top of page
Portrait%20sans%20photo_edited.jpg

La retraite précoce, une autre façon de jouer au Monopoly de la vie?

Auteur·e·s

Éric Rivas

Publié le :

8 avril 2024

Avec la vie étudiante vient aussi la pression sociale de se faire une carrière associée à un statut social élevé. La médecine, le droit et l’ingénierie demeurent des choix prisés par plusieurs jeunes et parents d’étudiant.es. La course à la performance et à la richesse que nous inculque la pensée productiviste se joue alors dès l’entrée à l’université. À l’opposé, certaines personnes optent volontairement de mettre fin à leur carrière dès un jeune âge, un acte de défiance envers la rat race corporative de ce monde. Voici une entrevue avec Jean-Sébastien Pilotte, auteur, retraité de 45 ans et leader du mouvement FIRE québécois.

Environ 60 % des membres de ma communauté sont des femmes. J’ai l’impression que les Québécoises s’intéressent davantage à l’épargne.

–  Qu’est-ce que le mouvement FIRE ? En quoi consiste sa stratégie ?


L’acronyme FIRE veut dire « indépendance financière et la retraite précoce ». C’est un mode de vie qui promeut le frugalisme et l’épargne intensifs dans le but d’investir massivement en bourse, l’objectif étant d’accumuler assez d’économies pour se libérer du monde du travail et continuer sa vie sans avoir à se préoccuper de la rentabilité de ses décisions. J’ai épargné entre 50 % et 60 % de mon revenu net durant ma carrière sans avoir eu le sentiment d’avoir sacrifié ma jeunesse. J’ai fait des dizaines de voyages avant de prendre ma retraite. J’ai fait abstraction du regard des autres en renonçant à des symboles de statut comme l’auto neuve, la grosse maison et les vêtements griffés qui ne m’apportent aucun bonheur.


– Pourquoi avez-vous rejoint le mouvement FIRE ?


J’ai adoré mon travail en marketing. Je restais souvent jusqu’à 10 h le soir à travailler par passion. Toutefois, j’avais toujours certaines préoccupations. Un nouveau patron peut arriver et changer l’environnement. Une entreprise peut fermer ou fusionner. Le marché du travail peut changer rapidement. Je voulais cocher la case « finance » de ma liste de vie pour m’enlever ce stress et m’ouvrir le plus de portes possible. Selon moi, être surendetté, avoir une hypothèque et être esclave de son patron cristallisent nos vies et nous empêchent d’essayer de nouvelles choses.


– Le mouvement FIRE compte combien de membres au Québec ?

Je l’ignore, mais il y a 8 ans, aucun blogue au Québec n’en parlait alors qu’aujourd’hui, il y en a plus de 40. Beaucoup de personnes appartenant au mouvement FIRE restent incognito et n’en parlent pas à leurs proches, afin d’éviter d’être stigmatisées.

– Y a-t-il un lien de cause à effet entre la pandémie et la popularité grandissante du mouvement FIRE ?


Un lien direct existe définitivement. Avec le confinement, je crois que plusieurs ont réalisé que la vraie richesse, ce sont les relations humaines. De plus, avec l’épargne accumulée en restant chez eux, ces personnes ont pris l’habitude d’investir en bourse. Le marché du travail a aussi changé avec l’arrivée du télétravail qui est plus flexible. Être à temps partiel en télétravail devient une possibilité intéressante. Malgré cela, je remarque que beaucoup sont revenu.es à leurs vieilles habitudes d’épargne et de consommation. C’est leur choix et je le respecte.


– Le mouvement FIRE est-il politique ? Est-ce à droite ou à gauche ?


Je ne crois pas qu’on puisse catégoriser les frugalités. D’un point de vue de droite, je dois ma richesse au système économique capitaliste dans lequel on vit. À gauche, je suis très critique du consumérisme et de la vision populaire selon laquelle la consommation équivaut au bonheur. Je crois que le frugalisme est une des solutions aux problèmes environnementaux auxquels nous faisons face. Il faut consommer moins et consommer mieux en se procurant des objets durables qu’on peut réparer. En somme, nous prenons des idées de droite et de gauche pour en faire une philosophie de vie qui est intéressante.


– Une des critiques du mouvement FIRE est qu’il est très genré en raison de son accent sur le succès financier qui, sociologiquement, intéresserait plus les hommes. Observez-vous des progrès dans ce domaine ?


La haute finance est en effet un milieu blanc et hautement masculin. Toutefois, selon les témoignages que je reçois, au niveau de la gestion des finances des ménages, ce sont majoritairement les femmes qui prennent les grandes décisions financières (auto, maison, épicerie, etc.). Environ 60 % des membres de ma communauté sont des femmes. J’ai l’impression que les Québécoises s’intéressent davantage à l’épargne.


