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Les algorithmes des sites de rencontre : Attrape-cœur ou tue-l’amour ?

Auteur·e·s

Apolline Labeta

Publié le :

27 février 2023

« Coup de foudre garanti » est à la fois le titre d’un film Netflix et la promesse faite par de nombreux sites de rencontre. Mais est-ce une réalité ? Déjà près de 30 % des Américain⋅e⋅s ont rencontré leur partenaire sur un site de rencontre. Si Nietzsche dit que « ce qui se fait par amour s’accomplit toujours par-delà bien et mal » (1), il n’en est rien en ce qui concerne les algorithmes des sites de rencontre. Car il n’est pas de maux plus grands pour l’humanité que le sexisme et les inégalités sociales : c’est ce qui tue à petit feu notre société, la stérilise. Et c’est le cœur du problème de ces algorithmes trop à l’image de l’Homme : sexiste.

L’hétérosexualité n’est plus forcément la norme, ce qui ne semble pas avoir été totalement accepté par ces algorithmes qui proposent avant tout un modèle hétéronormatif. Ils conservent des modèles d’orientation binaires qui ne reflètent pas forcément la réalité de notre siècle.

Judith Duportail le dit si bien : « C’est ça draguer en 2020. C’est loin d’être une partie de plaisir. C’est un combat existentiel » (2). Ces sites de rencontre apparaissent comme une porte de sortie vers la facilité. Ils deviennent banals, mais favorisent un système inégalitaire et sexiste. L’algorithme utilisé est ELO, déjà utilisé par des jeux vidéo pour le matchmaking en ligne. Pour le jeu vidéo, l’algorithme attribue un partenaire en fonction du niveau de jeu et essaie de les placer dans des parties à leur niveau. Mais, par exemple, Tinder repose sur un score de désirabilité, qui est évalué selon le niveau de revenus et le niveau de scolarité, pour montrer notre profil à certain⋅e⋅s plutôt qu’à d’autres. Cela repose surtout sur le fait que l’IA retient des actions et des préférences des utilisateur⋅trice⋅s. Tinder retient ainsi un système patriarcal, car l’algorithme retient que beaucoup d’hommes plus âgés préfèrent rencontrer des femmes plus jeunes et moins éduquées(3).


Mais après des scandales, la plateforme affirme avoir changé le « ELO score » pour que ses critères reposent désormais sur la proximité géographique, le nombre de « j’aime » et les « matches » obtenus. Cependant, comme nous le verrons plus bas, le problème reste le même ; c’est le modèle économique qui accentue ces inégalités, et les inégalités en fonction du sexe persistent.


De plus, comme le ratio n’est pas équilibré entre les femmes et les hommes, ces derniers, étant en surnombre sur ces applications (4), cherchent des matches. Les femmes en infériorité, elles récoltent plus de « j’aime », donc plus de matches et ainsi, un meilleur score.


Ce déséquilibre favorise l’agressivité des utilisateurs masculins qui, face au peu de réponses qu’ils reçoivent, peuvent devenir agressifs avec les femmes qui arrêtent la conversation et décident de ne plus leur parler. C’est cela qui favorise le cyberharcèlement.


Et la diversité des relations ?

Le 21e siècle a apporté avec lui une révolution dans la manière de percevoir les relations. L’hétérosexualité n’est plus forcément la norme, ce qui ne semble pas avoir été totalement accepté par ces algorithmes qui proposent avant tout un modèle hétéronormatif. Ils conservent des modèles d’orientation binaires qui ne reflètent pas forcément la réalité de notre siècle. Le genre a évolué, c’est un fait, mais peu de ces applications se mettent à la page d’un tel changement. Même sur les plateformes dédiées à la communauté LGBTQ+, les fonctions payantes existent toujours, ce qui marque encore les inégalités entre les utilisateur⋅rice⋅s. Le problème va plus loin avec ces plateformes, car elles favorisent l’entre-soi et l’objectivisation. Le choix est restreint à l’avance, car les critères de la sexualité sont déjà posés. L’algorithme ne pousse pas à penser en dehors du cadre qu’on a prédéfini. Le problème des critères posés par tous ces sites, c’est qu’ils ne permettent pas de se confronter à l’autre, alors que c’est la base d’une relation. En effet, on ne cherche pas toujours quelqu’un qui nous ressemble, mais parfois des personnes complètement à l’opposé de nous.


