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Le règlement des différends en ligne : promesses et limites

Auteur·e·s

Étienne Nadeau

Publié le :

9 février 2022

Dans ce texte récipiendaire du concours Conver-session ayant pour thématique  le futur de l'accès à la justice et organisé par le Comité Accès à la Justice de la Faculté de l'Université de Montréal, Étienne Nadeau, bachelier en droit de l'Udem (2021), aborde le sujet du règlement des différents en ligne.



Je crois personnellement que s’impose une bonification de la loi afin de l’adapter à ce nouvel arsenal en matière de solution juridique, quoique cette loi encadrerait probablement bien plus que les seules plateformes d’ODR, ou bien que l’administration publique crée un organisme indépendant qui aurait pour mission de superviser l’usage des données par les hébergeurs, à l’instar du CRTC ou de la Commission sur le droit d’auteur, par exemple.

Le problème de l’accès à la justice n’a rien de récent au Québec. Depuis environ 30 ans, on déplore un désistement de la population à recourir au processus judiciaire pour le règlement des conflits. C’est par souci de redonner au justiciable foi dans le système de justice que le nouveau Code de procédure civile de 2016 a suggéré un virage culturel en mettant un accent majeur sur les modes de prévention et de règlement des différends (PRD) (1). À cet égard, son préambule témoigne d’une intention très claire du législateur d’attaquer l’enjeu de l’accessibilité à la justice et de désengorger l’appareil judiciaire par le recours aux modes de PRD. Cette intention reçoit d’ailleurs l’appui de principes établis par la Cour Suprême, notamment lorsqu’elle souligne dans l’affaire Hryniak c. Mauldin que « l’intérêt de la justice ne saurait être limité aux caractéristiques avantageuses du procès conventionnel et il doit tenir compte de la proportionnalité, de la célérité et de l’accessibilité économique » (2). La Cour reconnaît également que « de nouveaux modèles de règlement des litiges peuvent être aussi justes et équitables que le procès » (3). Ces nouveaux modes n’ont pas tardé à faire leurs preuves quant à la célérité et à la réduction des coûts. Plus encore, ceux-ci ont adopté une nouvelle forme au cours des deux dernières décennies par leur mariage à la technologie dans ce qu’on appelle le « online dispute resolution » (« ODR », utilisé ci-après au pluriel afin de représenter la multitude de ses applications) ou règlement en ligne des conflits. Si elles semblent prometteuses d’un point de vue conceptuel, il convient cependant de déterminer si ces nouvelles plateformes d’ODR détiennent les mêmes qualités que les modes de PRD plus traditionnels.


Il ressort de la pratique qu’effectivement les ODR possèdent de nombreux avantages dont la plupart se rattachent aussi aux modes de PRD dits classiques (« PRD »), mais dont certains dépassent même ces attraits vantés antérieurement. Outre la confidentialité des échanges, les plus importants avantages se manifestent sans aucun doute dans les coûts et les délais largement moindres que ceux imputables au processus judiciaire. En fait, les ODR, tout comme les PRD, permettent d’accélérer le traitement et de trouver une solution peu coûteuse. Cela a pour effet indirect de désengorger les tribunaux, qui peuvent ainsi se consacrer aux affaires plus complexes requérant une analyse juridique approfondie (4). Si la célérité et les économies financières sont communes aux PRD et aux ODR, il ressort toutefois d’une étude que les coûts liés à la résolution en ligne de litiges sont encore moins élevés que ceux liés aux modes de PRD traditionnels (5). Quant à la célérité, la même comparaison penche également en faveur des ODR, dont les gains de temps s’avèrent encore plus importants, tel qu’il appert d’une moyenne de 4 mois pour résoudre les conflits, versus 18 à 36 mois pour les PRD traditionnels et le processus judiciaire (6).


Cela dit, les règlements de différends en ligne favorisent également une compatibilité avec le commerce électronique qui prend chaque jour une place plus grande dans l’économie mondiale. Une telle frénésie pour les transactions internationales, par exemple entre commerçants et consommateurs, amène logiquement son lot de différends. Or, les questions de la juridiction compétente et des lois applicables à ces échanges constituent de véritables casse-têtes pour les juristes. Dans l’objectif d’éliminer ces sources d’incertitude et de divergence, les ODR représentent une alternative logique puisqu’ils peuvent s’incruster directement dans la structure du marché électronique. Ils permettent de résoudre les conflits à la source et d’assurer un climat de confiance propice aux transactions commerciales (7).


À cela s’ajoute l’attrait de la flexibilité des infrastructures technologiques qui accordent aux parties l’aisance de choisir des méthodes de communication plus adaptées à leurs besoins spécifiques, comme les vidéoconférences, les rencontres en personne, les discussions de groupe en ligne, etc. En fait, on peut en déduire que les parties sauveront encore plus d’argent et de temps si elles n’ont pas à se déplacer pour se rencontrer, ce qui vaut d’autant plus lorsque les parties à un litige se situent dans des pays différents.


On pourrait par ailleurs nommer la rapidité des communications comme un atout important des ODR, ainsi que l’atténuation des effets psychologiques néfastes, comme le stress caractéristique à certains types de litiges (ex. familial, successoral, trouble du voisinage, etc.), pouvant émerger à l’approche d’une rencontre en personne avec l’autre partie. Effectivement, il est facile de concevoir qu’une certaine mobilisation émotionnelle soit inévitable lors de telles rencontres et que l’éviter améliorerait la qualité de vie des acteurs concernés. Les séances à distance éliminent aussi les distractions associées à la présence en des lieux physiques, comme les odeurs, la température et l’espace à partager. Enfin, les outils technologiques fréquemment utilisés et à disposition des parties possèdent certaines fonctionnalités qui améliorent la qualité des échanges, soient la traduction et/ou la transcription automatique, le clavardage en direct, la négociation assistée, les outils d’aide à la décision et l’accès aux banques de données pertinentes (8).