– De nos jours, la plupart construisent leur identité autour du travail (je suis médecin, avocat, enseignant). Comment avez-vous réussi à vous construire une identité en dehors du travail ?


Perdre son étiquette est déstabilisant au début. J’étais directeur en marketing et c’est comme cela que je me présentais aux autres. De cette façon, on comprenait rapidement mon rang dans la société et ma valeur. À long terme, perdre mon étiquette a été très libérateur. Quand je rencontre quelqu’un, il n’y a aucun filtre qui nous sépare et je peux être qui je veux. Selon le contexte, je me définis comme un investisseur, un auteur ou un dessinateur.


– Comment s’est passée votre transition du monde du travail vers la retraite ?


Ça a été très facile. C’est agréable de pouvoir se lever le matin quand on veut ! Cependant, notre vie ne va pas soudainement aller mieux lorsqu’on part en retraite. Selon moi, la retraite amplifie ce que l’on est déjà. Si on n’a pas d’intérêts ou de passe-temps avant la retraite, il est peu probable qu’on soit plus actif.ve durant la retraite. Heureusement, j’avais le caractère et la discipline pour ne pas tomber dans l’inertie totale. Je me tiens occupé. Je gère mon blogue et je donne mon temps aux autres. Je travaille aussi sur une application financière. Une fois rendu à la retraite, on ferme une porte, mais neuf autres portes s’ouvrent. Ton horaire se remplit et tu t’engages dans mille et un projets sans engagement à long terme. J’aime concevoir mon mode de vie à celui des hommes de la Renaissance, ces gens curieux, qui touchent à plusieurs domaines différents en même temps.


– Y a-t-il quelque chose que vous n’aviez pas prévu lors de votre entrée à la retraite ?


Je ne m’attendais pas à voir autant d’opportunités se présenter. Avec le succès de mon blogue et de mon livre, on m’a proposé de devenir animateur de radio ou participant dans une émission de téléréalité (Jean-Sébastien a refusé l’offre, heureusement).


– Le citoyen moyen pourrait avoir tendance à étiqueter le FIRE comme étant égoïste ou parasitaire, car il promeut l’optimisation fiscale. En quoi le FIRE peut être positif pour les autres et la société en général ?


Je n’ai personnellement jamais rencontré quelqu’un qui n’est pas égoïste à un certain degré. Si on décide d’avoir des enfants ou de faire du bénévolat, c’est nécessairement parce qu’on en retire quelque chose, un sentiment d’accomplissement ou d’utilité. Je crois qu’on peut être égoïste sans l’être au détriment des autres. Depuis ma retraite, je me sens plus généreux que jamais, car avant, je me concentrais surtout sur mes objectifs de travail. Aujourd’hui, je m’occupe de ma belle-sœur autiste, j’aide mes lecteur.ices avec leurs finances et je fais du bénévolat. Je trouve cela plus gratifiant et concret que simplement payer des impôts. Si tout le monde avait une certaine indépendance financière, je crois qu’on serait tous plus égalitaires et plus heureux. La croissance économique ne serait pas la même, mais on travaillerait purement par passion selon nos besoins. Prioriser le bonheur intérieur brut serait la plus grande révolution de l’histoire de l’humanité.


– Voyez-vous le FIRE comme une révolte envers le monde du travail qui est parfois aliénant ? Est-ce qu’il milite pour un changement d’attitude envers le travail ?


C’est en partie une révolte envers le travail, mais surtout envers le système économique basé sur la consommation et visant à extraire le maximum d’argent de chaque citoyen.ne. La surconsommation bénéficie à tout le monde (gouvernement, entreprises, banques) sauf ceux qui surconsomment. Mon objectif a toujours été de me payer en premier en économisant, sans viser à devenir multimillionnaire. Une fois ma limite atteinte, je redonne aux autres. Je pense sérieusement donner mon argent dans le futur. J’en ai assez pour me loger, me vêtir, me nourrir et voyager occasionnellement. Le reste est superflu.


– Auriez-vous quelques mots à dire pour de jeunes lecteur.ices possiblement intéressé.es à joindre le mouvement ?


Économiser à tout prix ne devrait pas devenir une obsession. J’ai eu la chance de découvrir le FIRE beaucoup plus tard dans ma vie. J’aurais probablement fait moins de sorties ou de voyages si j’avais découvert le FIRE à l’âge de jeune adulte. L’objectif est de vivre pleinement à chaque étape de sa vie. Aujourd’hui, du côté des finances personnelles, la plupart des gens pensent beaucoup plus au présent plutôt qu’au futur. Rééquilibrer les choses à 50/50 me semble souhaitable.


J’invite aussi les jeunes à se définir eux-mêmes au-delà de leurs professions ou de leurs possessions. Développez vos intérêts et essayez des projets. Sans cela, votre entrée à la retraite précoce sera difficile. Le bonheur ne commence pas à la retraite.

bottom of page