Le Crime pornographique au Canada : violence impunie
Auteur·e·s
Maria Boutin, Marilou-Rose Caron et Amy Young, CJCVCS
Publié le :
4 mars 2023
Si la pornographie est née, en Grèce antique, d’une luxure encouragée, et a longtemps traduit, notamment pendant le siècle des Lumières, un libertinage synonyme de révolution sociale, elle est aujourd’hui le fardeau de plus d’une. Jadis érotisme indiscutable et applaudi, elle peut être considérée aujourd’hui comme un enjeu de droits humains. En 1983, la Cour suprême du Canada reconnaît dans R. c. Doug Rankine Co. qu’il ne faut plus envisager la pornographie comme une menace à la moralité sexuelle, mais bien comme une possibilité de violence déshumanisante quand elle en dégrade ses sujets. Et à l’heure d’un Internet voyeuriste et de la caméra passe-partout, les violences instiguées par l’industrie pornographique sont innombrables. Le consentement au cœur du combat, qu’en advient-il?
L’objectification et l’hypersexualisation de la femme facilitent l’existence de la pornodivulgation. C’est un phénomène dangereux pour la société dans son entièreté : il solidifie une inégalité de genres et permet à la culture du viol de prospérer dans notre vie de tous les jours.
Le Code criminel du Canada le promet : « Quiconque sciemment publie, distribue, transmet, vend ou rend accessible une image intime d’une personne, ou en fait la publicité, sachant que cette personne n’y a pas consenti ou sans se soucier de savoir si elle y a consenti ou non, est coupable a) soit d’un acte criminel, ou b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire » (1) . Les dispositions sont claires, mais qu’en est-il des corporations qui continuent de profiter de crimes pornographiques qui restent impunis?
C’est sur cela que s’est penché Nicholas Kristof du New York Times dans son article maintenant célèbre, « The Children of Pornhub », qui a déclenché une enquête nationale sur la compagnie montréalaise Mindgeek, propriétaire de Pornhub. Dans l’article, on met en lumière le profit tiré de contenu non consensuel provenant notamment d’exploitation et d’agressions sexuelles, de pornodivulgation et de pornographie juvénile. Les témoignages y sont déchirants.
En 2021, Pornhub se hissait malgré tout au dixième rang des sites les plus fréquentés de la planète (2). Avec plus de 3,5 milliards de visites par mois, il est classé avant Netflix et Amazon (3). 6,8 millions de nouvelles vidéos sont publiées chaque année. Cependant, il n’y a presque aucun contrôle de contenu sur Pornhub, un site sur lequel il est raisonnable de croire qu’une vigilance accrue serait nécessaire. En effet, alors que Facebook engage 15 000 modérateurs pour faire la vérification de contenu, Pornhub, plus populaire, n’en a qu’un maigre 80 pour filtrer au travers de plus d’un million d’heures de nouveau contenu par année (3).
Depuis, plus de 525 ONG provenant de 65 pays et des centaines de victimes se sont adressés au Parlement canadien en soutien à cette demande (4). Visa et MasterCard se sont retirées comme méthodes de paiement sur le site de Pornhub (3). Des projets de loi ont été déposés, visant d’abord à réguler l’accès aux sites pornographiques. Ils en demeurent à leur première lecture. La situation n’est-elle pas suffisamment alarmante?
Dans l’absence ridicule de filtration du contenu, d’autres enjeux continuent d’émerger. La pornodivulgation, aussi appelée « revenge porn », est la divulgation et distribution d’un média de nature sexuelle sans le consentement d’une personne, qu’elle ait consenti ou non à la production de celui-ci. Comme son nom l’indique, la distribution se fait dans le but de nuire. Toutefois, l’utilisation du mot « pornodivulgation » et non « vengeance pornographique » est recommandée par la Commission d’enrichissement de la langue française : le mot « vengeance » suggère que la victime devrait être punie pour une faute. Or, la distribution sans consentement d’image intime n’est pas forcément due à un désir de vengeance, et n’est certainement pas outil de punition. De la même façon, Clare McGlynn et Erika Rackley recommandent l’utilisation du terme « image-based sexual abuse » au lieu de « revenge porn » (5). De cette manière, on peut plus facilement mettre fin à la minimisation de ce crime et rapidement l’identifier comme un type de violence sexuelle.
