Militer pour les droits des animaux : un mouvement mené par les femmes
Auteur·e·s
Julien Di Pietro-Leblanc, Philomène Paul et Sarah Cisma, membres du FEDJA
Publié le :
29 novembre 2024
En l’honneur de cette édition de la Pigeonne dissidente, le Fonds étudiant pour la défense juridique des animaux, votre comité de droit animalier préféré de la Faculté, souhaite souligner l’importance de l’apport des femmes dans le mouvement de la défense des animaux. « Près de 70 à 80 % des activistes animalistes sont des femmes (1). » De même, notre propre comité a toujours été composé d’une majorité de femmes. En effet, tout comme le mouvement féministe, le mouvement antispéciste, visant à dénoncer les considérations morales distinctes et hiérarchisées accordées aux différentes espèces animales, est une lutte contre l’oppression d’un groupe d’êtres vivants. Se regrouper pour élever la voix des plus opprimés, c’est l’objectif commun des féministes et des militant.es véganes. Pour mettre en lumière la contribution indispensable des femmes dans la lutte pour promouvoir les droits des animaux, le FEDJA présente aux fidèles lecteur.ices du journal le portrait de trois femmes ayant fait avancer la cause animale.
Alors que les animaux sont élevés, abattus et préparés pour une consommation littérale, les femmes sont réduites à des objets de désir masculin dans les publicités et dans les représentations culturelles, dépouillées de leur individualité pour être consommées figurativement par l’hégémonie masculine.
La viande, le sexe, le désir et le déni : l’oeuvre antispéciste de Carol J. Adams
Imaginez pleurer, le cœur alourdi de chagrin, la perte de votre animal de compagnie adoré, puis, le soir même, savourer un burger sans la moindre hésitation. Aux yeux de certain.es, cette scène, en apparence anodine, n’est qu’une représentation ordinaire d’un malheur inévitable. Pour d’autres, la contradiction flagrante qui en ressort catalyse une profonde introspection sur les conséquences néfastes de leurs actes quotidiens. La prise de conscience d’une telle dissonance morale incarne la quintessence du mouvement végétalien.
C’est ce paradoxe troublant qui poussera Carol J. Adams à consacrer sa vie au militantisme antispéciste, qu’elle relie audacieusement à ses combats féministes. En 1990, elle publie son œuvre phare, The Sexual Politics of Meat : A Feminist-Vegetarian Critical Theory, où elle introduit le concept de « référent absent » (2). Empreint d’une tonalité orwellienne, ce terme dénonce l’ignorance collective entretenue et perpétuée à l’égard de l’origine des produits animaliers. Adams soutient que le langage dépersonnalisé utilisé pour désigner les coupes de viande, la fragmentation du corps animal ainsi que la séparation géographique entre l’abattoir et l’épicerie confèrent à la viande l’apparence d’un produit apparu spontanément, conçu pour être consommé, et non d’un être vivant mutilé. Au moyen de mécanismes insidieusement orchestrés par l’industrie de la viande, une barrière étanche est érigée entre le consommateur et l’animal. Ce dernier se retrouve alors réduit à un simple morceau de chair, sans âme, sans vie et sans histoire.
Parallèlement, Adams assimile le mécanisme justificatif de la violence infligée aux animaux à celui visant les femmes. Elle soutient que l’objectification, la fragmentation et la consommation sont des processus imposés aux deux groupes historiquement marginalisés. Alors que les animaux sont élevés, abattus et préparés pour une consommation littérale, les femmes sont réduites à des objets de désir masculin dans les publicités et dans les représentations culturelles, dépouillées de leur individualité pour être consommées figurativement par l’hégémonie masculine.
Décoloniser le mouvement pour le droit des animaux selon A. Breeze Harper
Il est indéniable que le mouvement pour les droits des animaux est majoritairement Blanc. Il s’agit d’un facteur qui décourage plusieurs qui s’intéressent à s’impliquer pour défendre les droits des animaux, en adhérant à un mode de vie végane, par exemple. Le mouvement pour les droits des animaux est composé de moins de 3% de personnes racisées (3). En conséquence, la branche du véganisme la plus mise de l’avant dans notre société est le White Veganism : la perception que le mode de vie sans cruauté animale est une affaire de Blancs riches et privilégiés et la promotion de cette vision du mouvement.
La Dr A. Breeze Harper est bien au courant de cet enjeu et souhaite explorer ce phénomène tout en encourageant tout le monde à adopter des habitudes véganes. Cette militante noire pour le droit des animaux est une ardente défenderesse de la théorie de l’intersectionnalité, mettant en relation l’oppression des personnes noires, l’oppression des femmes et l’oppression des animaux : « [A. Breeze Harper] observe ainsi que le spécisme, le sexisme et la blanchité sont la norme et ceci se reflète dans la communauté végane. Toutes ces oppressions sont connectées […].
Ainsi, même le véganisme, qui met de l’avant la justice et l’égalité, n’est pas exempt des dynamiques raciales et les personnes blanches véganes bénéficient également du privilège blanc.» (4) Elle adresse aussi l’importance de l’accessibilité à l’alimentation végane et le privilège des classes plus riches.
