Les hommes-pigeons : les coupables qui ont fait obstacle au droit de vote des femmes-pigeons
Auteur·e·s
Lin Shan Zhong
Publié le :
29 novembre 2024
En 1940, les pigeonnes québécoises volent enfin de leurs propres ailes! Si les femmes ont dû attendre jusqu’à cette année-là pour obtenir le droit de vote, c’est parce les « hommes-pigeons » ne leur accordaient pas la pleine participation en matière politique. Faisons un survol historique du droit de vote afin d’identifier les pigeons responsables de l’oppression subie par les pigeonnes d’hier, une oppression qui perdure chez celles d’aujourd’hui.
Le bilan à retenir : les femmes ont été dépouillées de leur droit de vote. Elles ont lutté pour le récupérer, et non pour l’acquérir. C’était une perte, et non un gain!
Une perte, et non un gain!
Thérèse Casgrain. Idola Saint-Jean. Marie Lacoste Gérin-Lajoie. Lorsqu’on évoque les grandes figures emblématiques des mouvements féministes qui ont surgi au cours de l’histoire québécoise, le premier réflexe, c’est de se dire que les femmes du Québec n’ont jamais eu le droit de vote auparavant et c’est pourquoi elles ont dû militer pour l’obtenir en premier lieu. Pourtant, c’est FAUX. Les femmes sous le régime du Bas-Canada avaient déjà le pouvoir de voter. Pas toutes, mais certaines.
En effet, l’Acte constitutionnel de 1791 accordait le droit de vote à tout propriétaire âgé d’au moins 21 ans, sans préciser si ce droit s’appliquait seulement aux pigeons… ou pigeonnes. L’absence de restrictions sur le sexe de l’électeur dans le texte écrit de la loi permettait donc à plusieurs femmes veuves qui, par succession, héritaient du droit de propriété sur les biens qui appartenaient à leurs époux décédés, de voter. Cela dit, c’était loin d’être un monde idéal pour les femmes, car peu d’entre elles remplissaient les critères d’admissibilité, surtout que l’un de ces critères dépendait d’un homme défunt.
Surgit alors Louis-Joseph Papineau, un nom synonyme du mot « patriote », un héros, un fervent défenseur des droits des Canadiens français… des Canadiens, et non des Canadiennes. Papineau n’était pas satisfait qu’une proportion minime de femmes puisse voter grâce au silence du législateur. Pour lui, limiter le droit de vote des femmes ne suffisait pas; il souhaitait l’abolition totale de ce droit. Pour reprendre ses mots, : « Quant à l’usage de faire voter les femmes, il est juste de le détruire. Il est ridicule, il est odieux de voir traîner aux hustings des femmes par leur mari, des filles par leur père, souvent même contre leur volonté. » Ça ne prend pas la tête à Papineau pour savoir que Papineau était un pigeon misogyne, surtout qu’il utilisait des adjectifs comme « ridicule » et « odieux » pour parler du droit de vote des femmes. Il lui était surtout impossible de se référer aux femmes sans les associer à un homme en utilisant des expressions telles que « par leur mari » ou « par leur père ». Papineau aurait-il oublié que, selon les anciens cahiers de scrutin, sa propre grand-mère avait participé aux élections de 1809? Aurait-il oublié que sa propre mère avait voté pour lui?
Il n’empêche que le rêve de Papineau se traduira, en 1849, par l’adoption d’une nouvelle loi modifiant les dispositions des lois électorales existantes, interdisant officiellement le droit de vote aux femmes. Cette fois-ci, cette interdiction est explicite : « Et qu’il soit déclaré et statué, qu’aucune femme n’aura droit de voter à aucune telle élection, soit pour un comté ou riding, soit pour aucune des dites cités ou villes. » C’est nul autre que Louis-Hippolyte La Fontaine, le pigeon à la tête du Parti réformiste, qui avait proposé le projet de loi en question. S’il est connu pour avoir fait plusieurs efforts pour obtenir le gouvernement responsable avec son compatriote Baldwin, il l’est moins pour avoir interdit le suffrage féminin. Qu’est-ce qui aurait pu pousser La Fontaine à adopter des lois qui expulsent les femmes du monde politique? La vision d’une femme ayant sa place au foyer et non aux urnes au 19e siècle, certes. Cependant, c’est aussi une mesure qui visait à empêcher les votes des femmes d’influencer les résultats électoraux. Petite anecdote : un candidat du Parti réformiste dans le district électoral de Halton West avait perdu contre un député du parti conservateur par quatre votes. Le député réformiste souhaitait contester les sept votes féminins en faveur de son adversaire conservateur. Le fait même de se demander si le vote d’une femme devrait compter ou non était discriminatoire. La Fontaine était prêt à sacrifier les droits des femmes pour avoir plus de députés de son parti à la Chambre d’assemblée… méthode à la fois pratique et sexiste pour garder la confiance de la Chambre.
Le bilan à retenir : les femmes ont été dépouillées de leur droit de vote. Elles ont lutté pour le récupérer, et non pour l’acquérir. C’était une perte, et non un gain!
Les pigeon(ne)s dans les journaux
Durant les premières décennies du 20e siècle, les articles dans les journaux québécois qui traitaient du suffrage féminin étaient presque tous rédigés par des hommes. Ben oui, c’était tellement plus pratique d’avoir des hommes commenter sur le droit de vote des femmes plutôt que de le demander directement aux femmes! Parmi tous ces journalistes, on comptait Fantine, qui participa activement à la rédaction de plusieurs articles à ce sujet. Sauf que Fantine n’était pas une elle, mais plutôt un il : il s’agissait du pseudonyme du politicien et journaliste Lionel Bertrand.
