliquons-nous en politique et ayons le courage de jaser politique avec nos proches, de débattre d’idées plus que de tunnels. En ces 43e élections générales québécoises, c’est l’occasion de le faire pour s’écouter malgré la cacophonie des débats, pour défendre nos institutions démocratiques et célébrer le courage de nos politicien·ne·s qui n’ont vraiment pas la vie facile ces temps-ci et pour dénoncer la violence en politique à l’égard de quiconque , même quand « c’était une joke », jusqu’à ce qu’elle cesse d’être banalisée.

Sources citées : 

  1. QUÉBEC, Conseil du statut de la femme. Étude – l’Hostilité en ligne envers les femmes. 2022. 112 p.

  2. Paul ARCAND, « Les limites aux menaces et au harcèlement sur Internet visant les politiciens », 16 septembre 2022, Puisqu'il faut se lever, 98.5. 10:21 [En ligne] https://www.985fm.ca/audio/508522/les-limites-aux-menaces-et-au-harcelement-sur-internet-visant-les-politiciens

  3. Stephanie CARVING. «Financing the Ottawa Occupation». 4 février 2022. Intrepid. Ep. 171. 34:57 [En ligne] https://www.intrepidpodcast.com/podcast/2022/2/4/ep-171-financing-the-ottawa-occupation

  4. Stephanie CARVING. «The Convoy and the Law». 11 février 2022. Intrepid. Ep. 172. 36:47 [En ligne] https://www.intrepidpodcast.com/podcast/2022/2/13/ep-172-the-convoy-and-the-law

bottom of page