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Quand la réconciliation ne concilie pas

Auteur·e·s

Eugénie Godin

Publié le :

29 octobre 2024

Avant-propos de l’auteure :Veuillez noter que cet article résulte uniquement de l’initiative de l’auteure et qu’aucune personne nommée ou impliquée dans la recherche et/ou rédaction de l’article n’a influencé le produit final en détournant les opinions exprimées ou les propos tenus. Les faits relatés et la ligne du temps des événements ne sont contestés d’aucune des parties (le corps enseignant, les étudiant.e.s consulté.e.s ainsi que l’administration en poste). D’ailleurs, veuillez également noter que le terme « réconciliation » est employé parce qu’il fait partie de noms de documents officiels de l’institution et est utilisé à des fins ironiques pour faire un titre accrocheur : le débat et la pluralité d’opinions sur le terme approprié, surtout du point de vue autochtone, ne forment pas encore de consensus et cet article ne se penche en aucun cas sur la terminologie.

Pas étonnant si l’on considère ce que l'Université de Montréal affiche fièrement au sujet de son plan de « réconciliation et décolonisation » allochtone-autochtone Place aux Premiers Peuple

Pour la première fois, à l’hiver 2023, la Faculté de droit de l’Université de Montréal met en œuvre l’appel àl’action no23 du rapport de la Commission Viens (1), concept qui avait aussi été mentionné à l’appel à l’action no28 du rapport de la Commission de vérité et réconciliation (2). Ces rapports sont sans équivoque : les facultés de droit du pays doivent inclure des cours qui instruisent les futur.e.s juristes au sujet des traditions et coutumes juridiques autochtones, en abordant l’histoire et les cultures autochtones. De ces impératifs naît DRT 1011 — Droit des premiers peuples. Entre autres choses, le lien avec le territoire, les pensionnats autochtones, le droit de la famille et la protection de la jeunesse y sont abordés. Ce cours est une première parmi les universités francophones offrant une formation de premier cycle uniquement en droit civil au Québec.


La professeure en charge, Karine Millaire, est wendat de Wendake — impliquée dans la conception-même, elle opte de ne pas mettre d’examen théorique traditionnel à la mi-session ou à la fin du cours, afind’éviter que ce dernier ne se transforme en une course à la plus grande performance (3). Le but pédagogique,indique-t-elle dans les médias lors du dévoilement du nouveau cours, est de promouvoir le travail d’équipe,les apprentissages en communauté, la capacité à s’exprimer oralement et d’observer puis appliquer les apprentissages sur les réalités « du terrain » en échangeant avec le reste des étudiant.e.s (4). Elle réitèred’ailleurs les mêmes propos encore aujourd’hui.


L’autre pan important est que le cours facilite l’inclusion et ouvre une porte au multijuridisme au Canada, par opposition au mythe fondateur et le bijuridisme en découlant. Bref, cette mesure s’inscrit plus largement dans de sérieux efforts de décolonisation. Chose tout à fait remarquable, le cours est obligatoire – initiativede l'administration de la Faculté, qui a collaboré dans tout le processus de conception du cours avec la PreMillaire et l’équipe experte.


Pas étonnant si l’on considère ce que l'Université de Montréal affiche fièrement au sujet de son plan de « réconciliation et décolonisation » allochtone-autochtone Place aux Premiers Peuples (5) : espace pour lesétudiant.e.s autochtones au pavillon Jean- Brillant (6), adhésion au Principe de Joyce en entier (7), visites d’étudiant.e.s de communautés autochtones sur le campus (8), etc.


Cependant, un problème se pose à la sortie des notes au semestre hivernal de 2023: les étudiant.e.s remarquent que la courbe de notation du cours ( simplifiée à « la courbe » parmi les étudiant.e.s) est démesurée. Par exemple, un étudiant qui avait 90% de moyenne affiche un B+ sur son relevé de notes — pourcentage qui aurait normalement valu un A+ dans n’importe quel barème de notation alphanumérique d’une faculté n’utilisant pas de système d’uniformisation (9). Une courbe de notation, comme celle utilisée en règle générale à la Faculté, est censée éliminer les excès de zèle de certain.e.s professeur.e.s et chargé.e.s de cours en répartissant les résultats sur une cloche utilisant un algorithme. Or, dans le cas de ce cours, les notes attribuées créent une courbe escarpée qui se joue sur quelques pourcents, engendrant un dangereux penchant pour une culture de performance et de stress académique. Il va sans dire que cela va directement à l’encontre de l’esprit du cours et les objectifs pédagogiques exprimés par la professeure en charge.


En réponse à cela, mais aussi dans le but de préserver les objectifs de décolonisation et de valorisation de la communauté du cours Droit des premiers peuples, la Pre Millaire avait convenu avec l’administration facultaire de ne pas courber le cours pour la prochaine cohorte. Toute l’année scolaire durant, les étudiant.e.s ont entendu de la bouche des professeur.e.s et chargé.e.s de cours concerné.e.s qu’il n’y aurait pas de courbe appliquée. Ainsi, à ce moment, il y avait unanimité sur comment le cours serait noté entre le corps étudiant, la Pre Millaire, les chargé.e.s de cours et surtout, l’administration de laFaculté. La Pre Millaire affirme avoir communiqué régulièrement cette attente avec l’équipe de chargé.es decours, l’administration et ses étudiant.e.s, dans le but d’éliminer le réflexe de compétition entre pairs contreproductif lors du cours.


