Oscars 2021 : Luttes et résilience au cœur d’une lourde année
Auteur·e·s
Philippe Granger
Publié le :
23 avril 2021
C’est le dimanche 25 avril qu’aura lieu la 93e cérémonie des Oscars, qui sera présentée du traditionnel Dolby Theatre d’Hollywood, mais aussi de la Gare Union de Los Angeles et de deux locations au Royaume-Uni et en France.
En effet, c’est deux mois après sa date habituelle que sera présentée la cérémonie des Oscars, en présentiel, parce qu’il n’était pas question pour l’Académie de perdre de son charme (qu’elle commence déjà largement à perdre) et de se « réduire » aux présentations à distance, au risque de reproduire les ratés de certaines cérémonies virtuelles comme les Golden Globes. À bas la prudence! Ne prenons pas en compte le transport des célébrités, ne prenons pas en compte leurs interactions multiples (telles que vues durant la dernière cérémonie des Grammys) : après tout, la vaccination va de bon train, et les gens seront distanciés. Que peut-on demander de plus? The show must go on, comme on dit…
En fait, disons que les Oscars ont de moins en moins le luxe de perdre du soutien et des visionnements : les critiques liées au racisme, à la misogynie, à l’ethnocentrisme et au classisme fusent à chaque année à l’égard de l’organisation, qui perd ses précieuses cotes d’écoute, les gens ne connaissant souvent pas les films présentés et la nouvelle génération préférant tout simplement ne pas regarder la télé. Cela ébranle indubitablement leur stabilité, précarisant d’année en année leur statut de « référence incontestable du cinéma mondial ». Le défi devient colossal pour les Oscars : l’entreprise doit patauger entre le respect du cinéma traditionnel, le reflet de la nouvelle génération, le dynamisme et l’inclusivité, le tout dans un cadre concis, mais aussi avec des discours de remerciement, des catégories que seuls les cinéphiles connaissent et des films que peu de gens ont vus.
Quelques films historiques, beaucoup d’écho avec l’actualité et un taux particulièrement grand de caravanes : la cuvée 2020 a été, à mes yeux, une très bonne cuvée, bien qu’assez homogène. Évidemment, chaque film a ses particularités, et ils abordent tous des sujets importants, mais je juge que, somme toute, les films nommés pour l’Oscar du Meilleur film ne rentreront pas dans les annales des classiques cinématographiques de la nouvelle décennie.
En fait, si l’édition 2021 de la cérémonie des Oscars se démarque, ce n’est pas pour les films présentés, mais plutôt pour les artisans nommés. Quelques faces connues, mais aussi beaucoup de nouveaux visages; pas Meryl Streep, mais surtout BEAUCOUP DE DIVERSITÉ : l’effort d’ouverture et d’écoute de la part de l’Académie semble prendre une tangente fructueuse et donne place à des situations inusitées.
Ainsi, l’Académie présente sa liste la plus diversifiée de nommé·e·s pour interprétation et présente de surcroît de nombreuses premières fois : première fois que deux femmes sont nominées simultanément pour la Meilleure réalisation, première fois qu’une femme issue d’une minorité visible est nominée pour la Meilleure réalisation, première fois qu’un Musulman est nominé pour Meilleur acteur, première fois qu’un Asiatique est nominé pour Meilleur acteur…
Mes souhaits pour les Oscars 2022? Observer les mesures qui seront en place en faisant preuve de bon sens, continuer sur la voie de l’inclusivité, respecter les plateformes numériques comme nouveaux acteurs, MAIS SURTOUT nominer Timothée Chalamet et Denis Villeneuve, qui ont dû reporter la sortie de Dune d’un an à cause de la pandémie.
En fait, si l’édition 2021 de la cérémonie des Oscars se démarque, ce n’est pas pour les films présentés, mais plutôt pour les artisans nommés.
AMPAS
AMPAS
8. Judas and the Black Messiah
Film de Shaka King. Avec Daniel Kaluuya et Lakeith Stanfield.
Dans le Chicago des années 60, William O’Neal accepte de collaborer avec le FBI, infiltre le Black Panther Party et s’attire l’admiration du leader Fred Hampton.
Bande annonce du film Judas and The Black Messiah
La première chose à dire sur ce film est que son titre est extrêmement explicite et approprié : Judas and the Black Messiah est l’histoire d’une trahison quasi-biblique, qui emmène le/la spectateur·rice dans une montagne russe. Le film relate une histoire vraie très troublante, qui se calque parfaitement à l’actualité et met la lumière sur un large pan de l’Histoire des Noirs aux États-Unis. Néanmoins, sur ce thème, Judas and the Black Messiah est moins plaisant que d’autres films abordant de manière frontale le racisme, tels Get Out ou BlackKklansman. Il reste que les dernières scènes du film ainsi que l’excellente bande sonore permettent à Judas and the Black Messiah d’avoir une place méritée dans la course aux Oscars.
