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La Loi sur les Indiens et le traitement différencié basé sur le genre

Auteur·e·s

Marie Li Lauder, Porteuse des communications, Comité Droit autochtone de la Faculté de droit de l’Université de Montréal

Publié le :

29 novembre 2024

La Loi sur les Indiens, en plus d’être le reflet du racisme institutionnel au Canada, a longtemps contenu des dispositions sexistes quant aux critères concernant l’octroi ou le retrait du statut d’Indienne des femmes autochtones concernées par cette loi.

En plus de les déposséder de leurs droits, cela les a aussi dépossédées de « leur voix politique, de leur culture, de leur langue, de leurs liens familiaux et communautaires et de la reconnaissance qui leur est due ».

La Loi sur les Indiens de 1876

En vertu des dispositions initiales de la Loi sur les Indiens de 1876, les personnes qui pouvaient avoir le statut d’Indien étaient les hommes de « sang indien » réputés appartenir à une bande particulière, leurs femmes ainsi que leurs enfants (1). Les femmes perdaient leur statut si elles mariaient un homme qui n’avait pas le statut d’Indien, tandis que le contraire ne s’appliquait pas (2). De plus, les femmes dont le nouveau mari appartenait à une autre bande cessaient de faire partie de la leur et devaient rejoindre celle de leur mari (3).


Les réformes au fil des ans

Ce n’est que plusieurs décennies après l’adoption de la Loi sur les Indiens en 1876 que certaines modifications ont été apportées aux dispositions de la loi en ce qui concerne le statut d’Indienne. Par exemple, une modification faite en 1951 a introduit la règle « mère-grand-mère ». Par ce changement, les personnes dont la mère ainsi que la grand-mère avaient acquis leur statut par mariage se sont vues retirer leur propre statut (4). Il est ici question de trois réformes de la loi, soit celles de 1985, de 2011 ainsi que de 2017 (5). Celles-ci ont d’ailleurs toutes été entamées après des décisions rendues par les tribunaux.


La première réforme apparaît suite à l’affaire Lovelace c. Ontario (6). Sandra Lovelace Nicholas avait perdu son statut d’Indienne après avoir épousé un non-Indien. À la suite de son divorce, elle souhaitait retourner sur la réserve. Cependant, étant donné qu’elle avait perdu son statut, cela était impossible (7). Bien qu’elle ait gagné sa bataille quelques années plus tard face au conseil de bande de sa nation, Mme Lovelace a tout de même décidé de porter sa cause devant le Comité des droits de l’homme des Nations Unies en 1981 (8). Le Comité lui a donné raison en affirmant que certaines dispositions de la loi contrevenaient au droit à la vie culturelle garanti dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (9). Même si ce jugement n’avait pas de force contraignante en droit interne canadien, ce litige a fortement encouragé le gouvernement à passer en revue les dispositions invoquées par la demanderesse, ces dernières ayant été modifiées par le projet de loi C-31. Grâce à la loi modificatrice, les femmes ne rejoignent plus automatiquement la bande de leur mari à leur mariage (10) et celles qui avaient perdu leur statut entre 1876 et 1985 ont également la possibilité d’être réintégrées au Registre des Indiens (11). Même si le gouvernement a affirmé que cette réforme abrogerait toutes les dispositions sexistes de la Loi sur les Indiens, il s’est avéré que la réforme était loin d’être parfaite. Par exemple, les petits-enfants des femmes qui ont retrouvé leur statut ne pouvaient pas l’obtenir à leur tour (12).


La Loi sur l’équité entre les sexes relativement à l’inscription au registre des Indiens, a été adoptée en 2011 à la suite de la décision rendue dans l’affaire McIvor c. Canada (13). Mme Sharon McIvor faisait partie de ces femmes qui avaient retrouvé leur statut d’Indienne grâce à la réforme de la Loi sur les Indiens de 1985 (14). Cependant, elle ne pouvait le transmettre à sa descendance, raison pour laquelle elle a décidé de s’adresser aux tribunaux (15). Après que Mme McIvor eut gain de cause à la Cour suprême de Colombie-Britannique, le gouvernement fédéral a décidé de faire appel de cette décision. La Cour d’appel de Colombie-Britannique lui a donné un an pour lui permettre de modifier la Loi sur les Indiens (16). Par ces modifications, les petits-enfants des femmes qui avaient perdu leur statut au moment de leur mariage avec un non-Indien avant 1985 ont pu demander à être inscrits au Registre des Indiens (17).


C’est en décembre 2017 que la Loi modifiant la Loi sur les Indiens pour donner suite à la décision de la Cour supérieure du Québec dans l'affaire Descheneaux c. Canada (Procureur général) est entrée en vigueur (18). Dans sa décision, la Cour supérieure du Québec a déclaré que les alinéas 6(1)a), c) et f) et le paragraphe 6(2) de la Loi sur les Indiens perpétuaient une inéquité entre les hommes et les femmes ayant le statut d’Indien ainsi que la transmission de celui-ci à leur descendance (19). La cour a jugé que ces alinéas contrevenaient à l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. Selon cet article, la loi « ne fait acception de personne et s’applique également à tous » (20), et ce, indépendamment du genre. La loi modificatrice prévoyait entre autres que le statut dont il est question au paragraphe 6(1) serait accordé aux descendants nés avant 1985 de femmes dont leur statut leur avait été retiré selon les anciennes dispositions (21).