Le rôle du droit est majeur quant à l’enjeu de la pornodivulgation. En criminalisant la pornodivulgation, on reconnait que ce phénomène est dangereux. Depuis 2014, grâce à la Loi sur la protection des Canadiens contre la cybercriminalité (6), la pornodivulgation est un acte criminel. Quiconque distribue une image intime d’autrui sans son consentement, en vertu de l’art. 162.1 du Code criminel (1), peut être reconnu coupable d’un acte criminel. Cependant, il y a encore du travail à faire. Déjà, les réseaux sociaux compliquent le processus de preuve puisqu’il est difficile de retracer la personne exacte (7) (R. c. C.R.D). De plus, bien que ce soit reconnu, le traitement de la victime par les tribunaux demeure déshumanisant et le processus criminel (et ce, en général) choisit de rester aveugle face aux conséquences qu’il a sur la victime. La criminalisation de l’acte n'est donc que le premier pas afin de modifier la perception de l’enjeu dans l’imaginaire collectif.
Il est nécessaire de reconnaître les conséquences que subissent les victimes/survivantes de ce crime particulier. La pornodivulgation est un acte purement violent et un crime symptomatique d’une misogynie et d’un double standard étouffants. L’objectification et l’hypersexualisation de la femme facilitent l’existence de la pornodivulgation (8). C’est un phénomène dangereux pour la société dans son entièreté : il solidifie une inégalité de genres et permet à la culture du viol de prospérer dans notre vie de tous les jours.
Conséquemment, la pornodivulgation est une violation du droit à l’intégrité physique et psychologique, à la dignité et à la vie privée. Individuellement, les victimes et survivantes, souvent reconnaissables sur les images intimes, sont exposées à plus de dangers. Il est difficile, voire impossible, de faire disparaître ce contenu d’Internet. C’est pour ça qu’aujourd’hui, plus que jamais, il est important d’en parler.
Bref, les enjeux liés au consentement dans l’industrie de la pornographie sont vastes, et ne sont que la pointe de l’iceberg d’une multitude d’autres enjeux qui touchent ce milieu. Il est important de continuer de se pencher sur ce celui-ci, où l’exploitation de victimes est trop souvent chose courante. Pour les cas de revenge porn, les victimes sont souvent sans moyen, en raison du manque d’information qui entoure de telles situations ainsi que du manque de ressources disponibles.
Ressources :
AidezmoiSVP.ca et Cybertip.ca, expliquent les étapes à prendre pour les victimes de pornodivulgation, en plus de regrouper les lois qui légifèrent le tout.
Projectshift.ca vise quant à lui par l’entremise de l’organisation YWCA à sécuriser le web pour les jeunes femmes, tout en partageant diverses ressources pouvant être utiles pour les victimes.
Cybersmile.org offre également de l’information et du soutien pour ce type d’infraction.
Sources citées :
1. Code criminel, LRC 1985, c C-46, art. 162.1.
2. AFP. (2021, 10 mai). Pornhub visé par une enquête officielle du Commissariat à la protection de la vie privée. Journal de Montréal. https://www.journaldemontreal.com/2021/05/10/pornhub-vise-par-une-enquete-officielle-du-commissaire-a-la-protection-de-la-vie-privee-1.
3. Kristof, N. (2020, 4 décembre). The Children of Pornhub. The New York Times. https://www.nytimes.com/2020/12/04/opinion/sunday/pornhub-rape-trafficking.html.
4. Malboeuf, M.-C. (2021, 20 mai). Nouvelle demande d’enquête criminelle contre MindGeek. La Presse. https://www.lapresse.ca/actualites/2021-05-20/affaire-pornhub/nouvelle-demande-d-enquete-criminelle-contre-mindgeek.php.
5. C. MCGLYNN, E. RACKLEY, « Image-Based Sexual Abuse », 37 U. Oxford (2017)
6. Loi sur la protection des Canadiens contre la cybercriminalité, L.C. 2014, c. 31
7. R. c. C.R.D., [2019] C.S. (P.E.I.)
8. D.K. CITRON « Law’s Expressive Value in Comating Cyber Gender Harrassment », 108 MICH. L. REV. 373 (2009)