Aussi nominé pour Meilleur acteur de soutien (deux fois), Meilleur scénario original, Meilleure photographie et Meilleure chanson originale.
7. The Trial of the Chicago 7
Film de Aaron Sorkin. Avec Sacha Baron-Cohen, Joseph Gordon-Levitt, Michael Keaton, Eddie Redmayne et Mark Rylance.
Sept organisateurs de manifestations politiques de la fin des années 60 se voient poursuivis par le gouvernement américain à cause des débordements lors de ces manifestations.
Bande annonce du film The Trial of the Chicago 7
The Trial of the Chicago 7 est à la fois un film dynamique et enrichissant, qui reste toutefois dans les conventions en termes d’approche cinématographique. Parmi la distribution 5 étoiles, notons la justesse de l’interprétation de Sacha Baron Cohen et de Eddie Redmayne. Le film s’avère particulièrement d’actualité, alors que de lourds questionnements sur la responsabilité des mouvements de foule rappellent drôlement une invasion du Capitole incitée (ou du moins très peu condamnée) par un président américain. Étudiant·e·s en droit, soyez averti·e·s : quelques raccourcis cinématographiques empiètent sur le réalisme juridique du film, bien que ce dernier soit généralement fidèle au réel déroulement du procès.
Aussi nommé pour Meilleur acteur de soutien, Meilleur scénario original, Meilleure photographie, Meilleure chanson originale et Meilleur montage.
6. Mank
Film de David Fincher. Avec Gary Oldman, Amanda Seyfried et Lily Collins.
Dans la Californie des années 30, le scénariste Herman J. Mankiewicz est sommé par Orson Welles de rédiger le scénario du film Citizen Kane.
En décidant d’adapter un scénario rédigé par (feu) son père il y a de cela de nombreuses années, David Fincher a usé de nombreuses techniques cinématographiques de l’époque explorée, ce qui donne une saveur encore plus intéressante et convaincante au résultat, qui se veut un grand (et parfois très niché…) hommage aux années glorieuses d’Hollywood, mais aussi une mise en contexte de la crise socioéconomique majeure qui s’y tramait. Pour le meilleur et pour le pire, Gary Oldman nous donne du Gary Oldman, alors que les interprètes Amanda Seyfried et Lily Collins prouvent encore une fois qu’elles peuvent ratisser large et explorer un grand répertoire sans difficulté.
Aussi nommé pour Meilleur réalisateur, Meilleur acteur, Meilleure actrice de soutien, Meilleure bande sonore, Meilleur son, Meilleure photographie, Meilleurs décors, Meilleurs costumes et Meilleurs maquillage et coiffure.
5. Minari
Film de Lee Isaac Ching. Avec Steven Yeun, Han Ye-ri et Youn Yuh-jung.
Une famille d’origine coréenne essaie tant bien que mal de s’installer en Arkansas et de développer une petite ferme.
On peut dire que la boîte de production A24 n’a pas peur des paris : la boîte derrière Room, Moonlight, Midsommar, Ex Machina et The Lobster nous a habitués à des films indépendants à la marge qui inspirent une nouvelle génération d’artistes. Minari ne fait pas exception et donne la chance au réalisateur Lee Isaac Chung de raconter une histoire presque exclusivement en coréen, ce qui est assez surprenant pour un film américain. On s’entendra pour dire que l’héritage de Parasite et la diversification croissante des membres de l’Académie des Oscars auront permis à un tel film de se frayer une certaine visibilité très méritée. Relatant la poursuite d’un rêve américain au goût doux-amer, le film propose une optique rafraichissante du destin des immigrant·e·s. Notons les interprétations très crédibles de la révélation Alan Kim et de Youn Yuh-jung, déjà très connue en Corée du Sud.
Aussi nommé pour Meilleur réalisateur, Meilleur scénario original, Meilleur acteur, Meilleure actrice de soutien et Meilleure bande sonore.
4. The Father
Film de Florian Zeller. Avec Anthony Hopkins et Olivia Coleman.
Pris d’un trouble dégénératif, Anthony essaie avec beaucoup de misère de démêler ses pensées, tout en rejetant l’aide donnée par sa fille Anne.