Les conséquences de la perte du statut d’Indienne

Nombreuses ont été les conséquences pour les femmes autochtones que d’être déracinées de leur bande d’origine une fois qu’elles mariaient un « non-Indien » ou un homme appartenant à une autre bande. Même si ces pratiques ne sont plus prévues par la loi, cela ne signifie pas pour autant que les conséquences de ces dernières ne se font plus ressentir chez les générations actuelles.


Selon le Groupe de travail sur la discrimination fondée sur le sexe dans la Loi sur les Indiens, les dispositions sexistes ont, au fil du temps, contribué à l’assimilation des peuples autochtones au Canada, étant donné que les liens entretenus par les femmes avec leur communauté ont été coupés (22). En plus de les déposséder de leurs droits, cela les a aussi dépossédées de « leur voix politique, de leur culture, de leur langue, de leurs liens familiaux et communautaires et de la reconnaissance qui leur est due » (23).


Le Centre de collaboration nationale de la santé autochtone allègue que la perte du statut d’Indienne a eu et a encore un impact sur le bien-être général des femmes, celui-ci étant affecté par la perte de repères culturels (24). Le Centre affirme que « [l]’identité culturelle favorise la santé parce qu’elle représente un ancrage qui aide les femmes à gérer les nombreux facteurs qui façonnent leur santé et leur bien-être » (25).


De ce fait, la perte de statut a non seulement eu des conséquences sur les droits de ces femmes et sur leur communauté, mais aussi sur leur santé, influencée entre autres par les repères culturels qu’elles ont perdus.


Bref, bien que les dispositions de la Loi sur les Indiens concernant les femmes et leur statut d’Indienne aient changé avec le temps, elles ont longtemps été discriminatoires. Ces femmes subissaient donc une discrimination intersectionnelle. En plus de subir du racisme parce qu’elles étaient autochtones, elles étaient victimes de sexisme. Il ne faut pas non plus oublier que les conséquences qu’ont eues les dispositions sexistes sur les communautés autochtones, l’identité et la santé des femmes autochtones sont encore d’actualité. Par exemple, des études montrent que les femmes sont à peu près deux fois plus susceptibles que les hommes de vivre une dépression (26).


Merci à Sarah-Maude Duval, porteuse des traditions juridiques autochtones du Comité Droit autochtone, pour la révision et les informations supplémentaires.

  1. The Canadian Encyclopedia, « Les femmes et la Loi sur les Indiens », 2020, consulté le 8 novembre 2024, en ligne <https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/women-and-the-indian-act>.

  2. Id.

  3. Id.

  4. Id.

  5. Id.

  6. Heather CONN, « Sandra Lovelace Nicholas », The Canadian Encyclopedia, 2018, consulté le 9 novembre 2024, en ligne <https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/sandra-lovelace-nicholas>.

  7. Id.

  8. Id.

  9. Alliance féministe pour l’action internationale, « Statut égal pour les femmes dans la Loi sur les Indiens : la Loi sur les Indiens et le projet de loi S-3 », consulté le 8 novembre 2024, en ligne <https://fafia-afai.org/wp-content/uploads/2017/10/Statut-e%CC%81gal_Loi-sur-les-Indiens.pdf>

  10. Préc., note 2.

  11. Gouvernement du Canada, « Renseignements généraux sur l'inscription des Indiens », consulté le 9 novembre 2024, en ligne <https://www.rcaanc-cirnac.gc.ca/fra/1540405608208/1568898474141>

  12. Préc., note 7.

  13. Heather CONN, « Affaire McIvor », The Canadian Encyclopedia, 2020, consulté le 9 novembre 2024, en ligne <https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/mcivor-case>.

  14. Id.

  15. Id.

  16. Id.

  17. Préc., note 10.

  18. Loi modifiant la Loi sur les Indiens pour donner suite à la décision de la Cour supérieure du Québec dans l’affaire Descheneaux c. Canada (Procureur général), L.C. 2017, c. 25, entrée en vigueur le 22 décembre 2017 (décret), TR/2018-2 (Gaz. Can. II).

  19. Id., par. 245.

  20. Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c. 11 (R.-U)], art. 15.

  21. Préc., note 19, p. 74.

  22. Groupe de travail sur la discrimination fondée sur le sexe dans la Loi sur les Indiens, « Note d’information sur la modification proposée à la Loi sur les Indiens par Services aux Autochtones Canada », 2022, consulté le 9 novembre 2024, en ligne <https://faq-qnw.org/wp-content/uploads/2023/03/ISC_BriefingNote_November7_fr.pdf>.

  23. Id., p. 2.

  24. Centre de collaboration nationale de la santé autochtone, « Les femmes autochtones au Canada. Genre, déterminants socioéconomiques de la santé et initiatives visant à réduire l’écart en matière de bien-être », 2013, consulté le 9 novembre 2024, en ligne <https://www.ccnsa.ca/docs/determinants/RPT-AboriginalWomenCanada-Halseth-FR.pdf>.

  25. Id., p. 7.

  26. Id., p. 13.

  27. Image: Radio-Canada, « Le point de rupture de la Loi sur les Indiens », 2023, consulté le 17 novembre 2024, en ligne <https://ici.radio-canada.ca/espaces-autochtones/1950802/loi-indiens-modifications>.

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