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Maux de femmes

Auteur·e·s

Maé Guignat

Publié le :

14 février 2024

À quelques pas de notre charmante faculté, près de la rue Côte-des-Neiges, se trouve l’organisme Femmes du Monde. Cet espace de solidarité féministe, ayant pour objectif de briser l’isolement des personnes en processus d’intégration au Canada, est spécialisé dans l’enjeu de la violence envers les femmes. Dans le cadre du projet Étudiants Pro Bono à l’automne dernier, en compagnie de deux autres étudiantes, j’ai eu la chance d’y passer un après-midi renversant.

« On commence à travailler ici en étant féministe, et on en devient misandre »

Notre projet : préparer une clinique d'information juridique qui présente et vulgarise le droit de la famille au Québec. Il y a quelques mois, lors d’une première rencontre avec notre avocate superviseure pour la création de l’atelier, celle-ci nous a fait part de l’importance pour les habituées du centre de connaître leurs droits. C’est un savoir qu’elle considère comme une grande force, un premier pas vers l’émancipation. Un après-midi de novembre ensoleillé, du haut de notre première session du baccalauréat à peine terminée, nous présentons timidement à une dizaine de femmes de l’organisme les lois provinciales portant sur les unions, la garde partagée ainsi que la violence conjugale. L’atelier se termine par une période de questions au cours de laquelle les femmes peuvent partager leurs situations personnelles et obtenir des avis légaux d’un.e avocat.e.


Une fois la présentation terminée, Amira, une des coordinatrices de l’organisme, nous fait part de son quotidien à Femmes du Monde. En seulement quelques minutes, elle nous dévoile une quantité effroyable d’histoires de souffrance et de violence vécues par les femmes qui fréquentent le centre. Elle nous raconte un scénario récurrent dans lequel des femmes viennent se réfugier, parfois en courant, dans le bâtiment de l’organisme avec leur conjoint à leurs trousses. La coordinatrice a même dû verrouiller les portes du bâtiment à plusieurs reprises pour empêcher un homme violent d’y entrer. Ces femmes amènent parfois leur.s enfant.s au centre pour les protéger en les éloignant du foyer. Amina nous raconte aussi que ces conjoints ont tendance à appeler la police en premier pour détourner la situation en leur faveur en accusant leur conjointe d’être instable et de kidnapper les enfants. La coordinatrice nous explique qu’elle aide présentement une femme qui a été accusée de kidnapper son enfant victime d’inceste par son conjoint qui ne fait d’ailleurs l’objet d’aucune poursuite.

Amira continue en expliquant que plusieurs d’entre elles sont arrivées au Canada à la marche. Au cours de ces traversées, ces femmes se lient parfois par nécessité ou encore par instinct de survie  avec des hommes qui s’avèrent violents, afin d’avoir quelqu’un avec qui passer à travers ces épreuves déjà extrêmement éprouvantes. Ainsi, ces hommes deviennent la raison de leur isolement, la source de leurs craintes. Preuve à l’appui, les femmes pour qui Amira se bat chaque jour lui montrent leurs brûlures, leurs hématomes et leurs cicatrices. Même si, bien sûr, ceux-ci ne sont pas toujours visibles. « On commence à travailler ici en étant féministe, et on en devient misandre », dit Amira en riant (à moitié). À travers ses récits, on s’aperçoit du bagage que ces femmes doivent porter. Dans ce cadre, le mandat d’Amina est clair. En revanche, les ressources, quant à elles, sont souvent insuffisantes et inaccessibles.


Ainsi, c’est tout le système qu’Amira dénonce. Un système dans lequel les avocat.e.s de l’aide juridique sont débordé.e.s et blasé.e.s et où les plaintes vont rarement très loin. Un système dans lequel elle a dû, à plusieurs reprises, s’interposer entre des policiers et des femmes du centre. Trop souvent livrées à elles-mêmes, les intervenantes font un travail incroyable pour aider des femmes à retrouver confiance en elles. Entre autres, elles offrent des services d’accueil, d’écoute, d’information et d’entraide en violence conjugale. De plus, il y a de nombreuses activités comme des ateliers de cinéma, de journaling, de lecture et d’origami.


En nous accompagnant vers la porte, Amira nous implore de garder une approche humaine tout au long de nos futurs parcours de juristes. À quelques pas de notre milieu universitaire privilégié axé sur l’ultra-performance existent des réalités qui méritent notre attention et notre soutien. Des réalités dont les maux sont loin d’être doux. Que valent toutes ces connaissances, ces notions apprises par cœur, si elles ne permettent pas de générer des changements qui feront progresser la justice ?

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