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Les risques inhérents : Homme vs Femme

Auteur·e·s

Roxanne Beaucage

Publié le :

10 mars 2021

Il faut attendre des années pour que le gouvernement reconnaisse l’urgence immédiate de prise d’actions pour la protection des femmes en matière de violence sexuelle et de discrimination sexuelle. Le massacre de la Polytechnique de Montréal en 1989 a fait en sorte que le gouvernement ne pouvait plus se fermer les yeux sur la réalité des femmes et se devait d’agir face à cette situation. À la suite de cette tragédie, le gouvernement fédéral a effectué une enquête qui a révélé qu’une femme sur quatre a subi de la violence conjugale. Le gouvernement a pris des actions concrètes en créant des centres de recherche canadiens sur la violence que les femmes subissent (1). Dans les années 1990, il y a donc une reconnaissance de la réalité du problème de violence sexuelle que les femmes vivent depuis beaucoup trop d’années. En 1992, à la suite de la décision Seaboyer (2), on amende le Code criminel pour définir la notion de consentement afin d’assurer un traitement plus équitable aux victimes d’agression sexuelle (2).


Dans la décision Weatherall c. Canada (Procureur général) de 1993 (3), la question est de savoir si les fouilles par palpation et les rondes de surveillance des cellules par des gardiens de sexe féminin dans les prisons pour hommes sont inconstitutionnelles en vertu des articles 7, 8 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. C’est ce à quoi s’oppose l’appelant en cause. Les gardiens, lors des rondes de surveillance, doivent inspecter les cellules toutes les heures, mais jamais avec le même intervalle de temps entre celles-ci pour qu’elles soient faites à l’improviste.


Le caractère improvisé est important, sans quoi les détenus pourraient prévoir les rondes de surveillance et s’y préparer. Le détenu mentionne que ces rondes font en sorte que les gardiens peuvent les voir nus ou encore sur la toilette. Il s’oppose également au fait que les détenus n’aient pas accès à un gardien de sexe masculin pour effectuer les fouilles. La Cour conclut qu’il n’y avait pas lieu de s’opposer à ces pratiques pour les raisons que l’appelant mentionne. Ces deux pratiques sont nécessaires pour la sécurité des prisons. Les détenus doivent s’attendre à ce que leur intimité soit réduite puisqu’ils sont en prison et le fait que les gardiens suivent une formation pour assurer la dignité des détenus lors des fouilles permet de réduire au maximum cette atteinte. L’intérieur des cellules des prisons est toujours visible et requiert une surveillance. Cette visibilité permet d’assurer la sécurité des détenus, des gardiens, bref, de l’établissement entier. Le fait que ce soit des gardiens de sexe féminin ne change rien à cela. Les prisons impliquent de facto que la vie privée sera atteinte, et donc, les articles 7 et 8 de la Charte ne sont pas en jeu.

Sans cette décision, l’expression « beau parleur petit faiseur » aurait très bien trouvé son sens. Dans l’analyse, on voit clairement que la Cour applique l’objectif gouvernemental de l’équité d’emploi entre les sexes…

Pour ce qui est des fouilles par palpation, la Cour conclut que l’article 15 de la Charte, qui prévoit l’égalité, ne fait pas en sorte que l’on doive toujours avoir un traitement fait par une personne de notre sexe. Pour la Cour, le fait que les pratiques en jeu soient interdites lorsque les gardiens sont des hommes et que les détenues sont des femmes ne veut pas dire qu’elles sont pour autant interdites dans le cas contraire. Pour justifier cet argument, elle se base sur les différences historiques, biologiques et sociologiques entre les hommes et les femmes et conclut que pour les femmes, les fouilles par le sexe opposé constituent une « plus grande menace ». En effet, elle considère qu’elle doit prendre en compte la tendance historique montrant que les femmes sont davantage victimes de violence de la part des hommes que le contraire. Elle dit même expressément : « […] ne trouve pas son pareil dans ce sens inverse, c’est-à-dire en ce sens que les hommes seraient les victimes et les femmes les agresseurs » (p. 877) (3). Elle explique aussi que, biologiquement, les fouilles par palpation de la poitrine engendrent davantage de préoccupations pour un détenu de sexe féminin lorsque le gardien est du sexe opposé que l’inverse.


Finalement, elle mentionne aussi l’aspect sociologique expressément : « En outre, dans la société, les femmes sont généralement défavorisées par rapport aux hommes » (6). Ces trois éléments justifient l’opposition de la Cour par rapport à l’inconstitutionnalité des fouilles par palpation et des rondes de surveillance des cellules par des gardiens de sexe féminin dans les prisons pour hommes.


