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Les modes de scrutin

Auteur·e·s

Chloé Bernard

Publié le :

1 octobre 2022

Cela fait maintenant quelques semaines que les affiches électorales ont gagné les rues de Montréal, et pour cause: le 3 octobre prochain les citoyens vont se déplacer aux urnes afin d’élire leur nouveau gouvernement. Les Québécois et Québécoises sont donc appelé⋅e⋅s (et c’est d’ailleurs peut-être la dernière fois) à aller voter une seule fois et pour un seul⋅e candidat⋅e : c’est le mode de scrutin du Québec, un scrutin uninominal majoritaire à un tour, aussi surnommé SMUT. Il a été implanté par les Anglais au Québec lors de l’Acte Constitutionnel de 1791. En effet, à cette époque, le Québec faisait partie du Bas-Canada. Les citoyen⋅ne⋅s pouvaient alors élire les députés de la Chambre d’Assemblée de la même façon qu’aujourd’hui. Cependant, pour pouvoir voter, ils et elles devaient tout de même répondre à certaines exigences : être âgé⋅e d’au moins 21 ans, ne jamais avoir été condamné⋅e pour trahison et ne pas être conseiller législatif, chargé⋅e d’éducation ou membre du clergé. Les citoyen⋅ne⋅s répondant à ces exigences votaient alors une seule fois et pour un seul candidat. Toutefois les électeur⋅trice⋅s exprimaient leur intention de vote à l’oral et non pas de manière confidentielle et secrète comme il se pratique aujourd’hui.

Pour autant, malgré la diversité des modes de scrutin ainsi que les possibilités de réformes, le système d’élection n’a pas évolué au Québec. Il y a quatre ans , lors des dernières élections , les partis de l’opposition (dont la CAQ) s’étaient tous engagés à réformer ce mode de scrutin peu importe qui serait au pouvoir . Mais quatre ans plus tard, l’engagement n’a pas été tenu par le gouvernement de François Legault.

Ce mode de scrutin est le plus souvent reconnu pour sa simplicité à différentes échelles. D’abord pour son organisation, étant donné qu’il se déroule en seulement un tour. Mais aussi  pour les citoyen⋅ne⋅s qui n’ont pas à se creuser la tête pour comprendre le système d’élection; ou encore pour les candidat⋅e⋅s, qui remportent la circonscription électorale en obtenant le plus des voix exprimées. Le SMUT est également partagé par d’autres pays tels que le Royaume-Uni, ou encore la Biélorussie, et il fait bien souvent face  à de nombreuses critiques.


Le mode de scrutin uninominal à un tour est présent depuis plus d’un siècle au Québec, ce qui explique qu’il possède plusieurs avantages. Il est d’abord ancré dans la tradition électorale qui est bien connue des habitant⋅e⋅s. Cela peut alors se traduire par un sentiment de "sûreté", d’habitude ressenti par les électeur⋅trice⋅s. De plus, il permet au peuple de ne pas uniquement voter pour des partis, mais pour des personnes, favorisant ainsi la création d’un lien entre les électeur⋅trice⋅s et leur représentant⋅e.

Cependant, il est aussi vrai qu’au Québec, le maintien de ce type de scrutin a toujours été débattu. D’abord, le scrutin est qualifié de « représentatif », ce qui est vrai au sens propre du terme. 


