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La surreprésentation des enfants autochtones à la DPJ

Auteur·e·s

Sophie Gagnon

Publié le :

6 décembre 2022

Pourquoi les enfants autochtones sont-il·elle·s si nombreux·euse·s à être placé·e·s dans des maisons d’accueil? La réponse à cette question trouve son fil conducteur dès les débuts de la colonisation,  dont les effets pérennes. Aujourd’hui, la vulnérabilité des enfants autochtones est le résultat des politiques gouvernementales qui en découlent (1).

Les enfants autochtones représentent 53,8% de tou·te·s les enfants placé·e·s, alors qu’il· elle·s ne comptent que pour 7,7% des enfants de moins de 14 ans au Canada. (2)

Il va sans dire que la colonisation a donné lieu à des siècles d’abus, de violence et de discrimination. Outre les grandes lignes entendues maintes fois dans nos cours d’histoire, quelles sont les raisons pour lesquelles ces problèmes persistent encore aujourd’hui? À bien des égards, les services de protection de la jeunesse au Canada ne font que poursuivre le processus d’assimilation déclenché sous le régime des pensionnats autochtones (3). Il est donc pertinent de se demander si les conditions de vie des enfants autochtones se sont réellement améliorées avec le temps.


Avant le contact avec l'Europe et la perturbation fondamentale du mode de vie traditionnel des communautés autochtones qui en a résulté, chaque nation possédait son propre mode d’autogouvernance basé sur un système politique, économique et socioculturel distinct (1). Cette qualité leur permettait non seulement de veiller au respect des règles, mais assurait également la conservation des coutumes et des traditions propres à chacune d’entre elles (1). Ainsi, le mode de vie de plusieurs nations autochtones est régi par un système de parenté complexe basé sur des valeurs qui préconisent le respect et l’entraide et qui dictent un ensemble de responsabilités et d’obligations aux membres de la famille élargie envers les enfants de la communauté (3). 


Contrairement aux familles occidentales, l’entourage de l’enfant n’est pas limité à sa famille biologique, mais comprend plutôt l’ensemble de sa communauté à travers laquelle l’enfant développe son attachement et son identité en fonction de valeurs partagées (3).

L'arrivée des européen·ne·s a mis un terme définitif à ce mode de vie traditionnel, imposant à sa place un régime paternaliste axé sur l’assimilation culturelle et l’annihilation de leurs traditions (1). 

Dépouillées de leur capacité d’autodétermination et de libre arbitre, les familles autochtones n’ont eu d’autre choix que de s’assimiler aux familles occidentales, malgré leurs différences inhérentes. Dès lors, l’accès à leur culture fut restreint en raison des diverses politiques gouvernementales telles que la Loi sur les Indiens de 1876. En particulier, cette loi a veillé à l’assimilation culturelle des autochtones à travers la création des pensionnats où environ 150 000 enfants ont été amené·e·s de force entre 1880 et 1996 (2). Ces derniers ont causé des souffrances humaines incommensurables aux peuples des Premières Nations, des Inuits et des Métis: de nombreux·euses survivant·e·s témoignent avoir subi des abus sexuels, psychologiques et physiques (4). Les effets continuent de se répercuter sur des générations de familles et de nombreuses communautés, l’un d’entre eux étant la surreprésentation des enfants autochtones au sein de la DPJ (1).


La situation actuelle est une réalité à laquelle des milliers d’enfants autochtones doivent faire face. Bien que les enfants autochtones représentent 53,8% de tou·te·s les enfants placé·e·s, il·elle·s ne comptent que pour 7,7% des enfants de moins de 14 ans au Canada (2). Plusieurs facteurs comme le racisme systémique, la discrimination et les biais inconscients, les politiques gouvernementales, la méconnaissance de la culture autochtone et le manque de financement dans les réserves contribuent au problème (3).


De manière générale, les intervenant·e·s sociaux·ales allochtones possèdent une connaissance limitée des fondements culturels des communautés autochtones et des pratiques éducatives qui en découlent (3). Cette lacune incite certain·e·s intervenant·e·s, consciemment ou non, à imposer aux parents autochtones d’adhérer à des idéaux de parentalité fondés sur les valeurs traditionnelles occidentales, au risque de se voir retirer leurs enfants (3). Les attitudes préjudiciables des intervenant·e·s sont majoritairement le résultat de biais systémiques culturels. Conséquemment, les capacités parentales des autochtones sont souvent perçues comme étant des symptômes de négligence plutôt que des résultats du racisme systémique, du financement inégal des services de protection de l'enfance dans les réserves, et des traumatismes intergénérationnels et des contextes socioéconomiques façonnés par les politiques et la culture coloniales (3). Cette idée fausse participe au taux disproportionné des enfants autochtones à la DPJ.