De plus, la Cour mentionne que le gouvernement, dans les années précédentes, a voulu promouvoir l’importance de l’équité en matière d’emploi entre les hommes et les femmes. Le fait qu’il y ait des gardiens de sexe féminin est un pas de plus vers cet objectif. Elle conclut donc que même si ce traitement viole l’article 15, il est justifié par l’article premier de la Charte en raison de la proportionnalité des moyens utilisés face à l’importance de cette fin. Le gouvernement souhaite renforcer la place des femmes en matière d’emploi; donner raison à la contestation du détenu dans le présent renvoi serait un pas en arrière et menacerait cet objectif gouvernemental.


Les arguments de l’analyse de la Cour sont très importants pour les droits des femmes. En effet, comme mentionné dans l’introduction, le gouvernement, avant cette décision, avait pour but de favoriser l’équité en matière d’emploi entre les sexes et avait commencé à faire des études pour révéler la réalité des femmes au Québec. Sans cette décision, l’expression « beau parleur petit faiseur » aurait très bien trouvé son sens. Dans l’analyse, on voit clairement que la Cour applique l’objectif gouvernemental de l’équité d’emploi entre les sexes puisqu’il considère que cet objectif est un des éléments qui justifie l’atteinte de l’article 15 de la Charte. Le plus important dans cette décision pour le droit des femmes est, selon moi, que la Cour reconnaît expressément que le fait d’être une femme comprend des risques que le fait d’être un homme ne comprend pas.  La dichotomie entre l’interdiction de fouilles par un gardien vis-à-vis une détenue et l’autorisation de tels gestes lorsqu’on inverse les rôles illustre parfaitement cette prise de conscience. En effet, d’après la Cour, il est essentiel que l’on tienne compte du sexe féminin dans l’évaluation de la portée d’un geste, car les risques sont bien plus grands que pour un homme. Elle prend même comme justifications le contexte historique, sociologique et biologique entre les deux sexes et considère qu’il y a bel et bien une vulnérabilité chez les femmes qui est absente chez les hommes. Juridiquement, cela fait en sorte que les tribunaux peuvent prendre en considération ce facteur.


Pour moi cette décision est très importante. La Cour n’était pas obligée de prendre en considération ce facteur, mais elle l’a fait. En tant que femme en 2021, j’ai encore l’impression que des gens ne reconnaissent pas qu’être une femme, c’est différent qu’être un homme. Que le soir, lorsqu’il fait noir, une femme va changer de trottoir lorsqu’elle croise un homme, mais que l’homme ne changera pas de trottoir lorsqu’il croise une femme. La société tente de justifier ces comportements en disant qu’on est simplement peureuses et qu’en 2021, on ne devrait plus s’en faire, mais ce n’est pas le cas. Je ne dis pas qu’il n’y a pas eu de progrès, au contraire! Un exemple de progrès concret serait la récente modification de la Loi sur le divorce, qui reconnaît désormais la violence conjugale chez les couples mariés (4). Or, la loi ne reconnaît pas la violence chez les couples non mariés. Il reste donc du chemin à faire, mais c’est tout de même un pas dans la bonne direction. C’est ce que je tente d’expliquer : si une femme a peur de marcher seule le soir, on ne devrait pas dire que c’est uniquement parce qu’elle est peureuse, mais réaliser qu’il y a bel et bien une différence entre les réalités des deux sexes, et on devrait tenter de remédier à cela comme l’a fait la Cour dans la décision Weatherall c. Canada (procureur général) (3).

Sources citées

  1. REGROUPEMENT DES MAISONS POUR FEMMES VICTIMES DE VIOLENCE CONJUGALE, « Un peu d’histoire… », Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale, [En ligne],  «https://maisons-femmes.qc.ca/historique/» consulté le [19 février 2021].

  2. R. c. Seaboyer, [1991] 2 R.C.S 577.

  3. Conseil du statut de la femme, « La violence faite aux femmes : à travers les agressions à caractère sexuel » La Presse, février 1995, [En ligne],  https://www.csf.gouv.qc.ca/wp-content/uploads/la-violence-faite-aux-femmes-a-travers-les-agressions-a-caractere-sexuel.pdf, consulté le [2 mars 2021].

  4. Weatherall c. Canada (Procureur général), [1993] 2 R.C.S. 872.

  5. Véronique LAUZON, « Importants changements à la Loi sur le divorce », La Presse, 2 mars 2021, [En ligne], https://www.lapresse.ca/actualites/justice-et-faits-divers/2021-03-02/importants-changements-a-la-loi-sur-le-divorce.php, consulté le [2 mars 2021].

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