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Le miroir de la violence

Auteur·e·s

Zoe Li

Publié le :

16 avril 2023

Traumavertissement: Ce texte contient des épisodes de violence qui peuvent choquer certain.e.s lecteur.trice.s.


Ce texte met en scène plusieurs notions de l’approche freudienne à la psychologie clinique.

Ne pense pas à rejouer la scène en boucle. Ne pense pas à la scène. Ne pense pas à… Ne pense pas… Ne pas… Ne… Argh! Ça ne marche pas! Ça ne marche plus!

Une porte s’ouvre, puis se ferme. Silence. Puis une autre porte s’ouvre et se ferme. Silence. Et ainsi de suite. Silence.


Violence fait ses rondes dans la maison. Qui verra-t-elle en premier? Qui seront les heureux⋅ses élu⋅e⋅s?


Tous et toutes retiennent leur souffle. Silence. Certain⋅e⋅s sont tapi⋅e⋅s dans les ténèbres, d’autres s’éloignent le plus subrepticement possible. Tôt ou tard, l’inévitable viendra : Violence les visitera dans l’ordre et le désordre.


Silence. Une lumière s’allume, une autre s’éteint.


Violence est en mouvement. Tous et toutes savent qu’iels n’ont pas assez de temps pour essayer de débarrer la porte d’entrée. Pourtant, certain⋅e⋅s s’y dirigent.


Silence. Tap tap tap. Arrêt. Grincement. Silence. Tap tap tap. Grincement. Arrêt.


Hurlement.


« Refoulement! » pensent donc les autres.


Violence ricane. Des échos se propagent dans la maison. Tap tap tap. Les échos de ses ricanements subsistent. Tap tap tap.


Silence.


Quelques-un⋅e⋅s sortent de leur cachette et se dirigent vers Refoulement.


« C’est la deuxième fois qu’Elle vient te voir aujourd’hui. Ça va? » demande Déni.


« Bien sûr que ça va. Ça va très bien, même. Pourquoi ça n’irait pas? » rétorque machinalement Refoulement.


De faibles coups sourds retentissent dans la maison.


« On t’a entendu crier. Ça semblait te faire très mal. T’es sûr que ça va? Qu’est-ce qu’Elle t’a fait? » insiste Imagination.


« De quoi tu parles? Je vais très bien. Je n’ai pas mal. Du tout. »


« T’es certain? Elle t’a donné tous ces bleus, la dernière fois. » sollicite Répression.


« Vous êtes tous cinglés. J’ai toujours eu ça. C’est normal. Allez-vous-en. »


« Mais… »


« ALLEZ-VOUS-EN! »


Déni, Imagination et Répression se retirent. De légers coups sourds retentissent encore. Ces bruits les mènent vers la porte d’entrée, une double porte en bois massif. C’est Déplacement. Il rue la porte d’entrée de ses pantoufles déchirées, de ses genoux écorchés et de ses poings nus.


« T’es stupide. Tu ne sais rien faire. T’es un bon à rien. Je vais te montrer qui est le bon à rien. Un cancre est incapable de faire mes manœuvres compliquées. Je ne suis PAS un cancre. Je ne suis PAS stupide. Je ne suis PAS un bon à rien. »


La porte ne bronche pas. Les rivières incolores et écarlates continuent de couler.


Déni s’approche alors qu’Imagination et Répression n’osent pas. Il attrape le poing de Déplacement avant qu’il n’entre en contact avec le bois massif. Déplacement se débat et heurte Déni du coude. Les deux spectatrices se replient davantage sur elles-mêmes. Le souffle coupé, Déni ne peut éviter l’autre poing de Déplacement.


Un temps.


« Je… je… Je m’excuse. Je n’ai pas fait exprès. Je ne voulais pas te frapper. »

« Ce n’est pas ta faute. Je saigne facilement du nez depuis toujours, à cause de toute la poussière dans la maison. »


Violence glousse.


Le quatuor attroupé autour de la double porte tente de fondre dans le décor, chacun⋅e à sa manière.

Les murs diffusent les gloussements de Violence.


« Encore en train de jouer à l’héroïne sur papier? Lâche tes crayons de couleur et ton cahier et va préparer la viande », dit Violence à Imagination.


« Ouais, ça te sert à quoi de te dessiner avec une mine aussi jolie en train de jouer avec des animaux? T’es même pas belle dans la vraie vie. T’es seulement bonne pour dépecer des animaux. Arrête donc de jouer avec la nourriture », renchérit Identification.


Figée, Imagination éclate en sanglots.


Applaudissements. De la part de Violence.


« Bien joué! Et elle? Qu’est-ce que des personnes puissantes comme nous lui faisons? »


« On l’a punie », répond Identification.


« Non, maman! Je suis une bonne petite fille. Ça n’arrivera plus, » supplie Régression.


Violence valse vers le coin d’ombres, Identification collée à ses basques.


« Tu mérites d’être battue. »


Une silhouette adulte se détache du coin ombragé et se prosterne, le front au sol.


