top of page
Portrait%20sans%20photo_edited.jpg

Le Club des allié·e·s né·e·s

Auteur·e·s

Hugo Lefebvre

Publié le :

13 septembre 2021

Entamer son baccalauréat à la Faculté de droit de l’Université de Montréal, c’est s’immerger dans un monde de possibilités nouvelles, s’ouvrir à une discipline riche et vaste. Mais comme toute chose, cette discipline est également limitée.


Un des adages qu’on répète le plus souvent aux étudiant·e·s en droit est « le droit mène à tout », mais cette phrase cache tout de même un sous-entendu. On nous apprend à penser comme des juristes, à développer toute une panoplie de réflexes qui nous aideront autant dans nos vies professionnelles que dans nos réflexions critiques sur la société dans laquelle nous vivons. Certain·e·s des meilleur·e·s professeur·e·s de la Faculté s’en font une profession de foi. Mais ils ne manquent tout de même pas de nous rappeler d’ouvrir nos horizons, d’apprendre à penser au-delà de la pensée juridique.

En tant qu’étudiant·e·s en droit, il est facile de succomber à cette tentation d’assimiler certains traits du personnage de l’étudiant·e en droit et de performer cette identité, d’abdiquer devant cette liberté que nous avons d’ouvrir nos horizons et d’explorer différentes voies d’être, de comprendre et de se mettre à la place de ceux et celles qui ne partagent pas nécessairement nos expériences de vie.

Un exemple bien connu en philosophie peut nous éclairer sur l’importance de garder un esprit ouvert. Dans son magnum opus, l’Être et le néant, Jean-Paul Sartre illustre son concept de mauvaise foi en détaillant les gestes d’un garçon de café. De par sa démarche soutenue et son attention exagérée aux détails, Sartre se rend compte que le garçon joue à être un garçon de café. Comme un épicier, un vendeur de voitures ou un courtier immobilier, qui ne se contiennent qu’à leurs fonctions dans leurs présentations et qu’on ne reconnaît que comme tel, le garçon réalise sa fonction dans ce jeu. Ce faisant, ils emploient activement leur liberté à nier cette même liberté, comme s’il n’était pas de leur libre choix d’être quelqu’un d’autre. Sartre explique : « Comme si, du fait même que je soutiens ce rôle à l’existence, je ne le transcendais pas de toute part, je ne me constituais pas comme un au-delà de ma condition. » (1) Pour Sartre, la mauvaise foi fait fuir l’humain de ce qu’il ne peut pas fuir, soit fuir ce qu’il est, un être fondamentalement libre, entouré de ce néant qui l’isole.


Les études de droit n'échappent pas à cette réponse facile au problème de la liberté. En tant qu’étudiant·e·s en droit, il est facile de succomber à cette tentation d’assimiler certains traits du personnage de l’étudiant·e en droit et de performer cette identité, d’abdiquer devant cette liberté que nous avons d’ouvrir nos horizons et d’explorer différentes voies d’être, de comprendre et de se mettre à la place de ceux et celles qui ne partagent pas nécessairement nos expériences de vie. C’est pour cette raison que la lecture (et l’art en général) peut tant nous aider à nous libérer l’esprit et à nous élever au-delà du quotidien.