Effectivement, c’est la population qui élit directement les député⋅e⋅s . Toutefois, dans un sens plus subtil, le SMUT n’est pas réellement représentatif des choix politiques de ses électeur⋅trice⋅s. En effet, le ou la candidat⋅e élu⋅e de chaque circonscription est celui ou celle qui a remporté le plus de voix, mais pas la majorité des voix. Lors des élections provinciales de 2018, par exemple,  environ 66,5% des électeurs inscrits ont voté.. Il se peut alors qu’un⋅e candidat⋅e d’une circonscription soit élu⋅e avec 30% des votes exprimés. Pourtant, l’ensemble des autres candidat⋅e⋅s ont récolté 70% des votes restants, un pourcentage qui est plus que le double de celui du candidat élu. À ceci s'ajoutent tous les électeurs ayant choisi de ne pas exercer leurs droits de vote. Il faut alors comprendre ici que le ou la candidat⋅e élu⋅e ne représente que le choix d’une minorité de citoyen⋅ne⋅s et non l’opinion majoritaire. Cela pose problème à la fois aux politicien⋅ne⋅s mais aussi aux citoyen⋅ne⋅s eux⋅elles-mêmes, c’est cela qui crée un enjeu de la société. Cet enjeu peut potentiellement influencer le vote du peuple puisque certain⋅e⋅s estimeront qu’il n’est plus possible ou que « cela ne sert à rien » de voter en fonction de ses convictions et de ses valeurs si la candidature soutenue n’a pas suffisamment de chances de gagner. C’est alors que bon nombre de Québécois⋅e⋅s doivent développer un vote stratégique, un vote utile . Il⋅elle⋅s ne votent plus pour leur candidat⋅e favori⋅e mais votent pour un⋅e autre candidat⋅e plus populaire dans l’unique but de faire opposition à la candidature dont il⋅elle⋅s désirent le moins l’élection. D’autres estiment alors que leur véritable vote est inutile, ne compte pas et font alors le choix de ne pas aller voter. Ce choix deviendra alors un enjeu très important puisqu’à terme, cette pratique a de fortes chances de porter atteinte aux principes démocratiques.


Un deuxième enjeu se pose alors : l’écart entre le pourcentage de vote et les sièges pourvus . Comme l’ont démontré les élections de 2018, la CAQ (Coalition Avenir Québec) de François Legault a obtenu 37% des votes totaux de la population du Québec et a obtenu pour autant la majorité des sièges (74% ) alors qu’a contrario, Québec Solidaire avec 17% des votes a obtenu seulement 10 sièges à l’Assemblée (8%). Il y a donc un problème de surreprésentation mais aussi de sous-représentation des choix politiques des citoyen⋅ne⋅s dans la construction du nouveau gouvernement.


Pour finir, il est important de relever que les contradictions autour du mode de scrutin au Québec ont engendré dès le début du XXème siècle une volonté de le réformer . Néanmoins, comme on peut le constater aujourd’hui, cette volonté n’a jamais vraiment abouti à quoi que ce soit. Depuis plus d’un siècle, il y a eu beaucoup d’idées de réformes différentes qui sont aujourd’hui surnommées des  « vagues de réforme ». En effet, sous les différents gouvernements (notamment ceux de Robert Bourassa et René Lévesque), il était question de rendre le scrutin plus proportionnel. Mais qu’est-ce que cela changerait concrètement ?


Dans un mode de scrutin proportionnel, le nombre de sièges est directement partagé en fonction du nombre de voix recueillies. Les citoyen⋅ne⋅s votent alors pour une liste de candidat⋅e⋅s formée par chaque parti politique. À l’issue du vote, le nombre de sièges est attribué en proportion du nombre de voix recueillies par chaque liste. Le mode de scrutin proportionnel est décrit alors comme étant plus démocratique, voire plus juste que le SMUT. Il permet effectivement de favoriser des opinions considérées comme « minoritaires », ces dernières étant généralement plus extrêmes. Par exemple, ici, le Parti Conservateur du Québec est considéré comme un parti d’extrême droite et est moins populaire que d’autres partis. Néanmoins, il est aussi reproché au scrutin proportionnel de générer une instabilité gouvernementale . Dans ce type de scrutin, il est courant que les partis politiques forment des coalitions, des alliances entre eux afin d’emporter plus de voix et d’espérer atteindre la majorité. Après ces différentes tentatives de réforme échouées, le mode de scrutin proportionnel ou même mixte n’a jamais pu voir le jour au Québec.


Mais il n’y a pas que le scrutin proportionnel ou le SMUT, il existe d’autres systèmes d’élections qui sont aussi répandus à travers le monde et qui présentent tous des caractéristiques intéressantes.

