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Le véritable allié

Auteur·e·s

Abdul Atta

Publié le :

1 août 2020

J’ai le droit d’utiliser ce mot, mes amis noirs m’ont dit que c’est correct parce que je ne suis pas raciste !


Je suis tanné d’entendre parler du Black Lives Matter. All Lives Matter.


Les quotas sont injustes ! Faut juste être plus qualifié que les autres pour avoir le job.


Racisme anti-blanc en 2020, je me sens attaqué lorsqu’on me traite de raciste, je n’ai pas le droit d’être fier d’être blanc en 2020.


Je n’irai pas dans les détails du pourquoi chacune de ces déclarations est un exemple typique de white privilege. Mais croyez-moi, elles le sont.


L’élément qui unifie toutes ces déclarations est une argumentation vive contre une réalité qu’une personne blanche ne vit pas. Autrement dit, ces affirmations se rassemblent autour du déni. Il s’agit d’un manque d’ouverture, d’écoute et d’empathie pour les expériences traumatisantes que traversent des personnes marginalisées.


Nul ne vous empêche d’utiliser un mot. All Lives Matter, en effet. Et oui, en effet, les quotas sont en principe injustes.


En réalité, lorsque vous utilisez ce mot, peu importe vos intentions, on voit les filles de John Rennie. Ce sont deux jeunes filles qui avaient sûrement des amis noirs et qui ne semblaient vraisemblablement pas détester les personnes noires. Or, elles ont tout de même été capables de produire et de diffuser une vidéo haineuse envers les personnes noires. Peut-être avaient-elles seulement l’intention de plaisanter ? Qu’elles ne souhaitaient aucunement blesser les personnes noires ? Peut-être que leur jeune âge les a empêchées de réfléchir aux conséquences de leurs actes avant de produire un montage haineux ? Peu importe. L’intention ou les justifications ne sont pas importantes, mais les répercussions de l’acte, oui. Si le geste blesse, quelle que soit la raison, il est insensé d’argumenter que l’acte ne devrait pas blesser. C’est beaucoup plus facile de prévenir la commission d’un acte haineux. C’est ce que le véritable allié fait en tout cas.

Certains aspects de notre système font en sorte que certaines vies ne valent pas autant que d’autres dans les faits.

Et c’est vrai, All Lives Matter. Pourtant, la société semble trop fréquemment négliger la vie de certaines personnes. Comme l’image le démontre, il est absurde de prêter de l’attention à une maison qui n’est pas en feu lorsque la maison du voisin est en train de s’écrouler. En parallèle, la communauté noire suffoque non seulement devant les répercussions d’un système conçu à son désavantage, mais devant le silence immaculé de ses citoyens qui se disent « color-blind » et qui « ne voient pas en quoi la couleur de la peau joue un quelconque rôle ». Un véritable allié est donc prêt à mettre de côté les situations non urgentes en vue de porter une attention particulière aux situations qui requièrent une compréhension plus approfondie. Le véritable allié, malgré sa croyance réelle au fait que All Lives Matter, choisit d’écouter lorsqu’il voit ses confrères protester, car il réalise que cette maxime, même si elle est fondamentalement bien intentionnée, ne reflète pas la réalité de tous dans notre société. Certains aspects de notre système font en sorte que certaines vies ne valent pas autant que d’autres dans les faits. Plutôt que de minimiser la voix de ces groupes marginalisés et d’exprimer cette maxime aveuglément, il vaut mieux contribuer à faire en sorte que cette maxime devienne une réalité.


Effectivement, les quotas sont injustes. Mais vous savez ce qui est plus injuste ? Voir que sa candidature n’a pas été retenue, probablement en raison d’un nom non familier. De nombreux parents ressentent la pression de donner à leurs enfants des prénoms qui sonnent « blancs » pour que ces derniers n’éprouvent jamais cette difficulté dans leur vie. Donc oui, si une des façons de régler cette réalité fort frustrante est en imposant un système de quotas, on excusera cette injustice. L’allié lui, au lieu de perdre son temps à maudire un système réparateur, essaie de trouver d’autres moyens pour véritablement amener une inclusion honnête dans son milieu de travail.


Et enfin, on est désolés si vous vous sentez attaqués en 2020. C’est difficile d’être blanc ces temps-ci, je l’admets. Cette difficulté qui vous hante provient de votre « white privilege », lequel est en plein déclin. Un véritable allié est confortable dans son inconfort. Il constate et comprend le dommage causé par ses ancêtres, il l’accepte et il essaie activement de changer cela. Il détruit la fortification de son « white privilege » que ses ancêtres ont travaillé si fort à cultiver en vue de véritablement vivre en société avec tous ses pairs. Le véritable allié n’est pas profondément offusqué lorsqu’une personne de couleur le traite de raciste, car il sait que cette « insulte » insinue simplement que ses gestes posés contribuent à un système d’oppression contre un groupe marginalisé. Il sait que la meilleure personne en mesure d’identifier un propos raciste est la personne affectée par le propos lui-même. L’allié peut comprendre les nuances dans une accusation de racisme et par la suite être en mesure de remédier à cette erreur, et il ne demande pas qu’on lui présente des excuses lorsqu’il a offusqué un groupe marginalisé.