Durant d’une entrevue donnée en français à La Revue des Deux Mondes il y a quelques années, dans le cadre d’une édition sur la réception de Proust en Amérique, Stephen Breyer, juge à la Cour suprême des États-Unis, expliqua l’importance qu’a eue la littérature dans sa carrière juridique. Ayant perfectionné son français en lisant À la recherche du temps perdu alors qu’il était stagiaire juridique à Paris, Breyer raconte comment Proust, la littérature et les sciences humaines lui ont permis de développer son empathie et de comprendre la vie telle qu’elle était vécue par le passé ou telle qu’elle est vécue ailleurs dans le monde. Il donne comme exemple les romans de Balzac et de Madame Lafayette, qui permettent de témoigner des contraintes imposées aux femmes par le passé et de la façon dont les gens de l’époque percevaient cette situation. Pour Breyer, ceci permet de mettre nos valeurs en contexte et de mieux en comprendre l’essence, ce qui permet de mieux s’engager dans ce qui pour lui est la caractéristique distinctive de l’être humain, soit « de  mettre  de  l’ordre  dans  le  chaos,  de  donner  une  forme à l’univers », ce même instinct sans doute que celui que Sartre associait à la mauvaise foi – mais la résolution de cette contradiction dépasse la mission du vulgaire chroniqueur qui tente de vendre son club de lecture. (2) Tenons-nous en au célèbre : « Lire, c’est être libre! »


Bref, approfondir ses connaissances par la lecture est important et, surtout, ô combien satisfaisant. Voilà pourquoi, cette session, le Pigeon Dissident entamera la tenue d’un club de lecture mensuel, le Club des allié·e·s né·e·s. L’idée du club est de permettre à des étudiant·e·s de se réunir et de discuter d’essais et d’autres écrits portant sur des idées importantes d’hier et d’aujourd’hui. Ce club, ouvert à tous et à toutes, mais aux places limitées afin d’assurer la tenue de discussions communes, lira chaque mois des œuvres choisies par les membres le mois précédent et en discutera en personne autour d’une bière ou d’un café. Les réunions auront lieu chaque dernier jeudi du mois dans des parcs, des bars, des locaux, bref, n’importe où!


L’objectif du club de lecture est de réunir une équipe de personnes ayant un intérêt pour la philosophie, la littérature ou la pensée critique en général et qui ne craignent pas de s’engager dans des œuvres et idées complexes et parfois contrariantes, et ce, tout en gardant le club accessible et inclusif, autant dans ses lectures que dans ses membres. Les membres devront autant lire les œuvres que s’en faire une idée, en discuter et en débattre. Ils devront également parfois les présenter.  Nous visons ainsi tout autant à favoriser la lecture et le partage de connaissances qu’à créer un milieu, une communauté d’intérêt. Lorsque les discussions porteront particulièrement fruit, nous comptons également en publier un compte-rendu sur le site Web du Pigeon. Ainsi, ceux et celles qui souhaitent rejoindre le club et discuter d’œuvres diverses, d’Héraclite à Charles Taylor, d’Angela Davis à Carl Schmitt, de David Hume à Immanuel Kant et de Lao Tseu à Spinoza, peuvent s’inscrire en écrivant au pigeondissident.tresorerie@gmail.com.


Pour la première réunion, les membres devront lire le court Discours de la servitude volontaire d’Étienne de la Boétie. Pour la deuxième lecture, histoire de donner une première ligne directrice au club, les lectures à voter seront choisies à l’avance. Pour les éditions futures, chaque membre pourra présenter une suggestion de lecture et, si elle est choisie, pourra en faire une courte présentation à la réunion ultérieure.  Ainsi, les choix pour la deuxième lecture, choisis pour leur influence sur la pensée contemporaine, seront :


  • Hannah Arendt  – La condition de l’homme moderne;

  • Herbert Marcuse – L’Homme unidimensionnel;

  • Judith Butler – Troubles dans le genre;

  • John Rawls  – La justice comme équité;

  • Emmanuel Mounier – Le personnalisme;

  • Érasme – Éloge de la folie;

  • Simone Weil  – L’enracinement;

  • La Bhagavad-Gita;

  • John Ruskin – Unto this last;

  • Karl Marx – Manuscrits de 1844.

Sources citées:

  1. Jean-Paul Sartre, L’être et le néant, Paris, Tel Gallimard, 1943, p.96

  2. Ioannah Kohler, « Un humaniste à la cour suprême : entretien avec Stephen G. Breyer réalisé par Ioanna Kohler», (2013) 6 La Revue des Deux Mondes 93, 93 - 101

bottom of page