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Levée de voile sur les frat et soro à l’Université de Montréal

Auteur·e·s

Apolline Labeta

Publié le :

28 août 2023

Secrets, épreuves et rites de passage… promis ce n’est pas une nouvelle série Netflix. Peut-être avez-vous entendu parler des Nu Delta Mu ou des Sigma Thêta Pi? Des noms assez étranges si l’on ne connaît pas l’environnement des sororités et des fraternités, encore plus étranges si l’on ne connaît pas le grec. Et pourtant ces sororités et fraternités sont bien présentes à l’Université de Montréal : recrutement, soirées, levées de fonds... Dans les a priori classiques liés aux organisations grecques on a le bizutage, la consommation excessive d’alcool ou encore les secrets. Cependant, la vérité est tout autre et les films ne mettent pas assez en lumière l’engagement philanthropique et social de ces organisations. C’est pourquoi dans cet article je me suis penchée sur le sujet et j’ai eu l’occasion de rencontrer des membres de fraternités et de sororités de l’UdeM.

Le pledging est une période qui suit la période de recrutement (rush) et qui a pour but de tester les membres qui souhaitent intégrer l’organisation (pledge). C’est notamment pendant cette période que l’on entend beaucoup parler de cas de harcèlement et de bizutage.

La notion de fraternité universitaire est créée en 1776 aux États-Unis. La première fraternité porte le nom de Phi Beta Kappa et le concept devient si populaire qu’il se diffuse même dans les grandes universités telles que Yale, Harvard ou encore Dartmouth. Par contre, ce sont les Phi Beta Kappa qui mettent en place les règles que l’on retrouve encore dans la communauté grecque : les noms en lettres grecques, les devises (exemple : Harmonia, Fides et Dignitas pour les Nu Delta MU), la discrétion, le rituel d’admission aussi appelé le pledging, les blasons, les signes secrets, les hymnes...


Ces organisations grecques étaient avant tout des cercles de socialisation importants pour la bourgeoisie admise dans ces sociétés. Ce lien fraternel persiste même après la fin des études avec, par exemple, le financement de la fraternité par les anciens élèves. C’est aussi un bon moyen de se créer un réseau socioprofessionnel. Saviez-vous que Michelle et Barack Obama, Rosa Parks ou encore Alicia Keys et Brad Pitt faisaient partie d’une sororité ou d’une fraternité?

Ce lien demeure toujours aussi solide dans les fraternités et les sororités d’aujourd’hui, comme l’explique Owen, le Pledgemaster de cette session chez les Sigma Thêta Pi. Le pledgmaster est chargé de la phase d’initiation pour entrer dans la sororité ou fraternité. C'est grâce à cette expérience communément appelée le pledging qu’un lien fort et inaltérable se forge entre ses membres. Cela crée une « bromance » ou un « sisterhood », ce sentiment d’appartenance, comme quand on se retrouve chez soi. C’est comme une deuxième famille où l’on sait que ses frères et ses sœurs seront toujours là pour vous.


Le concept de sororité comme nous l’entendons est assez récent et féministe, ce n’est pas juste une fraternité au féminin. C’est un concept qui s’est construit en réaction aux fraternités, un mouvement politique et réactionnaire. Au début, les organisations à lettres grecques étaient appelées des fraternités féminines. La première sororité est née le 27 janvier 1870 : les Kappa Alpha Theta, en réaction au manque d’accès aux études supérieures pour les femmes. Le but était de donner du pouvoir et de la visibilité aux femmes dans des universités majoritairement masculines. Ce n’est qu’en 1874 qu’est officiellement adopté le nom de sororité par les Gamma Phi Beta. Chaque membre est considéré comme une sœur, sans référence à des rôles de fille ou de mère.

Ce phénomène féministe semble s’opposer aux idées promulguées dans certains films comme Américan Pie, qui nous donnent un aperçu des sororités. Pourtant, les Nu Delta Mu de l’Université de Montréal ont bien su déconstruire tous ces stéréotypes. Elles m’ont démontré qu’aujourd’hui, être dans une sororité, c’est un engagement à part entière.