Aucune raison de craindre la police si tu es innocent


Les policiers ont peur, leur job est dangereux et ils ont le droit d’être prudents


La brutalité policière n’aurait pas lieu si tu t’immobilisais et si tu respectais les consignes


Ces déclarations-là sont aussi des exemples typiques de white privilege.


Le white privilege, c’est aussi le pouvoir d’ignorer des problèmes sociétaux avec des répercussions importantes sur la vie de millions de gens parce que cela ne vous concerne pas. Et cela dépasse l’égoïsme simple. C’est un privilège parce qu’en tant que personnes noires, nous sommes confrontées à ces problèmes peu importe notre niveau d’éducation, notre niveau socio-économique ou notre nationalité. En tant que personne blanche, il suffit d’éteindre votre télé.


Aucune raison d’avoir peur de la police si on est innocent ? Allez dire ça à Amadou Diallo.


Les policiers ont le droit d’être vigilants ? Allez dire ça à Amadou Diallo.


La brutalité policière n’aurait pas lieu si tu respectais les consignes ? Allez dire ça à Amadou Diallo.


Ah oui, il y a un seul pépin. Amadou Diallo est décédé il y a de cela 21 ans. Mort criblé de 41 coups de feu. Mort tiré par quatre policiers blancs du NYPD.


L’exemple est assez flagrant. Son histoire est accessible sur Netflix (Trial by Media). Mais si ce n’est pas assez récent comme exemple, il suffit de rallumer votre télé et de voir les incidents des deux derniers mois.


Tous innocents.


Tous respectant les consignes des policiers.


Aucun d’entre eux n’est « dangereux ».


Non, ce n’est pas juste aux États-Unis. La famille de Regis Korchinski-Paquet est d’avis qu’un policier a poussé une jeune femme de son balcon à Toronto.


Le Québec n’est pas concerné, c’est ça, Monsieur Legault ?


Allez donc visionner les vidéos qui circulent au sujet de la brutalité lors des manifestations pacifiques dans les dernières semaines. C’est hallucinant.


Pourquoi, dans ce cas-là, serait-il anormal de demander le port des caméras par les policiers ou bien de demander la diminution de leur budget pour investir cet argent ailleurs comme le mouvement Defund the police le souhaite? Est-il tant irrationnel d’investir une portion du budget de 662 millions de dollars pour le SPVM ailleurs? Je crois que c’est l’une des propositions les plus rationnelles que l’on peut envisager suite à la mort de Mr. Floyd.


Ces points se résument ultimement, à mon sens, en la vidéo d’une policière (Officer Stacey) qui se filme en train de pleurer parce qu’elle n’a pas eu son McMuffin.


Non, ce n’est pas une blague.

Elle dit qu’elle n’a jamais attendu aussi longtemps pour un McMuffin, qu’elle n’a pas mangé depuis un bout, qu’elle a peur pour sa vie, car elle ne sait pas si des employés ont pris le temps d’empoisonner son McMuffin ou pas.


Non, mais quelle tragédie, vraiment.


Je suis désolé Officer Stacey que vous ayez dû rentrer chez vous pour manger à la place d’aller au McDo pour un McMuffin. Il y a plusieurs personnes noires qui ne sont pas rentrées chez elles du tout. Non, je sais, ce n’est pas de ta faute, mais ton angoisse pour ton McMuffin potentiellement empoisonné est un problème qui peut attendre. La vie, la santé, la sécurité de mes futurs enfants, de mes camarades et des générations futures ne peuvent pas attendre. Et votre niveau d’insatisfaction par rapport à votre McMuffin n’est pas comparable à la peur de plusieurs mères qui ne ferment pas l’œil de la nuit lorsque leurs enfants sortent tard le soir, espérant à chaque battement de cœur qu’ils reviennent sains et saufs. Non, je ne peux pas « vous remercier » pour la crainte légitime que vous suscitez en nous, tout comme vous n’allez pas remercier l’employé du McDo qui a oublié votre McMuffin. Officer Stacey est emblématique d’un peak privilege  qu’un véritable allié dénoncera sans hésitation.


Comme vous le voyez, je n’ai pas défini l’allié comme celui qui repost des carrés noirs sur son Instagram. C’est un acte noble d’intention, mais ça aussi, au bout de la ligne, ça a peu d’impact concret. Un premier pas pour devenir un bon et véritable allié consiste à s’éduquer en lisant et en essayant de comprendre cet extrait du quotidien d’une personne noire. Bien entendu, il serait judicieux d’effectuer ses propres recherches par la suite. Enfin, un véritable allié saura joindre sa voix à celles des nombreux autres militants de première ligne pour changer notre monde. Chaque pas que nous faisons ensemble, unis par et pour la cause, nous permet d’avancer considérablement. Notre objectif consiste à renverser le statu quo présent dans notre société afin qu’on puisse affirmer, de façon juste et honnête, que All Lives Matter.

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