Marathon d’écriture : collage
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Publié le :
14 février 2024
Le samedi 20 janvier dernier, ami.e.s, étudiant.e.s et membres de l’équipe de votre journal facultaire se sont rassemblé.e.s pour participer à l’activité olympienne de l’année : le marathon d’écriture. Pendant 12 heures, armé.e.s de plumes et de ferveur, nous avons écrit. La journée était divisée entre différents ateliers, explorant la poésie, l’écriture automatique et divers thèmes, des pauses thés et beaucoup de partage. Nous ne saurions exprimer les crampes aux mains ou l’épuisement d’exploiter nos souvenirs et pensées pour les coucher sur papier, et non plus les joies d’avoir créé toute une journée ni l’émotion de découvrir dans nos écrits ici et là une flamme ravivée pour l’écriture. Ce collage est donc composé de petits morceaux écrits pendant ce samedi de janvier. Un merci chaleureux à toustes les participant.e.s et bonne lecture !
Ces larmes qui s’agglutinent pour former la rivière à laquelle j’ai rêvé. Je ne vois plus le sommet. Le fruit sucré.
Atelier d’écriture automatique — Sophie
L’acropole. Une montagne. Être au sommet de cette montagne pour voir ce qui vient vers moi. J’aime tout ce que je peux observer, toucher, contrôler, prévenir. Ce qui me surprend par l’arrière me fait peur. Un sursaut. J’aimerais me laisser aller, tomber dans les bras de l’imprévisible. Je veux être son amie pour l’apprivoiser. Il faut avancer, comme cette eau vive qui adoucit les roches au bas-fond de la rivière. Se laisser flotter sans trop savoir où aller. L’imprévisible. Mais s’il y a une chute ? Je ne l’aperçois pas. Et si je tombe ? Et si, au contraire, je trouvais un royaume. Dans mes rêves les plus fous. Je me tords en deux en y pensant. Je préfère rester au sommet de mon acropole. Vraiment ? Écouter son cœur ou sa tête. Voilà que j’ai peur. Il y a tellement de branches, d’obstacles. Je ne sais pas par où passer. Contrairement à ma logique. Et l’incertitude revient. Je ne t’aime pas. Du sommet de l’acropole, je te méprise. Je t’évite. Je te fuis. À ce moment, mon cœur se serre, l’eau dans les yeux. Ces larmes qui s’agglutinent pour former la rivière à laquelle j’ai rêvé. Je ne vois plus le sommet. Le fruit sucré. Par-delà ce ciel bleu azur, là où tout le monde veut aller. Se repentir. Ce réflexe, il est automatique. Qui m’a dit de rester ici ? Misérable et morose. Je regarde dans le miroir. Derrière moi, au loin, le sommet de l’acropole.
Atelier libre — Adrien
Prose littorale
Nuit de fête, Rimouski.
Il n’y a désormais plus que l’odeur maritime du vent qui nous garde éveillés.
Seul le phare perché sur la berge éclaire la nuit,
dans laquelle se fondent les contours d’un sous-marin échoué.
Nous sommes couchés sur la batture, le varech enlacé à nos bottes.
La marée lèche les galets striés.
Tu as choisi ce lieu.
Mais ta voix est voix bien plus limpide que la mienne,
Ivre comme la vase, bercé sur la mousse du fucus
L’air salé, le phare, les étoiles nautiques.
Tu as jeté tes vêtements dans les eaux
et fait du fleuve ta fontaine de Salmacis.
Atelier libre — Jeanne
- À propos de Melancholia
Sur les flots, tu gis, tu brises la vague. Tes draps blancs flottent dans ton sillon d’une lenteur si douce qu’elle émeut. Toi, diaphane aussi, tu défies la mort. Tu tresses l’eau de tes doigts inertes et ton expression, comme déposée sur ton visage malgré toi, me tient rigueur de ma propre vie. Elle se ferme à la rétorque. Tu es déterminée. Tu es transcendante. Et le cours t’emporte, même s’il y a longtemps que la nature n’a plus de pouvoir sur toi. Tu la commandes. Et ton regard planté dans le ciel comme mes talons dans le sol est indifférent au mien et à tout ce qui bouge encore autour de toi.
Tu es habillée de blanc, mais tu portes le deuil. Ton voile t’enveloppe comme un linceul. Il n’a jamais été question d’amour pour toi et ce ravin aurait pu être l’autre. Mais tu préfères encore souffrir seule : c’est bien ce qu’il y a de plus altruiste chez toi.
Tu es plus loin encore. Tes mains se sont maintenant refermées en poing. Sur ta poitrine, les fleurs que tu avais choisies, du bleu lilas de ses yeux à lui, de ceux qu’auraient pu avoir vos enfants. Quand l’illusion s’est-elle dissipée ? Si tu n’étais pas épouse, tu étais encore moins mère. L’infini ne t’a jamais fait. Au milieu du ventre, quelque chose pourrit. Un mal absolu qui ne tarit jamais, une vérité autrefois douloureuse et là familière. Tu n’as toujours connu que l’écho de ta propre voix.