L’algorithme de Tinder est sous brevet. Il repose sur un système de classement pour faire en sorte de créer des matches qui posent l’homme en position de supériorité face à la femme. En effet, systématiquement, l’homme présenté à la femme a soit fait plus d’études, est soit plus âgé ou a plus d’argent (5). Lorsque l’on voit que la majorité des couples se rencontreront sur ces sites, il est important de souligner qu’ils déterminent qui l’on peut aimer ou voir. Il n’existe aucune autorité chargée de vérifier si ces algorithmes respectent l’égalité homme-femme, entre les personnes de couleurs ou encore entre les personnes hétérosexuelles et homosexuelles.


L’amour : une affaire de business

Si les sites de rencontre se multiplient, le principe reste le même : trouver l’amour sous n’importe quelle forme. Cela peut aller d’un plan d’un soir à un plan pour la vie, un plan à deux ou à trois. Mais alors, qu’est-ce que le site retire de cette rencontre ? De l’argent, certes, des informations sans aucun doute.


Le modèle économique est assez intéressant, car ces applications proposent plus de matches si les utilisateur⋅rice⋅s passent à la version payante. Cela peut aller de 13,33 € à 22,99 € par mois ou encore à 9,99 € par semaine, et ce, juste pour pouvoir lire les messages des personnes intéressées par le profil. Cette version payante ne vaut que pour les hommes (où ils payent plus cher que les femmes), car les femmes sont submergées de demandes. Ces dernières n’ont donc aucun intérêt pour la version payante. Ce modèle économique favorise un rapport de force entre l’homme et la femme. L’homme doit payer pour avoir accès à plus de fonctionnalités et de profils. Il fait un effort supplémentaire en dépensant de l’argent, là où la femme un accès gratuit, il s’agit surtout de l’inciter à s’inscrire (6). Il place donc la femme dans la position d’un produit à sa disposition. Mais l’inégalité se poursuit sur le plan économique, car les hommes qui peuvent se permettre de payer trouveront « plus vite un partenaire ou de meilleurs candidats que les autres », comme le souligne la sociologue Jessica Pidoux. L’inégalité est alors double : sur le genre et sur le pouvoir économique.


Les données des utilisateur⋅rice⋅s sont partagées avec des partenaires commerciaux et publicitaires. L’intérêt est grand, car il permet, par exemple, de cibler les personnes vulnérables (celles qui auront été souvent rejetées sur ces sites de rencontre). Il devient alors facile d’orienter les publicités pour les convaincre d’acheter un produit, par exemple.


Le but consiste donc à garder le plus longtemps ses client⋅e⋅s. Ainsi, comme de nombreux réseaux sociaux, ces sites de rencontre reposent sur l’addiction et le système de récompenses, car le temps, c’est de l’argent. Donc, plus les utilisateur⋅rice⋅s restent sur la plateforme, plus cela génère de l’argent pour ces sites de rencontre.


Conclusion

Je vous laisserai sur les bonnes paroles de William Shakespeare dans   Beaucoup de bruit pour rien : « En amour, tout coeur doit être son propre interprète ». Alors, laissez-vous transporter par vos envies et ne laissez pas un algorithme décider de vos rencontres : sortez, ratez et recommencez, c’est l’histoire d’une vie. Une vie bien faite et bien remplie à mon sens. La solitude n’est pas une fin en soi, elle peut même être digne d’amour.

Sources citées :


1. F. Nietzsche, par delà le bien et le mal, 1886

2. Judith Duportail, l’amour sous algorithme, 2019

3. Stephen Whyte, « do men and women know what they want ? Sex differences in online Daters’ Educational Preferences », 22 juin 2018, revue psychological Science (en ligne) : <https://doi.org/10.1177/0956797618771081>

4. Anaïs Moran, « Interview Marie Bergström : sur Tinder, les femmes cherchent des relations pas prise de tête », 15 mars 2019, journal Libération, (en ligne) <https://www.liberation.fr/debats/2019/03/15/marie-bergstrom-sur-tinder-les-femmes-aussi-cherchent-des-relations-pas-prise-de-tete_1715370/>.

5. Idem notes (2)

6. Cent France, sites et applications de rencontres : comment les rendre moins sexistes et inégalitaires (en ligne) https://www.cnetfrance.fr/news/sites-et-applications-de-rencontre-comment-les-rendre-moins-sexistes-et-inegalitaires-39933209.htm


Sources complémentaires :

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