« Non. Je serai sage. Je suis sage. Je suis sage comme une image. Non! Non! »


Éclats de rire.


« Que ceci vous serve de leçon! » tonne Identification.


Coups sourds.


« Ne pense pas aux cris. Ne pense pas aux blessures », scande Répression, recroquevillée, le dos au mur et les mains sur les oreilles.


« Ne pense pas aux yeux vides. Ne pense pas à la scène. Ne pense pas à ce qu’Elle a dit. »


Odeur de fer. Coups retentissants. Hurlements.


« Ne pense pas à ce qu’Elle t’a fait. Ne pense pas à ce qu’Elle peut te faire. Ne pense pas à ce qu’Elle te fera. »


Échos. Relents.


« Ne pense pas à rejouer la scène en boucle. Ne pense pas à la scène. Ne pense pas à… Ne pense pas… Ne pas… Ne… Argh! Ça ne marche pas! Ça ne marche plus! »


Quintuples sanglots sur fond de caquètements.


À l’étage, Projection pointe Formation réactionnelle du doigt.


« C’est ta faute si mes mains sont couvertes de bandages. C’est ta faute si je ne peux plus jouer du piano. C’est ta faute si je ne peux plus tenir un crayon. C’est ta faute si je ne peux plus utiliser d’écran tactile. C’est ta faute. »


« C’est vrai. C’est ma faute », reconnaît Formation réactionnelle.


Rendue hors de portée d’oreille, Formation réactionnelle marmonne : « C’est faux. C’est ta propre faute si tu t’es rebellée contre Elle avec Déplacement et si tu as échoué. C’est ta propre faute qu’Elle a forcé Déplacement à assister à l’exécution de ta punition. C’est ta propre faute que tes mains soient devenues inutiles. »


Dans un recoin de la maison, Rationalisation est assise en cercle avec Anticipation, Humour et Sublimation. Rationalisation s’explique.


« Elle est aussi méchante avec nous, parce que dans le vrai monde, c’est encore pire. Elle nous prépare à affronter le vrai monde. Elle veut notre bien. Tout ce qu’Elle fait, c’est pour notre bien. »


Anticipation fait la moue.


« Il arrivera un jour où Elle sera encore pire que le monde du dehors. Il faut s’y préparer. Pour le moment, on n’a plus qu’à endurer. »


« Pourquoi rendre ça plus dur lorsqu’on peut adoucir à la place? » intervient Humour.

« Hé, vous avez compris, hein? »


Cri de rage.


Aussitôt, les quatre se dispersent vers les quatre vents.


Rationalisation, chemin faisant, entre soudainement en collision avec Identification. Sans perdre un instant, Rationalisation la relève et la guide vers l’un de ses refuges. Surprise par une douleur aiguë dans le dos, Rationalisation trébuche. Le monde semble s’assombrir.


Deux paires de chaussures au galop, à des rythmes différents.


« Je vais te tordre le cou! » rugit Violence.


« Ah! tant mieux! J’ai justement un torticolis », réplique Humour.


Craquement.


Anticipation est presque arrivée à son tunnel secret qu’elle a préparé justement pour l’occasion. Surgie de nulle part, Identification la saisit et toutes deux chutent.


Sublimation s’arrête devant la porte d’entrée. Pour elle, la double porte avait toujours l’air d’un miroir géant séparé en deux panneaux de même taille alors que pour les autres, la double porte paraissait en bois massif de couleur variable. Aujourd’hui, Sublimation voit qu’une des portes est un miroir alors que l’autre est une toile blanche. À proximité de la toile, de la peinture et des pinceaux jonchent le plancher.

Sublimation s’avance et se munit du matériel d’artiste. Elle asperge la toile de rouge. Elle marque la toile de bourgogne.


Rouge. Rouge bourgogne. Rouge couleur de vin. Rouge couleur de viande. Écarlate. Pivoine. Cramoisie. Carmin. Rouge rubis. Rouge sang. Couleur d’entrailles. Gorge de colibri.

D’un angle, la toile dépeint un champ de coquelicots. D’un autre, la toile illustre une étude en rouge d’après ses divers tons.


Silence.


Pour la première fois, le silence dans la maison n’est nullement oppressant. Le miroir, jusqu’alors impeccable, semble être tâché d’une fissure. En fait, le miroir est entièrement craquelé et semble devoir s’écrouler d’un moment à l’autre.


Sublimation veut garder son œuvre. Elle tente de la décrocher. La porte sur laquelle repose son œuvre se débarre pour la première fois. Le miroir craque davantage. La toile et son support pivotent vers l’extérieur de la maison.


Sublimation se dirige vers son œuvre. Elle l’observe une dernière fois. Elle se retourne, marche vers l’avant, loin de la maison, sans se retourner.


« Tu vois? Il valait mieux adoucir plutôt qu’endurcir, hein, en fin de compte! Hé! attends-moi un peu. J’ai quelque chose de cassé », accourt Humour.

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