Chaque outil ou système comportant ses défauts, nous pouvons d’emblée cerner quelques inconvénients ou aléas qui peuvent résulter du recours aux ODR. Tout d’abord, la question du financement apparait essentielle puisqu’elle détermine implicitement qui assumera le développement de ces plateformes (9). Si on laisse au secteur privé le loisir de développer ces plateformes, y aurait-il un risque d’exposer les utilisateurs à un usage détourné de leurs données et informations personnelles? Les dispositions législatives à cet égard sont-elles suffisantes pour justifier la confiance du public envers des entités privées, au point de placer entre leurs mains des renseignements hautement confidentiels? Je crois personnellement que s’impose une bonification de la loi afin de l’adapter à ce nouvel arsenal en matière de solution juridique, quoique cette loi encadrerait probablement bien plus que les seules plateformes d’ODR, ou bien que l’administration publique crée un organisme indépendant qui aurait pour mission de superviser l’usage des données par les hébergeurs, à l’instar du CRTC ou de la Commission sur le droit d’auteur, par exemple. À l’opposé, si l’État prend en charge le développement des plateformes, celles-ci deviendraient des outils principalement nationaux, ce qui se heurte à l’inhérente extraterritorialité du commerce. Si un tel modèle était retenu, les relations entre utilisateurs internationaux seraient soumises à nouveau aux enjeux de juridiction dénoncés précédemment, puisque les plateformes nationales seraient concurrentes. L’une des solutions, à mon avis, serait de rédiger un instrument normatif international désignant une liste restreinte de plateformes privées subordonnées à une autorité interétatique non gouvernementale et libre, au possible, de pression diplomatique. Cela dit, l’avenue la plus réaliste demeure probablement le développement coopératif par le privé, avec l’aide des fonds publics et sous la surveillance d’un administrateur public garantissant la conformité de l’outil aux normes impératives d’ordre public, comme la protection des renseignements personnels et le consentement libre et éclairé. En ce sens, l’exemple des plateformes de divertissement comme Netflix peut servir de comparaison. Cette plateforme du secteur privé a la liberté d’opérer et de se développer au Canada, mais sous certaines conditions telles la redevance de taxes (ou non) et l’offre d’œuvres audiovisuelles canadiennes.


Ensuite, l’ODR semble résolument voué à ne servir qu’à la résolution de litiges de basse intensité, soit ceux principalement rattachés à la consommation, au logement et aux petites créances. Dans les affaires plus complexes, on ne saurait remplacer l’analyse juridique d’une cour de justice, d’arbitres ou de médiateurs par un traitement algorithmique, ou encore simplifier une procédure déterminante, tel l’interrogatoire préalable, par des communications à distance. Cela limite passablement l’application des ODR, mais n’en écarte pas pour autant les bienfaits pour les conflits de basse intensité.


Nous pourrions aussi évoquer certains problèmes techniques inévitables, comme l’incompatibilité des systèmes ou des logiciels, le manque d’éducation technologique des utilisateurs et la nécessité d’authentifier les parties prenant part aux communications. De plus, les interactions à distance camouflent certaines informations sensorielles pertinentes du type non verbal, lesquelles véhiculent généralement un message. Il suffit de penser à l’intonation qui ne peut être communiquée lorsque l’on échange par courriels ou clavardage. Néanmoins, le plus grand défi du développement des ODR sera d’assurer une garantie suffisante de protection des renseignements personnels et de confidentialité puisque des informations très sensibles transiteront sur ces plateformes. Les normes de cybersécurité devront être établies en conséquence, selon des exigences élevées, afin d’éviter de s’exposer à des vols de données ou à des attaques informatiques (10).


En somme, même si ces quelques drapeaux levés doivent nourrir la réflexion des développeurs, il est évident que les avantages prouvés des ODR justifient que l’expérience se poursuive, en étant encadrée de manière appropriée par le public et par le privé.

Sources citées:

  1.  Jean-François ROBERGE, « Le sentiment de justice. Un concept pertinent pour évaluer la qualité du règlement des différends en ligne ? », (2020) 1 Revue Juridique de la Sorbonne 5.

  2. Hryniak c. Mauldin,2014 CSC 7, par 56.

  3. Id., par. 27.

  4. Karim BENYEKHLEF et Jie ZHU, « Intelligence artificielle et justice : justice prédictive, conflits de basse intensité et
    données massives », (2018) 30 Les Cahiers de Propriété Intellectuelle 789.

  5. Karim BENYEKHLEF et Fabien GÉLINAS, « Online Dispute Resolution », (2005) 10-2 Lex Electronica 1, p.86

  6. Id.

  7. Id.

  8. K. BENYEKHLEF et F. GÉLINAS, préc., note 5, p.87.

  9. Karim BENYEKHLEF, « La résolution en ligne des différends de consommation : un récit autour (et un exemple) du droit postmoderne », (2016) 21 Lex Electronica 57, en ligne : https://www.lex-electronica.org/s/1507.

  10. K. BENYEKHLEF et F. GÉLINAS, préc., note 5.

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