C’est dans ce contexte que la débâcle commence. Le 10 juin 2024 au matin, coup de théâtre à la Faculté: sans en informer ni la Pre Millaire ou encore les chargé.e.s de cours, l’administration aurait vraisemblablement unilatéralement décidé de répartir les notes selon un système substitut à la courbe. Cette décision sera plus tard confirmée par le courriel de Karine Bastien, une TGDE, affirmant que le tout est validé par le vice-décanat sortant, puis un courriel de la Pre Millaire à ses étudiant.e.s sur le caractère unilatéral et soudain de cette décision administrative. Résultat ? Les mêmes problèmes de l’an passé sont dénotés.


Comment alors expliquer le refus catégorique du décanat d’adhérer à sa parole donnée à la professeure en charge du cours ? L’ajustement a eu lieu lorsqu’une disparité entre la notation en lettres attribuée entre les sections fut observée. Certaines sections auraient eu un grand nombre d’A+ comparativement à d’autres, etc. C’est alors que l’administration a décidé d’utiliser un système pour répartir les notes plus équitablement. Attention, en revanche, fait remarquer l’administration aujourd’hui en poste : il s’agit d’un ajustement discrétionnaire fait par un individu (au lieu d’un algorithme) qui a uniformisé les notes. Ainsi, ce n’est pas « la courbe », maintient-elle.


Précision reçue, et bien notée.


De toute façon, nous a-t-on répondu du côté de la vice-présidente académique de l’AED, Ariane Gagnon, l’article 11.2 du Règlement des études de premier cycle (10) est clair: le barème alphanumérique affiché à l’art. 11.1 du Règlement (11) est valide pour le calcul de la moyenne de chaque étudiant.e, rien n’encadre comment les lettres sont attribuées, encore moins si ce n’est pas indiqué dans une grille expresse du plan de cours, tel était le cas en hiver dernier (12).


Les réactions ne se font pas attendre, la Faculté semble s’embraser et s’écrouler à la fois. Furie chez les étudiant.e.s qui se sentent lésé.e.s, confusion dans le corps enseignant, courriels frénétiques aux TGDE d’une part, à l’AED Montréal et la Pre Millaire de l’autre. Finalement, le corps étudiant reçoit la nouvelle que les négociations avecl’administration se feront alors que la nouvelle doyenne entrera en poste avec son équipe, promesse ferme et expresse d’Ariane Gagnon. Au moment de publier cet article, il y a effectivement eu des rencontres régulières entre le vice- décanat et Ariane Gagnon, puis la Pre Millaire qui a accepté de s’asseoir en pourparlers avec le nouveau vice-doyen aux études de premier cycle : l’issue decette négociation s’est fait savoir à la dernière semaine de septembre.


Ultimement, selon la nouvelle administration, ajuster la répartition des lettres attribuées à l’hiver 2024 était laseule chose à faire tant l’écart entre les sections était creux. Il aurait été beaucoup trop injuste de faire autrement. La nouvelle administration insiste qu’elle a les mains liées par les décisions de sa prédécesseuse et la Pre Millaire affirme qu’elle a pris un engagement (écrit, cette fois) avec l’administration de ne pas ajuster les notes pour la cohorte de cet hiver. Pour la cohorte précédente (celle d’hiver  2024), l’administration en poste avait d’ores et déjà établi que ce serait impossible à rectifier. Ainsi, l’ajustement est là pour rester, de même que les questions éthiques qui peuvent être soulevées à la lumière des faits relatés.


Nonobstant la question de la nécessité réelle de cette décision, le faire de façon unilatérale, sans vergogne ou préavis, est une recette pour un désastre. Le décanat est le décideur final dans cette compétence, il n’a théoriquement besoin de l’acquiescement de personne (13). Il reste toutefois que, sans même être astreint par une obligation de négociation hypothétique avec la Pre Millaire, annoncer la décision dans un courriel demasse aurait déjà tempéré la frustration et la confusion générale causées par les dédales administratifs. Il faut en effet savoir réagir avec souplesse et célérité, sans pour autant faire fi ses engagements.


Dans un domaine d’étude et de pratique où tout se fonde sur l’honneur, la bonne foi et le respect desententes ; quand on nous martèle que le contrat est la loi des parties et que rien au monde n’est plus important qu’un consentement libre et éclairé ; lorsque l’administration universitaire s’enorgueillit de sa vision sur la réconciliation allochtone-autochtone, il est naturel de se demander : pourquoi avoir décidé d’outrepasser tous ces principes ? Pour une question de barème d’attribution de notes presque secret tant il est opaque ?