Ainsi, Harper milite pour rendre accessible le mouvement végane à toutes les communautés. Elle lutte pour déconstruire les stéréotypes racistes du mouvement végane. Pour ce faire, elle participe à plusieurs podcasts pour sensibiliser la population à ces enjeux méconnus. Elle présente des conférences et rédige des articles dans des revues scientifiques. Elle est également la fondatrice du The Sistah Vegan Project, un blogue devenu un livre publié où elle relate sa vie en tant que féministe adoptant la critical race theory promouvant l’alimentation éthique. Pour faire passer le message des activistes pour les droits des animaux, la communauté végane a besoin de plus de représentation dans les médias et dans toutes les sphères de la société. Mettre en lumière la voix des femmes noires véganes est important pour élargir le dialogue et bâtir une société sans cruauté pour TOUS et TOUTES. Fermer les yeux sur leur réalité fait régresser le mouvement pour les droits des animaux qui se dit défenseur d’un meilleur avenir pour l’ensemble des êtres vivants.
Margherita Hack : une vie dédiée à la science et au végétarisme
Être associé.e à des étiquettes qui nous différencient des autres peut être intimidant et éloigner les gens au lieu de les unir. Cependant, Margherita Hack n’a jamais craint d’être une voix dissidente.
Dans l’Italie d’après-guerre, où le droit de vote des femmes était encore inexistant, Margherita Hack parvient à se démarquer dans la société en adoptant des valeurs et des intérêts inhabituels, surtout pour l’époque.
Végétarienne dès son enfance, Hack a presque toujours suivi ce régime alimentaire. Ayant toujours été une personne sociable et volubile, elle a contribué à transmettre son message d’amour et de respect pour les animaux, entre autres en participant à de nombreuses entrevues. À une époque où les personnes végétariennes étaient peu nombreuses, elle sensibilise la population au fait que les animaux, ne pouvant pas voter, sont incapables de se défendre, ce qui nous conduit souvent à les traiter de manière honteuse. En fait, tel le veut la théorie de l’anti-spécisme, elle qualifie les animaux comme des frères, semblables à nous, capables de ressentir des émotions telles que l’amour et la souffrance. C’est pourquoi l’idée de manger des animaux la répugnait (5).
Au cours de sa vie, Hack a combattu plusieurs mythes pour encourager l'adoption de l’alimentation végétarienne, comme celui affirmant qu’il faut manger de la viande pour être fort. Elle a en effet toujours pratiqué l’athlétisme à un niveau compétitif et a remporté deux championnats universitaires. Elle est également astrophysicienne, vulgarisatrice scientifique, auteure de publications et d’essais, notamment le livre Pourquoi je suis végétarienne, où elle explique que son choix de ne pas manger de viande est dû non seulement à son amour pour les animaux, mais aussi à des raisons scientifiques. Par exemple, il est désormais prouvé que la viande provenant d'élevages intensifs est pleine d'hormones et d'antibiotiques qui peuvent gravement compromettre la santé (6).
Elle n’a jamais cessé de sensibiliser le public en les invitant à réfléchir et à faire des choix plus éthiques lorsqu'il est question de choisir les aliments qui remplissent nos assiettes. Sa mission, soit de transmettre de l’information fiable et accessible à la population, l’a suivie toute sa vie.
Ces courtes présentations ne peuvent rendre justice à la profondeur de l’œuvre de Carol J. Adams, A. Breeze Harper et Margherita Hack. Néanmoins, nous espérons que cet article éveillera la curiosité des lecteur.rices à en apprendre davantage sur les nombreuses contributions militantes et intellectuelles de ces femmes inspirantes et qu’il suscitera une réflexion sur la violence dissimulée que perpétuent les normes sociales entourant la consommation, tant animale que féminine.
Suzanne ZACCOUR, «Pourquoi les féministes ne mangent pas les animaux», (2024) 48 Revue Possibles 61, p.61, en ligne : <https://revuepossibles.ojs.umontreal.ca/index.php/revuepossibles/article/view/756/1121>
Caro; J. ADAMS, «The Sexual Politics of Meat : A Feminist-Vegetarian Critical Theory», (2018) Bookshop.org, en ligne : <https://caroljadams.com/spom-the-book>
Joëlle SOUMIS, Masculinité(s) et véganisme : La viande a-t-elle un genre?, mémoire de maîtrise, Montréal, Département de sociologie, Université du Québec à Montréal, 2023, p. 53, en ligne : <https://archipel.uqam.ca/16959/1/M18074.pdf>
Joëlle SOUMIS, Masculinité(s) et véganisme : La viande a-t-elle un genre?, mémoire de maîtrise, Montréal, Département de sociologie, Université du Québec à Montréal, 2023, p. 53, en ligne : <https://archipel.uqam.ca/16959/1/M18074.pdf>
Animalistifvg. (2010, 18 decembre). Margherita Hack: incontro sulla scelta vegetariana e sui Diritti Animali [vidéo]. YouTube. En ligne : <https://www.youtube.com/watch?v=8cLnswCrKzc>
Alessandro SALA, «Mai mangiato carne in vita mia. E mai lo farò», (2012, 17 février) Corriere della sera.