Si le concept a su attirer beaucoup d’étudiants, aujourd’hui la Greek fait surtout parler d’elle à travers de nombreux scandales, surtout en Amérique du Nord. Elle est tantôt comparée à une secte, tantôt à la franc-maçonnerie. Bien qu’il y ait une part de tradition, de secret et d’initiation, les organisations grecques se sont bien adaptées aux règles de l’Université de Montréal, notamment en ce qui concerne le harcèlement. C’est pourquoi elles doivent faire preuve d’une certaine transparence auprès de l’Université pour être sanctionnées par l’administration.


La transparence devient nécessaire à mon sens lorsque les journaux révèlent des scandales liés à ces organisations. De plus en plus, on parle de bizutage, de harcèlement, notamment aux États-Unis. Cela est lié au fait que des journaux comme The Guardian annoncent : « Une fille sur cinq est victime d’agression sexuelle sur les campus américains ». À cela s’ajoute l’affaire Brock Tuner de Stanford, membre des Kappa Alpha. Cependant, cela semble très loin des organisations grecques présentes à l’UdeM, que ce soit par les valeurs qu’elles prônent ou l’encadrement fait par l’université.


Que se soit chez les Nu Delta Mu ou les Sigma Thêta Pi, les deux groupes sont tombés d’accord pour dire que ce qui se passe aux États-Unis est très éloigné de ce qui se déroule pendant leur pledging.


PRÉSENTATION DES ORGANISATIONS GRECQUES

Cette sororité est encore récente, bien que le concept de sororité soit ancien, le modèle évolue avec le temps et de nouvelles organisations continuent de naître ou de disparaître en raison d’un manque de membres. La sororité Nu Delta MU a été créée en avril 2011 par Danika Blanchard, Noémie Dabrony et Myriam Miniville, avec l’aide des deux autres organisations à lettres grecques de l’UdeM : les Sigma Theta Pi et les Zêta Lambda Zêta. C’est pourquoi ces trois organisations restent très liées encore aujourd’hui. Le premier chapitre de leur histoire a été ouvert ici même à Montréal et, par la suite, la sororité a pu ouvrir d’autres chapitres, notamment à Paris et Amiens en France.


Les Sigma Theta Pi sont plus vieux, créés en 2003 à Grenoble. Cette fraternité s’est établie à Montréal en 2008, lorsque l’un de ses quatre fondateurs s’est expatrié à Montréal. Par la suite, ils ont ouvert d'autres chapitres un peu partout en France et au Québec. Le chapitre de Montréal de cette fraternité est la seule fraternité officiellement reconnue par une université francophone au Canada.


RÉSUMÉ DES ENTRETIENS avec Océane Corbin (présidente des Nu Delta Mu), Juliette Henry (pledgmaster des Nu Delta Mu), Abdel Issaka (président dés Sigma Thêta Pi) et Owen Douet (pledgmaster des Sigma Thêta Pi).

  • Qu’est-ce que ça représente pour vous de faire partie d’une sororité ou d’une fraternité? Ça veut dire quoi être sœur ou frère?

La signification de sororité est propre à chacun. Pour Océane, c’est simplement une association étudiante non mixte avec un aspect plus familial que les autres associations. Elle se démarque aussi par les valeurs fortes qu’elle porte : l’excellence académique, la vie sociale et la philanthropie, mais aussi par le fait d’être la première sororité francophone féministe au monde. L’excellence académique est importante, car l’une des conditions indispensables pour être active dans la sororité est d’être étudiante, donc il faut pouvoir se soutenir dans ses études. Quant à la philanthropie, il s’agit de redonner à la société ce qu’elle nous a offert. 


