Petit guide des utérus selon Gisèle Halimi (et le Monopoly des démagogues d’aujourd’hui et de demain)
Auteur·e·s
Mennoya Nicounen
Publié le :
8 avril 2024
Chèr.e.s lecteur.ice.s,
Nous y sommes déjà, ma dernière rubrique ludique de l’année 2023-2024 pour le Pigeon dissident. Depuis que nous nous sommes laissé.e.s à la Saint-Valentin, beaucoup de choses sont arrivées : des féminicides (encore), des Gazaoui.e.s palestinien.ne.s massacré.e.s (encore) avec des personnes forcées de donner naissance dans des conditions exécrables (encore). Cependant, il y a également eu, le 8 mars, la Journée internationale des droits des femmes. Un jour de revendication, de rage et néanmoins, de quelques célébrations aussi. Justement, à la veille de ce fameux 8e jour du 3e mois de l’année grégorienne, la France a enfin réalisé le rêve ultime de Me Gisèle Halimi : l’avortement, droit constitutionnel. Vent de fraîcheur parmi les atrocités des unes de journaux.
L’hypocrisie est la clef de voûte du démagogue, et ça, Gisèle Halimi l’avait compris, puis exposé.
L’avortement (IVG) est un soin thérapeutique qui est non seulement un droit, mais aussi un besoin. Nous n’avons qu’à nous rappeler du manifeste des 343 (et les procès de Bobigny, évidemment), de l’affaire Morgentaler, ainsi que celles de Daigle c. Tremblay et de Roe v. Wade, pour ne nommer que quelques cas de figure les plus connus parmi les Québécois.e.s.
Il n’y a qu’à comparer les dernières années, notamment Dobbs v. Jackson Women’s Health Organization en 2022, avec les événements du 4 mars 2024, pour comprendre ce que Gisèle Halimi plaidait, en novembre 1972, devant un tribunal composé de 3 juges hommes et 1 procureur : « Voulez-vous contraindre les [personnes] à donner la vie par échec, par erreur, par oubli ? Est-ce que le progrès de la science n’est pas précisément de barrer la route à l’échec, de faire échec à l’échec, de réparer l’oubli, de réparer l’erreur ? C’est cela, me semble-t-il, le progrès. C’est barrer la route à la fatalité et, par conséquence, à la fatalité physiologique. » Je vous rappelle, tout bonnement, qu’à l’époque, elle ne cherchait que la dépénalisation de l’avortement. Je me dois de l’imaginer toute souriante, aujourd’hui.
Je me dois également de vous avouer, chèr.e.s lecteur.ice.s, que je connais peu de textes qui soient autant d’actualité que la plaidoirie de Me Gisèle Halimi, ce qui explique probablement pourquoi je l’affectionne autant. Je n’avance pas sur ceci à la légère. Je n’essaie pas de souligner l’idée que peu de textes résonnent dans notre conscience collective, mais plutôt que les propos évoqués dans la plaidoirie se retrouvent constamment dans notre actualité.
Après tout, à chaque cycle électoral, que ce soit chez nous ou chez nos voisins du sud, la question semble se poser encore et encore, comme s’il y avait place au débat. Comme si l’accès à l’avortement et au droit de disposer de soi peuvent être remis en question dans l’absolu. Politiser l’utérus, politiser les enfants, politiser la vie et l’autonomie : n’est-ce pas là le jeu le plus largement joué en société ? À mes yeux, c’est l’équivalent d’un Monopoly souillé. De toute façon, tout ceci cause tout autant de tensions autour de la table à Noël, puis il faut avouer que ceux en position de pouvoir, qui s’en sortent le mieux, sont souvent malhonnêtes. Gisèle Halimi le dénonçait déjà, dans sa plaidoirie de 1972, que ce sont toujours les mêmes, les classes qui ne peuvent pas se permettre de contourner les lois, qui sont soumises à de telles législations et de telles conditions. Ce sont les « pauvres, vulnérables économiquement et socialement, cette classe des sans-argent et des sans-relations », pour reprendre ses mots.