Le scrutin majoritaire uninominal qui s’applique au Québec s’applique aussi dans d’autres régions du monde, mais en deux tours cette fois-ci. Par exemple, en France, lors du premier tour, les électeur⋅rice⋅s votent pour leur candidat⋅e (associé⋅e au parti) favori⋅e. Au premier tour, les candidat⋅e⋅s ayant obtenu plus de 50% des voix sont directement élu⋅e⋅s dans la circonscription (mais c’est un cas quand même assez rare). La plupart du temps, il y a un second tour où les électeur⋅rice⋅s votent entre les deux candidat⋅e⋅s arrivé⋅e⋅s en tête de chaque circonscription.


L’avantage du scrutin majoritaire à deux tours, c’est qu'il permet, au premier tour, à tou⋅te⋅s les citoyen⋅ne⋅s de voter selon leurs convictions, selon leurs valeurs . Le problème se trouve alors au second tour où parfois, suivant les candidat⋅e⋅s en tête dans chacune des circonscriptions, les citoyen⋅ne⋅s pratiquent à nouveau le vote stratégique ou bien décident aussi de ne pas aller voter du tout . En France, ce problème est clairement visible lors des élections législatives de 2022. En effet, au second tour, le candidat majoritaire était l’abstention, qui était d’environ 54%.


Il existe aussi le système de vote préférentiel qui est assez populaire auprès des citoyen⋅ne⋅s. Ce système leur permet d’exprimer leur ordre de préférence sur leur bulletin de vote. C’est-à-dire que les électeur⋅rice⋅s numérotent les candidat⋅e⋅s selon leurs opinions. Ce mode de scrutin permet entre-autre d’élire non pas le ou la candidat⋅e préféré d’une minorité de citoyen⋅ne⋅s mais plutôt d’élire la candidature préférée de la majorité des électeur⋅rice⋅s même si elle se trouve  en deuxième ou troisième position dans les bulletins de vote . Généralement, dans ce mode de scrutin, le ou la candidat⋅e élu⋅e est celui ou celle qui offrait le plus de compromis politiques entre les candidat⋅e⋅s. Le vote préférentiel permet aux citoyen⋅ne⋅s d’exprimer leur vote “sincère”. Cependant, ce système est plus compliqué dans son organisation ainsi que son dépouillement. Par exemple, l'Australie a fait le choix d’utiliser le système de vote préférentiel.


Dernièrement, il existe aussi le système mixte qui est en place au Japon par exemple. Comme son nom l’indique, il réunit à la fois le système majoritaire mais aussi le système proportionnel. L’élection se déroule alors en deux tours. Lors du premier tour, les électeur⋅rice⋅s d’une circonscription votent directement pour un⋅e seul⋅e candidat⋅e qui va donc devenir le ou la représentant⋅e. Lors du second tour, les citoyen⋅ne⋅s ne votent plus pour un⋅e candidat⋅e mais pour un parti politique. Proportionnellement au nombre de suffrages obtenus par chaque parti, un nombre de sièges leur est attribué. Le système mixte s’efforce de maximiser les avantages des deux types de scrutin (comme représenter les partis minoritaires), mais aussi de limiter leurs inconvénients.


Pour autant, malgré la diversité des modes de scrutin ainsi que les possibilités de réformes, le système d’élection n’a pas évolué au Québec. Il y a quatre ans , lors des dernières élections , les partis de l’opposition (dont la CAQ) s’étaient tous engagés à réformer ce mode de scrutin peu importe qui serait au pouvoir . Mais quatre ans plus tard, l’engagement n’a pas été tenu par le gouvernement de François Legault. En effet , durant ces quatre années, le projet de loi a été déposé, mais finalement, le gouvernement au pouvoir a considéré que ce changement n’était pas une priorité dans l’idée du peuple québécois⋅es. Pourtant, à l’heure actuelle, le mode de scrutin uninominal majoritaire à un tour est au coeur des débats de société mais aussi dans le vif des esprits des électeur⋅rice⋅s qui, pour certain⋅e⋅s, aspirent à ce que leur « vote de coeur » puisse enfin réellement compter.

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