Enfin, la vie sociale, pour Juliette, c’est ce qui fait partie de l’image des sororités et des fraternités dans l’imaginaire collectif et c’est ce qui permet de tisser des liens entre les organisations grecques. Les Nu Delta Mu ont fait le choix de ne pas mettre l’accent sur l’excellence sportive (valeur qui se retrouve dans beaucoup d’organisations à lettres grecques, notamment chez les Sigma Thêta Pi). Pour Océane, ce sont des valeurs essentielles pour vivre ensemble. Elles constituent ce que la sororité laisse comme image et ce qu’elle prône. Une valeur essentielle pour Juliette est le sisterhood, car « c’est ce lien qui nous permet de nous sentir libres et ne pas être jugées ». Même si au premier regard rien ne semble les rapprocher, elles partagent des valeurs et des idées communes.


L’idée qu’Owen m’a présentée se retrouve chez les Nu Delta Mu : faire partie d’une organisation à lettres grecques c’est une expérience unique grâce à laquelle on peut créer des liens forts et même se trouver une deuxième famille. Leur président, Abdel, a d’abord hésité à rentrer dans d’autres associations étudiantes avant d’envisager les Sigma Thêta Pi, mais il a découvert que la fraternité lui permettrait de s’ouvrir à d’autres associations et d’avoir une certaine diversité, que ce soit dans ses activités ou dans le réseau qu’il allait se construire grâce à la fraternité.


Si la sororité Nu Delta Mu se dit féministe, les Sigma Thêta Pi, quant à eux, se disent gentlemen, ce qu’ils considèrent comme une valeur intrinsèque à leur fraternité. Une valeur qui semble tombée en désuétude et être en totale opposition avec le féminisme. En revanche, il n’en est rien pour Abdel et Owen. En effet, pour eux, le terme « gentleman » veut dire traiter avec respect tous et toutes, pas seulement les femmes. Il s’agit d’être humaniste, voire féministe, et de prôner l’égalité homme-femme. C’est encourager leurs membres à respecter le principe de respect et de bien vivre en société.

  • Que faites-vous ? Faites-vous la fête comme dans les films?

On a souvent des a priori sur les organisations à lettres grecques, j’ai donc voulu savoir ce qu’une sororité fait en pratique. Est-ce que ce sont que des soirées étudiantes? La réponse d’Océane a été claire : non. La sororité fait des activités en rapport avec leurs valeurs. Certes, il y a des soirées avec d’autres organisations, mais ce n’est pas la majorité de son activité. Effectivement, il y a des soirées avec des fraternités et de l’alcool, mais il y a aussi des après-midis de détente (sorties luges au Mont-Royal, séances café-étude, soirées cinémas et plus encore). 


La sororité est à l’image des sœurs qui la composent. Ainsi, ce sont aussi beaucoup de moments passés entre sœurs. Océane souligne que la non-mixité a toujours été un élément essentiel pour certaines personnes faisant partie de sa sororité. Cette non-mixité offre un espace sécuritaire pour aborder des sujets et des choses qui ne concernent que les femmes. Cette condition de non-mixité ne l’empêche toutefois pas d’avoir de très bons liens avec les Sigma Thêta Pi.


Abdel, le président des Sigma Theta Pi, confirme l’importance de la non mixité pour de telles associations. Chacun a ses problèmes et parfois, même souvent, la non-mixité aide à résoudre ces problèmes, car chacun se sent plus à l’aise de s’exprimer. Océane prétend qu’il ne faut pas stigmatiser la non-mixité. Elle estime que c’est ce qui aide à créer des dynamiques qui diffèrent de celles que l’on peut observer dans des associations mixtes qui ont tendance à regrouper davantage d’hommes que de femmes malgré l’absence de contraintes liées au genre.


Les stéréotypes des fraternités incluent l’alcool à profusion et les tournois de beer pong. Même si les Sigma Thêta Pi sont les heureux gagnants de plusieurs tournois de beer pong, beaucoup de leurs membres ne boivent pas, que ce soit pour des raisons religieuses ou personnelles. D’ailleurs, Abdel, leur président, ne boit pas d’alcool. Il explique être conscient du danger de l’alcool et de son côté récréatif.


