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Manifeste bijuridique (inter)facultaire

Auteur·e·s

Thomas Doré

Publié le :

24 mars 2022

Je n’aime pas l’expression « faculté de droit civil » que certain·e·s utilisent parfois pour décrire la Faculté de droit de l’Université de Montréal, et celle d’autres universités à travers la province. Outre sa dimension symbolique, qui, en opposant les facultés dites « de droit civil » aux autres, permet de distinguer comme il semble se devoir le Québec des autres provinces à l’histoire apparemment moins excitante, je ne peux que voir le caractère trompeur et franchement fallacieux d’une telle appellation.

Bref, pas besoin d’avoir fait un bac avant pour comprendre que la formation de juristes compétent·e·s dans le contexte juridique du Québec exige bien plus qu’une « faculté de droit civil », et que la common law occupe une partie importante du cursus des étudiant·e·s au baccalauréat, que ce soit en droit constitutionnel, pénal, corporatif, judiciaire, fiscal ou autres.

Non, je n’étudie pas dans une faculté de droit civil : j’étudie dans une faculté de droit où on m’enseigne le droit québécois, certes, mais aussi le droit canadien applicable dans la province. J’étudie aussi le droit international, lequel est, ne vous en déplaise, effectivement du droit. J’étudie le droit privé, que j’aime bien, et le droit public, que j’aime tout autant. Ainsi, j’ai la chance, cette session, de me pencher à la fois sur l'application de la common law, de tradition anglaise, à l’administration de la province et celle du Code civil du Québec aux effets de commerce, lesquels sont régis par le droit bancaire, de compétence fédérale. Plutôt qu’une tirade fédéraliste, le bijuridisme à notre faculté est une réalité qui transcende le partage des compétences, les divisions politiques et, tant qu’à y être, linguistiques.


Bref, pas besoin d’avoir fait un bac avant pour comprendre que la formation de juristes compétent·e·s dans le contexte juridique du Québec exige bien plus qu’une « faculté de droit civil », et que la common law occupe une partie importante du cursus des étudiant·e·s au baccalauréat, que ce soit en droit constitutionnel, pénal, corporatif, judiciaire, fiscal ou autres. La common law n’est pas meilleure que le droit civil, il appert seulement que c’est elle qui s’applique à une panoplie de domaines un peu-beaucoup-absolument essentiels.


Bien sûr, je reconnais la distinction fondamentale entre le Québec et les autres provinces canadiennes, surtout en ce qui a trait à son droit privé, mais également à certains aspects de son droit public, qui s’est à de nombreux égards inspiré de la tradition civiliste. Cette distinction pourrait certes justifier l’utilisation d’une appellation différente pour les facultés de droit québécoises. Effectivement, un étudiant formé à Halifax aurait bien plus de difficulté à passer son Barreau au Québec qu’en Alberta, et mes propres connaissances de droit privé ne serviraient pas à grand-chose dans un litige relatif à une servitude en Saskatchewan. Il y a aussi la situation plus complexe des universités au bijuridisme plus évident, comme l’Université d’Ottawa, avec ses sections de droit civil et de common law, et l’Université McGill, avec son programme combiné B.C.L./J.D., dont on souhaite sans doute tenir compte.


Je trouve simplement que l’appellation « faculté de droit civil » n’est pas la meilleure dans les circonstances. Parmi ses effets délétères, elle invisibilise notamment le travail des grand·e·s publicistes de notre faculté, les Jean Leclair, Anne-Marie Boisvert, Martine Valois et autres Annick Provencher de ce monde, à qui la malheureuse appellation ne rend à mon avis pas honneur.


Les avenues de common law à la Faculté


Outre, bien sûr, les aspects de common law de certains cours obligatoires ou à option intégrés au programme de baccalauréat en droit, il existe plusieurs cours et programmes permettant aux étudiant·e·s de l’UdeM d’approfondir leurs connaissances en common law, et dans certains cas, d’acquérir une formation leur permettant de passer le Barreau dans une autre province canadienne, voire dans certains États américains.


D’abord, le cours DRT 3003 : Éléments de common law, un cours du bloc C, offre aux étudiant·e·s au baccalauréat l’occasion d’en apprendre plus sur les fondements du système de common law. Le cheminement Honor permet lui aussi de plonger dans cet univers, en donnant accès aux cours de deuxième cycle, dont ceux normalement offerts aux étudiant·e·s du J.D. Bien sûr, le cours DRT 3003 et les cours du cheminement Honor ne permettent pas d’obtenir une formation complète de common lawyer, mais ils représentent sans doute une bonne manière de s’initier.


