Phil Mickelson, l’Ukraine et l’aveuglement volontaire
Auteur·e·s
Jérôme Coderre
Publié le :
15 mars 2022
La dernière invasion de l’Ukraine par la Russie est la plus récente preuve que la démocratie ne tient qu’à un fil. Difficile de ne pas y voir un échec des relations internationales et du droit international du même coup. Mais on peine à trouver un coupable pour cette première depuis la Seconde Guerre mondiale, à part Vladimir Poutine lui-même. Si personne n’est à blâmer, nous sommes tou·te·s un peu responsables d’avoir cautionné les affronts répétés à la démocratie qui nous ont mené·e·s ici.
La réalité est assurément choquante, mais il y a un peu de nous dans cette guerre qui vient de se déclencher.
Phil Mickelson est le dernier sur la liste. Mickelson est l’un des meilleurs golfeurs des vingt dernières années, et surtout l’un des plus appréciés sur le circuit. Trois fois vainqueur du Masters, vainqueur de l’Open britannique en 2013, ancien numéro deux mondial, il est reconnu pour son sourire sur le terrain et son humour dans les entrevues après les tournois.
Mickelson, 51 ans, travaillait depuis quelques semaines à l’implantation d’un nouveau circuit professionnel en Arabie saoudite, financé par le régime saoudien, ce pays qui emprisonne toujours Raïf Badawi et qui est connu pour avoir l’un des pires bilans en matière de droits de la personne.
On a appris la semaine dernière que Mickelson a partagé à son biographe ses réflexions quant à l’implantation de ce circuit : « Je sais qu’ils ont tué Jamal Khashoggi et que leur bilan en matière de droits humains est horrible. Ils tuent des gens en raison de leur orientation sexuelle. Mais je décide de le faire quand même, car c’est une occasion unique de changer la manière dont le circuit professionnel de golf américain opère. »
Traduit simplement : « Je sais que moralement je ne devrais pas faire ça, mais y’a du cash là-bas, alors allons-y. »
Car quand Mickelson parle de changer les opérations du circuit américain, il veut dire faire pression sur celui-ci en menaçant de quitter pour le royaume pétrolier, avec pour objectif d’augmenter les bourses remises aux golfeurs. La Super League, comme on l’appelle au Moyen-Orient, propose des bourses de plusieurs dizaines de millions de dollars aux meilleurs joueurs de la planète pour rejoindre ses rangs.
Non seulement c’est indécent sachant que les joueurs du circuit américain gagnent déjà très bien leur vie (Mickelson a lui-même remporté près de 100 M$ durant sa carrière), ce l’est encore plus quand on sait d’où vient cet argent.
Le projet de collaboration entre Phil Mickelson et l’Arabie saoudite a finalement avorté, mais le mal est fait.
Il faut dire que Mickelson n’est pas le premier à se lancer dans ce genre de démarche immorale, complètement obnubilé par l’appât du gain.
Dans les dernières années, on a donné des Jeux olympiques à la Russie et à la Chine. Des courses de Formule 1 ont été tenues au Barhein, en Arabie saoudite, à Abu Dhabi, en Azerbaïdjan et j’en passe. On a eu une coupe du monde de soccer en Russie et une au Qatar s’en vient.
Bêtement, on s’est laissé·e·s guider par l’odeur de l’argent, au diable notre éthique. On s’est dit que si le gouvernement russe était prêt à cracher 50 milliards pour les Jeux de Sotchi, on allait prendre l’argent, célébrer pendant deux semaines et se fermer les yeux devant les images des chars qui envahissaient la Crimée.
Et le pire c’est qu’on a refait le même cirque 8 ans plus tard, à Beijing cette fois. Et aujourd’hui, le réveil post-olympique est d’autant plus brutal, alors que c’est l’Ukraine au complet qui est envahie par la Russie.
On sait que les dictateurs comme Poutine se servent de ces événements sportifs mondiaux pour légitimer leurs actions. Pendant deux semaines, on aura parlé de la Chine pour les exploits d’Eileen Gu et non pour le génocide des Ouïghours qui est toujours en cours. Pari réussi pour Xi Jinping.
On se réveille aujourd’hui en demandant à nos gouvernements d’imposer des sanctions contre la Russie pour afficher notre désaccord, en espérant du même coup se faire pardonner toutes ces années de laxisme à l’égard de ces régimes dictatoriaux.
Ça fait longtemps que l’Allemagne aurait dû fermer le robinet de gaz naturel qui coule vers elle depuis Moscou. Pas seulement en riposte à une attaque alors qu’il est déjà trop tard.
La réalité est assurément choquante, mais il y a un peu de nous dans cette guerre qui vient de se déclencher. Les tanks qui avancent aujourd’hui vers Kiev ont été financés par les billets de soccer ou de F1 qu’on a achetés sans réfléchir à la portée de nos gestes.
Et même si on a du sang sur les mains, on sait que le manège recommencera. Il y aura un autre Phil Mickelson pour embarquer dans le jeu d’une richissime dictature, juste pour s’en mettre plein les poches et faire de l’aveuglement volontaire.
Du pain et des jeux aujourd’hui pour financer les tanks et les fusils demain.
Bon courage, Ukraine, on va tenter de faire mieux la prochaine fois.