La consommation d’alcool est très encadrée, que ce soit chez les Sigma Thêta Pi ou les Nu Delta Mu. Il faut toujours être conscient de ses actes et de l’image que les membres de ces associations renvoient, car elles peuvent avoir des répercussions sur l’image de l’organisation dans son ensemble. Juliette m’explique que la sororité est affiliée à l’Université, ce qui rend d’autant plus important de préserver une bonne image : « on ne s’empêche pas de boire ou de vivre, on essaie juste de protéger nos membres ».

  • En quoi consiste le pledging? C’est du bizutage?

Si les événements sociaux occupent une grande partie du calendrier de chaque organisation, la session est surtout rythmée par la période de pledging. Le pledging est une période qui suit la période de recrutement (rush) et qui a pour but de tester les membres qui souhaitent intégrer l’organisation (pledge). C’est notamment pendant cette période que l’on entend beaucoup parler de cas de harcèlement et de bizutage. Owen explique que si la limite est fine entre pledging et bizutage, il s’agit surtout de pousser les pledges à se dépasser, mais à ne jamais les placer dans une zone d’insécurité.


Pour Juliette, cette période d’initiation doit rester en accord avec les règles et avec la volonté d’être bienveillante, donc le bizutage est exclu. Il s’agit avant tout d’apprendre à connaître la sororité dans laquelle on postule. Cependant, il faut tout de même faire ses preuves pour montrer qu’on peut se dépasser, s’organiser et qu’on mérite sa place dans la sororité. Cette période est fondatrice du groupe de femmes qui va composer la sororité.


Tous sont d’accord pour dire que c’est une période qui permet de tisser des liens très forts, mais aussi d’instaurer un certain respect envers les aîné.e.s.

  • Qu’est-ce qui est secret?

« TOUT !!! » ont-ils tous crié, mais cela concerne notamment certains éléments du pledging, la nature active de la sororité et tout ce qui se passe à l’interne. L’Université garde un certain contrôle, car chaque organisation soumet une charte qui décrit le processus d’intégration pour s’assurer du respect des règles.


Attention, ce n’est pas une secte, on peut y entrer et connaître les secrets. Personne ne nous empêchera de partir pendant le pledging ou même après être devenu.e un.e membre actif.ve. Il faudra cependant toujours garder le secret.

  • On n’associe pas souvent associatif et fraternité. Pourtant, c’est au cœur de la greek à l'Université de Montréal. Y-a-t-il une cause qui vous tient plus à cœur?

La philanthropie est au cœur de ces deux organisations, que ce soit dans leurs valeurs ou dans leurs actions. Il s’agit avant tout de donner de son temps à la société. Ces organisations encouragent leurs membres à travailler sur soi-même. C’est un point non négociable pour rester actif : il faut faire ses heures de bénévolat.


Cette session, les Nu Delta Mu ont fait le choix de soutenir la maison Simonne Monet Chartrand. Cette association vient en aide aux femmes victimes de violence conjugale et s’inscrit dans les valeurs féministes de la sororité. Cassie Bonnard, la responsable de la mission philanthropique des Nu Delta Mu, s’est particulièrement illustrée par l’organisation de plusieurs collectes de fonds à travers la vente de plantes dans le pavillon Jean-Brillant.


Pour Owen, la mission associative est très importante, car c’est une valeur qui va plus loin que l’excellence sportive ou académique : c’est le désintéressement de soi-même : « Je ne fais pas ça pour moi. J’existe et je suis conscient du bien que je peux faire. » Il a notamment pris conscience de sa chance en soutenant l’association Rêve d’enfants qui soutient les jeunes hospitalisés pour essayer de leur offrir une vie plus « normale ».


Mon conseil serait d’essayer. Lancez-vous, la session d’automne approche. La période de rush est faite pour ça, à savoir si la sororité ou la fraternité est faite pour vous. Cela permettra de déconstruire des stéréotypes qui persistent peut-être.

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