Le panel sur le Droit autochtone - Le Pigeon dissident au Colloque de la FEDQ
Auteur·e·s
Hugo Lefebvre
Publié le :
4 avril 2022
Il est un peu plus de 11 h 10 lorsque la conférence de Julie Miville-Dechêne, journaliste émérite, féministe et, depuis quelques années, sénatrice, se termine. Mon collègue Thomas Doré rôde autour de la scène en espérant pouvoir s’entretenir avec la conférencière, qui discute avec de nombreux étudiants avides d’en apprendre plus sur son expérience et ses connaissances débordantes. De mon côté, je guette l’arrivée d’un autre invité d’honneur, Jean Leclair, qui s’entretiendra sous peu avec d’autres professionnels du droit autochtone dans le cadre d’un panel.
Les invités s’accordent pour souligner l’importance de favoriser la création d’institutions proprement autochtones dans l’optique d’encourager l’évolution d’un troisième ordre juridique autochtone.
La renommée du professeur Leclair le précède. Ceux qui n’ont pas eu la chance de suivre un de ses cours en ont entendu parler avec les plus grandes éloges. C’est celui qui a enseigné le droit constitutionnel à des personnes allant de Me Frédéric Bérard, qui enseigne à l’Université de Montréal, à Simon Jolin-Barrette, ministre de la Justice du Québec. L’expertise et l’intérêt riche et profond du professeur Leclair pour les questions autochtones et le fédéralisme se manifestent dans de nombreuses dizaines de publications. Bref, j’ai hâte de m’entretenir avec lui sur le droit autochtone. C’est alors que je l’aperçois. Nous avons une brève discussion et il accepte de discuter avec moi suite au panel. Heureux, je retourne m’asseoir à dans la salle de conférence.
Vu la sixième vague de COVID-19 qui rafle le pays, trois des quatre invités sont forcés de se joindre au panel par voie électronique. Le premier avocat qui arrive sur l’écran est Me Alex O’Reilly, avocat-associé en droit autochtone chez Gowling WLG. Il défend notamment les cris de la Baie-James. Puis, apparaissent Me Marie-Claude André-Grégoire et Me Wina Soui. Me Marie-Claude André-Grégoire est avocate chez O’Reilly, André-Grégoire et Associés - la firme de Me James O’Reilly, un des grands pionniers du droit autochtone au Canada. Elle est également autochtone d’origine innue. Wina Soui est quant à elle avocate-conseil en droit autochtone et membre de la première nation Abitibiwinni. Le médiateur est Louis-Philippe Boivin Grenon, président du comité droit autochtone.
Les discussions varient des technicalités du droit autochtone aux réalités de la pratique en droit autochtone. Le panel est lancé par une question sur l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, qui vient reconnaître les droits autochtones ancestraux ou issus de traités. Les invités s’accordent pour souligner l’importance de favoriser la création d’institutions proprement autochtones dans l’optique d’encourager l’évolution d’un troisième ordre juridique autochtone. Sont également soulignées la diversité des différentes nations autochtones ainsi que la variété du droit autochtone en tant que tel. Comme le souligne Me O’Reilly, au-delà des grands débats constitutionnels, le droit autochtone inclut également un droit des successions, le droit de la famille, la négociation avec des entreprises privées et bien d’autres domaines. Une question du médiateur amène alors les invités à discuter du legs de la Loi sur les Indiens, amenant un débat qui brille par sa nuance. Puis, viennent des questions plus personnelles sur le rapport des invités au droit autochtone. Lorsqu’on lui demande comment éviter le paternalisme dans la création et l’application du droit, Me Marie-Claude André-Grégoire explique l’importance de décoloniser la pensée et de mettre l’emphase sur l’autodétermination. Le panel se termine sur une question d’une étudiante sur le droit autochtone à l’université. Dans sa réponse expliquant l’importance de ce droit dans la formation des juristes, Jean Leclair souligne la création d’un nouveau cours sur les traditions juridiques autochtones à l’Université de Montréal.
Lorsque le panel se termine, je m’avance vers la scène afin de discuter avec le professeur Leclair. Ce dernier m’invite à m’asseoir sur un des sofas destinés aux panélistes. Nous entamons alors une longue discussion sur le droit autochtone et l’importance de la pensée critique dans les universités. Après avoir discuté de la diversité des nations autochtones au Canada, nous conversons sur l’avenir du droit autochtone. Selon lui, ce développement doit émaner d’un processus volontaire, contrairement à ce qui s’est passé en 1969, lorsque Pierre-Elliott Trudeau et Jean-Chrétien ont tenté d’abolir tout nettement la Loi sur les Indiens et de faire des autochtones des citoyens ordinaires. Comme il l’explique : « Je pense que, petit à petit, des lois fédérales vont établir un régime selon lequel les autochtones pourront se régler selon leurs propres normes. » Or, en grand constitutionnaliste intéressé aux dynamiques de pouvoirs au sein du fédéralisme canadien, il souligne que le droit autochtone constitue tout de même une organisation de rapport de pouvoirs. Et comme tout pouvoir, ce rapport doit être critiqué. Ainsi, discutant de l’enseignement du droit autochtone dans les universités, le professeur Leclair explique qu’il faut « (...) l’aborder dans une perspective universitaire, donc avec une perspective critique ». En sommes, comme à l’habitude, ma conversation avec le professeur Leclair est profonde et enrichissante.