Le résultat est alarmant. Au Canada, le taux de placement des enfants en famille d'accueil est huit fois plus élevé pour les communautés autochtones et, dans les cas où le placement est récurrent, est neuf fois plus probable (5). Au Manitoba, un peu plus de 90% parmi près de 10 000 enfants placé·e·s sont d’origine autochtone (1). L'absence de financement, le besoin de directives spéciales axées sur la coopération et le manque de soutien au sein des communautés autochtones font en sorte qu'il est difficile pour les familles de s'occuper de leurs enfants. Impuissants et incapables de répondre à leurs besoins, de nombreux parents doivent les confier à l'État, moment auquel les enfants perdent le contact avec leurs réserves et sont assimilé·e·s culturellement. Puisque le bien-être des enfants autochtones est indissociable de leur culture, l'assimilation culturelle due au placement hors des réserves est appelée à affecter profondément leur santé psychologique et physique (5).


Cependant, plusieurs initiatives ont été prises afin de remédier à la situation. Par exemple, la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis (C-92) reconnaît les compétences des peuples autochtones en matière familiale et des services de protection de la jeunesse (6). Cette loi met l’accent sur l’intérêt de l’enfant, la protection de la culture autochtone ainsi que l’égalité réelle. À cet effet, plusieurs études ont démontré que les communautés autochtones qui ont une plus grande autonomie s’en sortent mieux sur le plan socioéconomique que celles qui en sont privées et, le cas échéant, sont plus susceptibles de reconnecter avec leur culture (3).


Plus récemment, le gouvernement provincial a introduit la Loi modifiant la Loi sur la protection de la jeunesse et d’autres dispositions législatives (PL-15), qui insiste elle aussi sur l’importance de l’intérêt de l’enfant par-dessus le lien de filiation biologique et le maintien dans son foyer (7). Cependant, la loi reste silencieuse quant aux revendications des peuples autochtones qui, entre autres, demandent une plus grande autonomie en matière de protection de l’enfance. Ces lacunes reflètent la position du gouvernement provincial qui ne reconnaît toujours pas le racisme systémique comme facteur contribuant, ou comme problème tout court … 


Cela dit, nous avons un long chemin à parcourir, tant sur le plan social que juridique, et ce, dans chacune des provinces. Le processus de réconciliation et de reconnaissance des droits des enfants autochtones et de leurs familles n’est pas un enjeu que seul le temps saura guérir. À cette fin, l’accès à la culture et la légitimation d’une DPJ administrée par les nations autochtones et adaptée à leurs besoins sont des enjeux primordiaux. D’ici là, chacun·e d’entre nous est responsable de défendre le bien-être et la protection des enfants autochtones à travers le Canada.

Sources citées : 


  1. JOSEPH, Bob. 2018. 21 Things you might not know about the Indian Act, Indigenous Relations Press, 160 p.

  2. Radio-Canada. Les Jeunes autochtones surreprésentés en protection de l'enfance, Surtout au Manitoba: Les autochtones de plus en plus nombreux au pays. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1917252/statistique-canada-premiere-nation-garde

  3. GUAY, Christiane et ELLINGTON, Lisa. Les causes de la surreprésentation des enfants autochtones en PJ. Commission d’enquête sur les relations entre Autochtones et certains services publics. https://www.cerp.gouv.qc.ca/index.php?id=2

  4. Radio Canada. Pensionnats, Joyce et DPJ : retour sur les enjeux qui ont marqué 2021.  https://ici.radio-canada.ca/espaces-autochtones/1849849/pensionnats-joyce-dpj-enjeux-autochtones-2021

  5. Gouvernement du Québec. Commission Spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse. https://www.csdepj.gouv.qc.ca/accueil/

  6. Gouvernement du Canada. Projet de loi C-92 : La Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis reçoit la sanction royale https://www.canada.ca/fr/services-autochtones-canada/nouvelles/2019/06/la-loi-concernant-les-enfants-les-jeunes-et-les-familles-des-premieres-nations-des-inuits-et-des-metis-recoit-la-sanction-royale.html

  7. Ministère de la Santé et des Services Sociaux. S’engager pour nos enfants - Adoption du projet de loi modifiant la Loi sur la protection de la jeunesse. https://www.msss.gouv.qc.ca/ministere/salle-de-presse/communique-3541/

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