Le Juris Doctor - common law nord-américaine, un programme de 32 crédits obligatoires, qu’il est possible de compléter à la Faculté en une année à temps plein, ou en plus de temps à demi-temps ou à temps partiel, donne quant à lui accès à la pratique transnationale. Il est également possible, grâce à une entente interfacultaire, de compléter son J.D. à Osgoode Hall Law School, la Faculté de droit de l’Université York, à Toronto.


C’est la voie qu’a choisie un étudiant de troisième année, interviewé pour le présent article : « Osgoode, c’est l’une des meilleures facultés de droit au Canada, et l’une des plus réputées, alors la possibilité de faire mon J.D. à cet endroit m’excite énormément. J’ai aussi vraiment voulu vivre l’expérience d’aller à l’université ailleurs qu’au Québec. »


Le processus d’admission pour ce programme, rapporte l’étudiant, est assez simple : « Ils m’ont demandé mon relevé de notes, un CV, une courte lettre de motivation en français à l’attention de l’UdeM, une courte lettre de motivation en anglais à l’attention d’Osgoode, expliquant pourquoi j’aimerais faire l’échange et pourquoi je serais un bon candidat. C’est l’UdeM qui va analyser ma candidature en premier, et ensuite l’envoyer à Osgoode pour qu’ils puissent prendre la décision finale. »


Pour les plus pressé·e·s, il existe également un programme combiné permettant de compléter son LL.B. et son J.D. en trois ans à l’UdeM. Ce programme combiné n’est toutefois ouvert qu’à ceux qui ont déjà complété un baccalauréat avant d’entrer en droit. Vous l’aurez compris, n’est pas le genre de programme relax que l’on choisit pour se la couler douce : c’est un programme dense, avec peu de cours à option, en plus des cours d’été et, plus généralement, de beaucoup d’huile de coude.


Ces programmes ne sont donc pas à prendre à la légère. En plus d’exiger un effort important sur le plan académique, ils exigent souvent un degré d’organisation supplémentaire par rapport au parcours « ordinaire » du baccalauréat. Leurs exigences et particularités sont souvent nombreuses et méconnues, et on ne saurait négliger l’aspect administratif. Saviez-vous, par exemple, que les étudiant·e·s de l’UdeM au J.D. à Osgoode Hall paient les frais de scolarité de cette dernière, non pas ceux de l’UdeM, contrairement à ce qui prévaut dans le cas de la plupart des programmes d’échanges internationaux ?


En conclusion, je me permets un conseil d’ami : ne pas hésiter à consulter le site Web de la Faculté et, surtout, à contacter sa TGDE ou bien le personnel administratif de la Faculté (voire celui d’Osgoode Hall) avant d’entamer l’un des programmes susmentionnés. Il serait vraiment dommage de voir son projet d’études gâché par une simple formalité administrative, une information erronée ou une erreur de bonne foi.


Postface et réflexions


Il faut se rendre à l’évidence : l'appellation « faculté de droit civil » est encore plus tirée par les cheveux quand l’on tient compte du fait que la Faculté offre ses propres avenues de common law. Ces programmes et cours complètement chouettes, s’ils étaient davantage mis de l’avant, permettraient certainement à l’UdeM de rivaliser avec, pour ne pas la nommer, la prestigieuse Université McGill.


Je ne suis certainement pas le seul qui, jadis convaincu par le message sous-tendu par l’utilisation répandue de l’expression que je honnis désormais, ne savait pas que de tels programmes existaient à l’UdeM, et ne les a donc jamais envisagés.


Soyons bien clairs, je ne reproche pas à la Faculté d’utiliser l’expression « faculté de droit civil » pour se décrire elle-même, tout simplement parce que je ne prétends pas qu’elle le fait. Je lui reproche plutôt de ne pas mettre davantage de l’avant son caractère bijuridique, au détriment, notamment, des étudiant·e·s voulant tenter leur chance au J.D., que ce soit dans le programme combiné ou bien aux cycles supérieurs, à Montréal ou bien à Osgoode Hall, et qui peuvent être victimes de la méconnaissance de ces programmes.


Les étudiant·e·s et la Faculté seraient tous·tes deux gagnant·e·s à mettre davantage de l’avant la common law. Combien d’étudiant·e·s actuel·le·s pourraient mieux orienter le futur de leur carrière juridique ? Combien de problèmes administratifs pourraient être évités ? Combien d’étudiant·e·s internationaux·nale·s, notamment américain·e·s, et d’autres provinces canadiennes pourraient être attiré·e·s par notre faculté et venir contribuer à sa diversité ?


Il est temps pour notre faculté d’affirmer clairement son bijuridisme, et d’agir en conséquence.

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