« La vie, c’est sacré! » nous crieront les défenseurs des politiques à l’américaine, encourageant jusqu’à l’emprisonnement pour avoir commis le crime de disposer de son propre corps (des dispositions qui peuvent aussi, parfois, empêcher la pratique d’autres procédures connexes à l’avortement). Et pourtant…
Et pourtant, ils continueront de voter en faveur de gouvernements qui refusent de reconnaître le génocide palestinien, qui refusent d’aider ces personnes et ces enfants né.es dans des conditions qui les vouent à une vie écourtée et souffrante. Et pourtant, ils continueront à ignorer les communautés autochtones qui ont des taux de suicide alarmants, qui manquent de ressources, d’eau potable, qui essaient de revitaliser leur culture que nous avons violemment extirpée de leur être. Et pourtant, ils continueront de détourner les yeux quand ce sont les mères monoparentales qui ont besoin d’un filet social, quand ce sont ces fameux cas de garderies subventionnées pour les personnes réfugiées et sans statut de résident.e permanent.e ou de citoyen.ne. Et pourtant, ils continueront de se plaindre de tous les types de programmes sociaux qui sont là pour garantir une protection de la qualité de vie et pour donner un sens à la vie autre qu’« exister ». De ceux qui permettent de vivre vraiment. Et pourtant, c’était Albert Camus qui s’écriait que créer, c’est de vivre à nouveau, de vivre une seconde fois, et ce sont ces mêmes personnes qui veulent la censure, qui veulent le rejet de musique, de théâtre et de littérature qui n’adhèrent pas à leurs idéaux, qui vont jusqu’à brûler ce qui ne leur plaît pas, ce qui les irrite.
Certainement, il n’y a rien de sacré à supporter la misère humaine et s’opposer au bénéfice commun dans tous les cas énoncés ci-dessus. Si seulement je pouvais voir autant de véhémence de ces mêmes personnes directement contre ces politiciens, qui, après avoir incité à une éruption de violence envers l’accès à l’avortement, se font traîner sous les projecteurs pour avoir permis l’avortement de leur enfant, de leur maitresse, de leur femme… Si seulement ces enragé.e.s pouvaient accorder la même valeur à la vie de manière adéquate, j’accorderais peut-être un peu de crédibilité à leurs idéaux. Je ne demande pas grand-chose : qu’un brin de cohérence.
L’hypocrisie est la clef de voûte du démagogue, et ça, Gisèle Halimi l’avait compris, puis exposé. Je suis heureuse pour la France, horrifiée pour les États-Unis et angoissée pour le Canada.
Et pourtant, je continuerai de tout faire à ma disposition pour espérer un jour vivre sans gêne, puis je vous inciterai encore et toujours à me suivre dans cette démarche, mes chèr.e.s lecteur.ice.s. Et pourtant, je continuerai de créer pour vivre cinq-cents fois de plus, et pourtant je revendique mes droits humains et les libertés qui me sont dues pour mon utérus.
Mes frères, sœurs, adelphes, je vous en prie, ne baissez jamais votre garde, et ne laissez pas l'information fondre dans la masse. Les appels à l’action seront importants et multiples. C’est la réalité du fardeau de l’utérus, la réalité du fardeau reconnu (entre autres) le 8 mars et la réalité du fardeau allégé en France, depuis le 4 mars dernier.
C’est sur cette note que je me dois de vous laisser, chèr.e.s lecteur.ice.s, jusqu’à l’automne prochain. Si jamais vous avez des questions sur mon petit guide, des confessions ou l’envie de contester les règles de ma version de Monopoly, vous pouvez toujours me contacter sur mon compte Instagram. Ce sera mon plaisir de discuter avec vous, comme toujours.
Avec amour, courage, espoir et rage,
Mennoya Nicounen
(Instagram: @mennoya_nicounen)