Bande annonce du film The Father
Une « histoire de vieux » peut vous sembler plate, et pourtant The Father a peu, voire aucun, moments plats. Après tout, le scénariste et réalisateur Florian Zeller a adapté sa propre pièce, ce qui lui a permis de garder le rythme théâtral original. Le film rappelle à de nombreux égards Amour de Michael Haneke. Or, The Father se distancie du romantisme de Amour et propose une forme qui aide terriblement le contenu. Le journal britannique The Guardian a classé la performance de Hopkins comme étant la meilleure de sa carrière. Je ne saurais juger l’ensemble de la filmographie de Hopkins, mais une chose est sûre : son interprétation dans The Fatherest d’un calibre similaire à son fameux Hannibal Lecter du Silence des agneaux. Au-delà du duo d’interprètes principal, notons l’interprétation magnifique de Imogen Poots, qui a su m’ébranler à plus d’une reprise.
Aussi nommé pour Meilleur acteur, Meilleure actrice de soutien, Meilleur scénario adapté, Meilleur montage et Meilleurs décors.
2. Promising Young Woman (ex æquo)
Film de Emerald Fennell. Avec Carey Mulligan, Bo Burnham et Laverne Cox.
Auparavant destinée à devenir médecin, Cassie vit aujourd’hui chez ses parents et travaille dans un petit café. La nuit, elle vit une autre vie et cherche à s’en prendre aux agresseurs sexuels et aux violeurs.
Bande annonce du film Promising Young Woman
Promising Young Womanconstitue indubitablement le film le plus à la marge de l’année et se range sans difficulté dans la nouvelle lignée des comédies militantes postmodernes, comme Get Out ou BlackKklansman (oui, je mentionne encore les deux mêmes films). L’interprétation sans faute de Carey Mulligan sert de ciment dans ce film disjoncté et cru qui met en lumière les incohérences et les contradictions de tous les acteurs (et actrices) du patriarcat, en évitant la superficialité et le faux féminisme. Principalement connue pour son rôle de Camilla dans The Crown, Emerald Fennell fait fi de certaines approches traditionnelles et expose quelque chose de parfois très juste, parfois frêle, mais toujours senti et honnête. Oh, et si vous n’êtes toujours pas convaincu·e par ce film, je tiens seulement à vous dire ceci : Bo Burnham.
Aussi nommé pour Meilleure réalisatrice, Meilleur scénario original, Meilleure actrice et Meilleur montage.
2. Nomadland (ex æquo)
Film de Chloé Zhao. Avec Frances McDormand.
Appauvrie par la crise de 2008, une femme américaine découvre une nouvelle vie en devenant une « nomade » et en traversant les États-Unis en camionnette.
Comme le dit le proverbe : loin des yeux, loin du cœur. En nous rappelant que les orphelins du capitalisme ne sont pas si loin de nos maisons, Chloé Zhao propose un film brut et rempli d’humanité. La mise en scène de Chloé Zhao fait preuve d’une maturité et d’une sagesse de plus en plus rares dans les rangs cinématographiques américains (incluant les films indépendants). Zhao honore l’écrit de Jessica Bruder et explore l’espace et sa dualité intérieur/extérieur de manière crue, mais esthétique, et pourtant sans prétention. La force interprétative de Frances McDormand transcende l’écran : McDormand dépasse les gammes émotives traditionnelles pour réussir à nous toucher par la résilience, l’anxiété, mais aussi le malaise de son personnage.
Aussi nommé pour Meilleure réalisatrice, Meilleure actrice, Meilleur scénario adapté, Meilleure photographie et Meilleur montage.
1. Sound of Metal
Film de Darius Marder. Avec Riz Ahmed et Olivia Cooke.
Batteur dans un groupe metal avec sa copine, Reuben perd l’audition et voit sa vie complètement chamboulée.
Bande annonce de Sound of Metal
L’histoire est simple et n’a rien de bien surprenant. Et pourtant, Sound of Metal résonne (haha) par son approche de la différence. Sound of Metal épargne la pitié pour plutôt laisser place aux sacrifices, à la frustration et à l’entêtement. Dans ce film, la résilience est présente, mais pas usurpée. Le misérabilisme est rejeté et permet au film de rayonner par une brutalité cinglante et pourtant authentique. Je ne pense pas trop vous surprendre si je vous dis que Sound of Metal bénéficie d’une technique sonore extrêmement appropriée et convaincante.
Aussi nommé pour Meilleur acteur, Meilleur acteur de soutien, Meilleur scénario original, Meilleur montage et Meilleur son.