La représentation de la violence de guerre, une nécessité?
Auteur·e·s
Alexandra Vas
Publié le :
14 décembre 2022
Nos médias regorgent de violence, que ce soit dans les films ou les journaux, et c’est une thématique qui prévaut même s’il y a une forte réticence sociétale. Donc, comment justifie-t-on son ubiquité et sa popularisation dans la cinématographie et la photographie ? Susan Sontag offre une piste de réflexion dans son essai « Regarding the Pain of Others ». Selon elle, cela s’explique par le fait que « [Traduction] la consommation encourage l’effet de choc et lui attribue une valeur importante » (1).
À quel moment le fait de documenter et d’instruire la population sur ce qui se produit dans le monde devient un concours de celui qui a l’article ou l’image la plus atroce?
Or, choquer le téléspectateur n’est pas toujours le seul motif de l’emploi de la violence, surtout en cinématographie. Dans la récente production Netflix À l’Ouest, rien de nouveau, un film de guerre allemand dans lequel la violence est un élément omniprésent, cette pensée est illustrée. La violence contribue à la morosité qui s’installe après le visionnement du film. L’audience réalise que l’héroïsme est inexistant dans le contexte de la Grande Guerre. Les soldats sont des pions dans un jeu d’échecs mondial et leur sacrifice est insignifiant si la finalité est la victoire.
Ce film est l'adaptation du roman d’Erich Maria Remarque, dont la préface mentionne que « ce livre n’est pas une accusation ni une profession de foi; il essaie seulement de dire ce qu’a été une génération brisée par la guerre –même quand elle a échappé à ses obus ». Cet aspect destructeur de la guerre est représenté par les soldats désespérés et impuissants qui doivent continuer à se battre même si leurs camarades meurent sous les balles et les bombardements ennemis. Pour y arriver, la seule option est de se déshumaniser.
Le protagoniste, un jeune allemand, entame son service militaire avec une perception idyllique de la guerre, étant prêt à tout sacrifier pour défendre son pays en bon patriote. Cependant, sa perception du conflit se transforme lorsqu’il se rend compte des réelles implications de son enrôlement. Ce changement de perspective se fait par le biais de scènes violentes. Cette violence illustre le tourment physique et psychologique des soldats qui ont été envoyés à leur mort. La violence de la guerre détruit l’humanité de l’individu, « [Traduction] [il] transforme toute personne qui y est soumise en une chose. » (2). La violence transforme les soldats en « choses », des pions.
Même dans un contexte de conflit mondial, peu d’individus considèrent que la violence est toujours injustifiée. Des zones grises existent, surtout lorsque le patriotisme est le motif d’actes réprimandables. Les civils qui prennent les armes et défendent leur pays contre l’invasion étrangère sont considérés comme des héros. La société va les idéaliser, l’humain n’est plus humain, il devient un martyr. La guerre l’a « turn into gold » comme Leonard Cohen le chante (A Bunch of Lonesome Heroes).
L’artiste montréalais illustre également cette pensée dans sa chanson The Partisan: « les Allemands étaient chez moi, ils me disent résigne-toi, mais je n’ai pas peur j’ai repris mon arme ». Ce n’est plus de la violence sans motif, il existe une finalité honorifique. On peut ainsi justifier l’atrocité de certains actes en vertu du contexte dans lequel ils ont été posés.
Une certaine dichotomie existe également quant au partage de médias violents par le biais de journaux et de photos.
D’abord, les journalistes et les photographes ont comme mandat de globaliser les atrocités qu’il⋅elle⋅s observent dans l’optique de sensibiliser la population. Comme l’explique Sontag, «[Traduction] cela peut inciter les gens à s’en soucier davantage » (3).
Toutefois, est-ce réellement ce qui se produit? Bombarder les médias d’articles et de photos grotesques n’a pas nécessairement l’effet souhaité.
La violence devient la norme et l’effet choquant n’est plus aussi puissant. Ainsi, c’est problématique, car pour réussir à créer le même effet qui existait avant que l’on se désensibilise, la solution immédiate est de trouver quelque chose de plus choquant. Or, existe-t-il un plafond? À quel moment le fait de documenter et d’instruire la population sur ce qui se produit dans le monde devient un concours de celui qui a l’article ou l’image la plus atroce?
La perspective de Susan Sontag quant à la désensibilisation est intéressante, surtout dans le contexte de la guerre et de conflits mondiaux. Elle mentionne qu’il existe une corrélation entre notre réceptivité aux horreurs qui se produisent et notre sentiment d’impuissance (4). Ainsi, si on considère qu’un conflit ne peut être arrêté, on n’est plus aussi réceptifs à ce qui se produit.
Bref, cette dualité quant à la violence est fort présente, que ce soit dans le contexte dans lequel les actes agressifs ont été posés ou dans celui de leur diffusion par les médias. C’est un élément qui est employé dans divers domaines pour choquer et peut créer un dilemme éthique quant à la justification d’actes répréhensibles.
Sources citées :
Susan Sontag, Regarding the Pain of Others, Londre, Picador, 2004, p.23
Id., p. 12
Id., p. 79
Id., p. 101