Sans surprise, l’obtention du droit de vote des femmes québécoises en 1940 a reçu peu de couverture médiatique dans les journaux. La Presse et Le Devoir figuraient parmi les rares journaux à décrire l’événement historique de manière détaillée. Toutefois, les deux journaux adoptent des tons radicalement opposés. D’un côté, La Presse désignait la femme comme « femme » tandis que Le Devoir, la qualifiait de « femme irascible et dont les sourcils indiquaient la violence des sentiments. » Rappelons-nous que le fondateur du journal Le Devoir était nul autre que Henri Bourassa, petit-fils du pigeon Papineau. Ouch… Le sexisme semble être un gène qui se transmet de génération en génération.
Il n’est pas difficile de croire que Bourassa s’opposait au droit de vote des femmes. Dans Désarroi des cerveaux – Triomphe de la démocratie, texte publié en 1918 dans son propre journal, il écrivait : « la femme-électeur, qui engendrera bientôt la femme-cabaleur, la femme-télégraphe, la femme-souteneur d’élections, puis la femme-député, la femme-sénateur, la femme-avocat, enfin, pour tout dire en un mot : la femme-homme, le monstre hybride et répugnant qui tuera la femme-mère et la femme-femme. » Ces mots témoignent de sa volonté d’empêcher la femme de s’épanouir non seulement dans le monde politique, mais aussi dans toutes les autres sphères intellectuelles de la société. Selon lui, la femme-pigeonne représentait un « monstre », c’est-à-dire un danger pour la société parce qu’elle détruirait l’image traditionnelle de la pigeonne au foyer, et ce, au nom de la démocratie. Coudonc… La démocratie est censée protéger les droits de la personne. Pourtant, si cette personne est une femme, son droit de vote (puis son droit d’occuper un emploi public, enfin, son droit d’être protégée) devient soudainement invisible, et ses autres droits, non dignes de protection. Le véritable danger, ce sont les pigeons comme Bourassa qui tuent l’image de la femme indépendante et intelligente.
Considérez-vous donc chanceux de pouvoir lire des articles rédigés par des voix féminines dans le journal étudiant Le Pigeon Dissident, étant donné que ce n’était pas possible il y a à peine un siècle. Les pigeonnes-chroniqueuses auront toujours leur mot à dire.
Sophie IMBEAULT, « Le droit de vote des femmes en question », Le Devoir, 2 avril 2022, en ligne : < https://www.ledevoir.com/societe/le-devoir-de/694686/le-devoir-d-histoire-le-droit-de-vote-des-femmes-en-question?cx_testId=25&cx_testVariant=cx_1&cx_artPos=1&cx_experienceId=EXKYQSCY8MG5&cx_experienceActionId=showRecommendationsOV7R8N675SVH8#cxrecs_s >
Élections Québec, « Histoire du droit de vote et d’éligibilité des femmes au Québec », Comprendre le vote, en ligne : < https://www.electionsquebec.qc.ca/comprendre/comprendre-le-vote/histoire-du-droit-de-vote-et-deligibilite-des-femmes-au-quebec/ >
Stéphane WIMART, « Des origines à 1849 : une participation politique limitée », Bibliothèque de l'Assemblée nationale du Québec, en ligne : < https://www.bibliotheque.assnat.qc.ca/guides/fr/femmes-en-politique-au-quebec/14927-des-origines-a-1849-une-participation-politique-limitee?ref=1824 >
Martin LANDRY, « Aux 18e et 19e siècles, les Québécoises avaient le droit de voter à cause d’une brèche dans la loi », Le Journal de Montréal, 18 avril 2024, en ligne : < https://www.journaldemontreal.com/2024/04/18/aux-18e-et-19e-siecles-les-quebecoises-avaient-le-droit-de-voter-a-cause-dune-breche-dans-la-loi >
Dictionnaire biographique du Canada, « Les femmes dans le Dictionnaire biographique du Canada/Dictionary of Canadian Biography (DBC/DCB) », Obtenir le droit de vote, en ligne : < https://www.biographi.ca/fr/theme_femmes.html?p=2 >
Acte pour abroger certains Actes y mentionnés, et pour amender, refondre et résumer en un seul Acte les diverses dispositions des statuts maintenant en vigueur pour régler les élections des membres qui représentent le peuple de cette Province à l'Assemblée législative, S.P.C. 1849, 12 Victoriae, c. 27, art. 46
Idola SAINT-JEAN, Discours radiodiffusé sous les auspices de l’Alliance canadienne pour le vote des femmes du Québec la veille de la présentation du projet de loi du suffrage féminin, dans Michèle JEAN, Québécoises du XXe siècle, Montréal, Éditions du Jour, 1971, p. 221, à la p. 224
Ève LÉGER-BÉLANGER, « L’obtention du droit de vote des femmes au Québec en 1940 », (2016) 125 Cap-aux-Diamants, en ligne : < https://www.erudit.org/fr/revues/cd/2016-n125-cd02559/82486ac/ >, p. 14-16
9. Diane LAMOUREUX, « Ce que «Le Devoir» en disait… », Le Devoir, 25 avril 2015, en ligne : < https://www.ledevoir.com/non-classe/438355/ce-que-le-devoir-en-disait >
10. Image: https://www.pinterest.com/pin/134896951315669419/