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La reconnaissance d'un droit à un environnement sain

Auteur·e·s

Hugo Lefebvre

Publié le :

13 septembre 2021

L’équipe du Pigeon Dissident sait que l’environnement est une des priorités phares des étudiant·e·s de la Faculté, et ce, surtout avec le récent rapport alarmant du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et le vote sur la levée de cours du 24 septembre qui approche. C’est pourquoi nous avons décidé de rassembler quelques-unes de promesses électorales les plus intéressantes en matière de droit de l’environnement, tous partis confondus, et d’interroger des professeur·e·s de la Faculté sur les enjeux sous-jacents à ces promesses. Voici le premier article d’une série de trois.

« On a une constitution qui renferme plutôt des droits classiques. Le droit à un environnement sain est un type de droit plus nouveau. »

Selon sa plateforme électorale, le Parti libéral souhaite reconnaître un droit à un environnement sain pour la première fois dans le droit fédéral, tandis que les néodémocrates promettent d’ « enchâsser le droit à un environnement sain dans une Charte canadienne des droits environnementaux, afin que toutes les communautés puissent bénéficier d'une garantie à de l'eau, de la terre et de l'air purs». (1)(2) La reconnaissance de ce genre de droit a une longue histoire au Canada comme à l’international. Le Québec a intégré ce droit dans sa Charte des droits et libertés en 2006 en y ajoutant l’article 46.1, tandis que ce droit est reconnu par sa Loi sur la qualité de l’environnement depuis 43 ans. À l’international, plus de 100 États ont reconnu ce droit de manière constitutionnelle et 156 l’ont intégré à leur droit (3). D’ailleurs, en 2018, le Rapporteur spécial sur les droits de l’homme et l’environnement sortant et son successeur ont publié un rapport concluant à la nécessité de la reconnaissance de ce droit par l’ONU, conclusion réitérée conjointement par quinze entités de l’ONU en avril 2021. (4)(5) Le Canada, un pays qui a dans son ADN l’exploitation de ses ressources naturelles, paraît donc traîner derrière la communauté internationale.


Ailleurs dans le monde, le droit à un environnement sain est au centre de la prise en compte du réchauffement climatique dans les droits de la personne, fusionnant les aspects environnementaux des droits civils, culturels, économiques, politiques et sociaux. Ce droit permet de protéger les espaces de discussion citoyenne à propos des politiques environnementales et d’empêcher que ces politiques ne soient trop dictées par la logique commerciale plutôt que par celles des plus vulnérables, notamment les populations autochtones. (6) D’ailleurs, les rapports entre les droits à la vie et à la sécurité de la personne et la protection environnementale ont été reconnus par la Cour européenne des droits de l’homme ainsi que par les institutions du système interaméricain de protection des droits fondamentaux de la personne. (7)


Les discussions autour de ce droit sont nouvelles. Vu l’absence, au 19e siècle, d’une urgence climatique et écologique telle qu’on en connait aujourd’hui, nulle mention n’est faite de l’environnement dans la Loi constitutionnelle de 1867. Ce n’est que dans les années 1970 que l’on vit les premières références à la protection de l’environnement dans les constitutions, par exemple en Suisse en 1971. (8.1) Au Canada, les premières propositions de reconnaissance d’un droit constitutionnel à un environnement sain datent du début des élans de réforme constitutionnelle de Pierre Elliott Trudeau. Ce dernier s’est toujours montré proche des considérations environnementales. Dans ses premiers discours du trône, Trudeau affirmait la menace de l’épuisement des ressources et de la pollution aux générations futures. C’est d’ailleurs lui qui supervisa l’instauration d’Environnement Canada en 1971 et une série de lois et politiques environnementales fixant les balises de nouvelles compétences fédérales en environnement. (8.2) Or, malgré le combat de nombr·eux·ses activistes en ce sens, le droit à un environnement sain ne fut pas inclus dans la Loi constitutionnelle de 1982. En entrevue avec le Pigeon Dissident, Me Hélène Trudeau, professeure agrégée de droit de l’environnement et vice-doyenne à la Faculté de droit de l’Université de Montréal, explique : « On a une constitution qui renferme plutôt des droits classiques. Le droit à un environnement sain est un type de droit plus nouveau. Au moment où ça a été signé, nous n’avions pas jugé pertinent d’inclure les droits qu’on appelle de deuxième ou de troisième génération. » Or, elle précise : « Le droit à un environnement sain et respectueux de la biodiversité relève plutôt des droits de deuxième génération, comme les droits économiques, sociaux et culturels. »