Les cloches sonnent. On aurait dû t’entendre rire avec elles. Plus loin, ton mariage t’attend. À l’autel, il ne manque que toi. Mais jusqu’au soir tu as retenu ton souffle; tu comptais. Tu as enfilé dentelle et mousseline avant de trouver ton lit. J’ai toujours haï ton discours prophétique. Tu tenais la fin du monde au creux de tes mains, alors que sur tes poignets avançaient les fils qui arrêteraient de sauter. Je n’y ai jamais cru, mais j’aurais voulu que tu sois faite d’œillets.
Atelier haïku — Adrien
Haïkus du recoin où hiverne la souris
Moulures et rhubarbe
Dans l’antre de ma grand-mère
Un troll se balance
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Croisée de pistes
Des noms sur la cheminée
Les skieurs au chaud
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Tracé piétiné
Le vent d’une guerre de clochers
Un chevreuil s’éclipse
Atelier sur la nostalgie — Frédérique
Que veut-on garder de ce que le monde a déposé en nous ?
Grand-maman, raconte-moi des histoires de Saint-Jacques. Je suis couchée dans ton lit qui me semble immense. Les draps sont blancs et doux. J’ai l’impression de me perdre dedans, que mon corps se fond au matelas pour éventuellement disparaître. Je suis cependant bien à l’écoute de ta voix, fil conducteur du monde matériel. Tes mots m’amènent dans ton Royaume. Reine de tes histoires, je ne sais pas si tu les inventes. Je demanderai à Tante plus tard. Tu me parles de ton 12e anniversaire. Celui où tes parents ont décidé de ne pas te fêter, ma mémoire ne peut plus expliquer pourquoi. Comme la situation ne faisait pas ton affaire, tu as décidé de la prendre en main. Tu me racontes comment, en cachette, tu t’es cuisiné un vrai de vrai gâteau d’anniversaire. Comment tu as invité tes ami.es d’école à venir le manger chez toi, sur l’heure du midi. Comment ta mère, complètement prise au dépourvu, t’a laissé faire : elle savait qu’elle ne pouvait pas t’en empêcher de toute manière. Je suis assise à la table avec tes ami.es et tes sœurs. Je t’observe, je mange ton gâteau. Il goûte la vanille et mes papilles aiment ça. Je souris, j’ouvre les yeux. Nos regards se rencontrent, mais ce n’est que moi que je vois.
Atelier d’écriture automatique — Anna
La fleur bleue attire les bourdons, les bourdons s’appellent Léon. Ce sont souvent mes amis. Je les préfère aux mouches noires et poilues qui dansent avec les excréments qui puent. Les bourdons, eux, sont gentils et doux. Ça me fait penser à mon grand-père Loulou. C’était un gentil bourdon qui ne parlait pas beaucoup. Sa femme, Nénette, une girafe à la langue bien pendue, parlait pour lui. Peut-être n’avait-il rien à dire. L’art de se taire est un art que j’admire, il suffit de penser pour s’exprimer. Parler nous éloigne de nos pensées. Penser est intime et vrai : il n’y a pas besoin d’être précis. Mes mardis sont bleus et mes vendredis sont violets. Ma tête pense avec des formes et des couleurs. Vive ce cerveau sans queue ni tête. Vive la magie de la pensée. Je pense à Loulou le bourdon et Nénette la girafe.
Atelier sur Nostalgie — Florence
L’écriture de la nostalgie est l’exercice d’une reconstitution. C’est la recréation d’un moment vécu qui échappe désormais au réel. En creusant au plus profond de sa mémoire, en plongeant dans ses souvenirs, on met en tension fiction et vérité. Que ce soit un effort de reconstruction, fidèle des événements passés ou une tentative de berner son lectorat en jonglant entre les moments vécus et fictifs, il n’en demeure pas moins que le récit du passé contient une part de subjectivité et d’invention. En racontant ce qui n’est plus, on ne fait que produire « un effet du réel ». C’est d’ailleurs ce qui tiraille l’auteure Delphine de Vigan dans son roman auto fictif portant sur l’enfance de sa mère Rien ne s’oppose à la nuit : « Incapable de m’affranchir tout à fait du réel, je produis une fiction involontaire, je cherche l’angle qui me permettra de m’approcher encore, plus près, toujours plus près, je cherche un espace qui ne serait ni la vérité, ni la fable, mais les deux à la fois. » (1)
Face à cette impuissance de reconstituer fidèlement les scènes marquantes d’une époque révolue, il me paraît tout de même fort éclairant de retourner à ses souvenirs et de coucher sur papier quelques tranches de vie. L’auteure Rafaële Germain, après avoir accompagné ses parents au crépuscule de leurs existences, dans la perte progressive de leurs facultés intellectuelles, réfléchit à l’importance de la conservation de ses souvenirs personnels dans Forteresses et autres refuges : « Et si on fait le choix de prendre parfois un peu de temps pour dépoussiérer notre passé, ses leçons comme ses éblouissements, ses plaies vives et ses grandes joies, ne serait-il pas souhaitable de polir aussi, parfois des instants suspendus où dans un formidable concentré de sens, nous nous sommes sentis exister pleinement, dans une sorte de communion avec ce qui nous entoure. Que veut-on garder de ce que le monde a déposé en nous ? » Soyons donc les libraires de notre mémoire pendant que nous sommes pleinement conscient·e·s.
Delphine de Vigan, Rien ne s’oppose à la nuit, Éditions Le livre de poche (JC Lattès 2011), p. 139
Rafaële Germain, Forteresses et autres refuges, Québec Amérique, Collection III, 2023, p. 19-20