Le caractère entièrement unilatéral du plan d’action final et le manque de communication avec le corps étudiant est ce qui dérange profondément. Décidément, aucun but pédagogique ne peut se cacher derrière une telle façon de gérer cette décision administrative. Du moins, il est si bien camouflé qu’on peine à le distinguer, et ce même après des mois de réflexion sur le sujet. Ce type de gestion ne saurait être préconisé généralement, et encore moins ici.


Pourquoi — et comment — devrions-nous, juristes en devenir, étudiant.e.s actuel.le.s et citoyen.ne.s de demain, prendre la Faculté (et l’Université elle-même) au sérieux dans  ses  démarches  pour  la  réconciliation?  Au risque de me faire accuser de tatillonnage, force est d’admettre qu’une  reconnaissance  territoriale générique14, des engagements à « revisiter » ou « considérer adapter » des pratiques administratives15, et l’inclusion d’un cours obligatoire n’est que trop peu pour un bilan positif sur la question de la décolonisation des institutions et du savoir, encore davantage après la bourde exposée ci-haut. 


La Faculté doit continuer à cheminer quant aux rapports qu’elle souhaite entretenir avec les efforts réels de décolonisation, en commençant par respecter ses engagements qu’elle a pris à l’égard d’un cours qui —souvenons-nous — est né d’appels à l’action de communautés autochtones pour réparer les torts passés et actuels de la colonisation brutale à l’origine de notre pays. La transparence est de mise, ajustement discrétionnaire ou non. Cette condition est sine qua non. Espérons que la nouvelle administration se tiendraderrière ses promesses faites à l’égard de cette initiative décoloniale chapeautée par une professeure elle-même autochtone, qu’elles soient écrites ou non : il serait injuste de la tenir responsable des lacunes qui constituent le legs de l’administration sortante. Du moins, j’ose croire que ce sera le cas, bien que leconstat exprimé ci-haut sur les efforts réels de décolonisation subsiste.


En somme, c’est déjà un bon début de bien vouloir concilier un peu.

1. COMMISSION D’ENQUÊTE SUR LES RELATIONS ENTRE LES AUTOCHTONES ET CERTAINS

SERVICES PUBLICS, Écoute, réconciliation et progrès – Rapport final, Québec, Gouvernement du Québec, 2019, en ligne:

<https://www.cerp.gouv.qc.ca/fileadmin/Fichiers_clients/Rapport/Rapport_final.pdf>, p.507. 


2. COMMISSION DE VÉRITÉ ET RÉCONCILIATION DU CANADA, Honorer la vérité, réconcilier pour l’avenir : Sommaire du rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, Winnipeg, Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2015, en ligne :

<https://ehprnh2mwo3.exactdn.com/wp-content/uploads/2021/04/1-Honorer_la_verite_reconcilier_pour_lavenir-Sommaire.pdf>, p. 353.


3. Charles-Émile L’ITALIEN-MARCOTTE, « L’Université de Montréal veut sensibiliser les juristes aux réalités autochtones », Radio-Canada, 7 juillet 2022, en ligne : <https://ici.radio-canada.ca/espaces- autochtones/1896226/universite-montreal-karine-millaire-cours-obligatoire-droit-autochtone-

reconciliation>.


4. Id.


5. VICE-RECTORAT À LA PLANIFICATION ET À LA COMMUNICATION STRATÉGIQUES, Place aux

Premiers Peuples. Plan d’action 2024-2029, Montréal, Université de Montréal, 2024, en ligne:

<https://www.umontreal.ca/public/www/images/autochtones/UdeM_PlanPPP_2024_2029.pdf>.


6. Id., p. 6 et 13.


7. Id., p. 4


8. Martin LASALLE, « Des élèves de l’école secondaire Nikanik, de Wemotaci, en visite à l’UdeM », UdeMNouvelles, 29 novembre 2023, en ligne :

<https://nouvelles.umontreal.ca/article/2023/11/29/des-eleves-de-l-ecole-secondaire-nikanik-de-  wemotaci-en-visite-a-l-udem/>.


9. FACULTÉ DE SCIENCE POLITIQUE ET DE DROIT DE L’UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL, Grille

de notation, en ligne : <https://juris.uqam.ca/wp-

content/uploads/sites/49/2024/02/Grille_De_Notation.pdf> (ceci constitue un exemple).


10. Règlement des études de premier cycle, Université de Montréal, art. 11.2, en ligne :

<https://secretariatgeneral.umontreal.ca/documents-officiels/reglements-et-politiques/reglement- des-etudes-de-premier-cycle/>.


11. Id., art. 11.1.


12. Id., art. 9.3.


13. Règlement des études de premier cycle, préc., note 11, art. 9.3.


14. UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL, Reconnaissance du territoire autochtone, en ligne :

<https://www.umontreal.ca/premierspeuples/reconnaissance/>.


15. VICE-RECTORAT À LA PLANIFICATION ET À LA COMMUNICATION STRATÉGIQUES, préc., note 5, p.

15 et 17.


16. Image: https://ca.pinterest.com/pin/3588874695927243/

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