Le combat de nombreu·x·ses avocat·e·s spécialisé·e·s en droit de l’environnement et d’autres activistes au cours des années 70 n’a donc pas entrainé l’intégration de ce droit à la Loi constitutionnelle de 1982. En politique, quelques néodémocrates étaient alors au front de la lutte pour l’inclusion de ce droit dans les nouvelles dispositions constitutionnelles. Ainsi, le député néodémocrate Svend Robinson tenta d’inclure un amendement au projet de Loi constitutionnelle de 1980 visant l’application du « Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et les objectifs d’un environnement propre et sain et de conditions de travail sécuritaires et salubres ». Or, Jean Chrétien, alors ministre de la Justice, lui répondit avec son humour habituel : « Pourquoi pas un amendement pour inscrire la tarte aux pommes et la recette de ma tante Berthe! » (8.3)


Depuis, divers acteur·rice·s des milieux politiques et juridiques ont continué à se battre pour la constitutionnalisation d’un tel droit. On peut mentionner l’Association Canadienne du Barreau qui, dès 1990, affirmait que « le gouvernement du Canada doit adopter une stratégie à long terme visant à inscrire le droit à un environnement sain dans la Constitution canadienne». (8.4) Or, de nombreuses barrières se posent sur le chemin vers la constitutionnalisation de ce droit. Comme l’explique Me Trudeau : « En France, une charte constitutionnelle de l’environnement a été adossée à la constitution française. [...] Ici, ça se bute à la difficulté de modifier la Constitution du Canada. [...] Notre constitution repose sur des fondements britanniques mais chaque pays a son régime et c’est différent d’un pays à l’autre.»


Aujourd’hui, la promesse du Parti libéral n’est pas qu’un travail à faire. Le 13 avril 2021, Jonathan Wilkinson, ministre fédéral de l’Environnement et du changement climatique, a déposé le projet de loi C-28 modifiant notamment la Loi canadienne sur la protection de l'environnement. Cette loi, qui n’a pas été modifiée depuis 1999, est considérée comme mal équipée pour répondre aux dangers environnementaux contemporains. (9) « La LCPE regroupe beaucoup de domaines d’application différents », explique Me Trudeau. On a mis ensemble plusieurs lois qui existaient et on les a développées pour former la LCPE. Mais [les connaissances] n’étaient pas aussi développées qu’aujourd’hui.»


Dans le projet de loi C-28, on souhaite inclure la reconnaissance, dans la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, d’un « droit de tout particulier au Canada à un environnement sain, [...]lequel droit peut être soupesé avec des facteurs pertinents, notamment sociaux, économiques, scientifiques et  relatifs à la santé ». (10.1) Plus généralement, signe du manque de consensus sur la définition de ce droit, le projet de loi prévoit que le gouvernement doit préparer un cadre de mise en œuvre d’un droit à un environnement sain et un principe de non-régression pour que les lois existantes ne soient pas affaiblies. La notion de justice environnementale, et notamment la protection de populations vulnérables, est également au centre du projet de loi. De plus, pour la première fois, le gouvernement s’attaquera aux effets cumulatifs de plusieurs types de polluants. (10.2)


La promesse des libéraux est ainsi de concrétiser ce projet de loi en l’adoptant. S’exprimant sur l’intégration du droit à un environnement sain au droit canadien, Me Trudeau explique : « Le droit à un environnement sain, ça a une valeur symbolique qui peut être importante, mais ces droits fondamentaux sont d’intérêt plus important lorsque des recours sont assortis [...]. C’est le contenu même du droit à l’environnement. C’est plus un droit procédural. »  Allant plus loin, et s’inscrivant dans une longue lignée d’activistes, les néodémocrates veulent constitutionnaliser ce droit. (2.2) Le parti de Jagmeet Singh place également la réconciliation au cœur de son plan climatique, s’engageant à créer un Office de la justice environnementale et à s’assurer que les investissements en environnement protègent l’environnement, réduisent les inégalités et contribuent au processus de réconciliation avec les peuples autochtones. (2.3)

Sources citées:



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