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La LIPR, Miller et nous : vers une Charte canadienne de l'immigration ?

Auteur·e·s

Eugenie Godin, , VP Journal du Comité Droit de l’Immigration et des Réfugiés (CDIR)

Publié le :

29 octobre 2024

Tel que mentionné à l’article 95 de la Loi constitutionnelle de 1867, l’immigration est la seule compétence législative, avec l’agriculture, appartenant à la fois au palier de gouvernement provincial et celui fédéral. Ainsi, cet article sera davantage axé sur le volet fédéral de la question, en abordant les réformes potentielles de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR), une loi fédérale.

Il est primordial de préserver la confiance du public en l’IRCC en rendant le processus plus accessible et transparent grâce à des procédures « plus formalisées »

Dans un rapport publié en mai dernier, intitulé « Mettons de l’ordre dans notre loi », l’Association Canadienne des Avocats en Immigration (ACAI) propose des modifications que le gouvernement fédéral en place devrait, selon elle, adopter le plus rapidement et complètement afin d’actualiser la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) (1). Divisé en trois sections, le rapport contient des recommandations d’abrogations, d’amendements et d’ajouts à la LIPR. Entre autres choses, ce rapport propose un ajout loin d’être dépourvu de sens : et si le Canada se dotait d’une Charte des droits des immigrants ?


En outre des recommandations telles que l’abrogation de l’article 38(1) de la LIPR (2), qui édicte qu’il peut y avoir refus d’entrée sur le territoire pour motifs sanitaires ou parce que l’état de santé de la personne étrangère serait un fardeau trop important sur le système de santé et services sociaux – article que le gouvernement canadien avait d’ailleurs déjà promis d’abroger en 2018 parce que les économies en santé qui en découlent sont au mieux minimes, et au pire un prétexte pour « [perpétuer] la discrimination » (3) – le rapport propose de créer une charte spécifiquement pour les droits des immigrant.e.s qui serait appliquée à un nouveau Bureau de l'ombudsman pour les personnes souhaitant passer par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) ou par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) (4).


Se basant sur des initiatives qui ont un contenu et une structure similaires, telles que la Déclaration des droits des anciens combattants permettant aux vétéran.te.s de porter plainte au Bureau de l’ombud des vétérans et celui des Forces armées canadiennes (5), ou encore la Charte des droits du contribuable qui régit les droits des contribuables faisant affaire avec Agence Revenus Canada (ARC) (6), ce qui est proposé par l’ACAI est d’autant plus fondamental. En effet, comme mentionné à maintes reprises au sein du rapport, l’IRCC et l’ASFC sont les deux seules entités pouvant appliquer les lois portant sur l’immigration au niveau fédéral et sont, par nature, à la fois au service des Canadien.ne.s par leur rôle de service au public, et au service des personnes étrangères, réfugiées et résidentes permanentes (7). Étant un processus coûteux, où les délais pullulent et les détours administratifs sont parfois exorbitants, l’ACAI juge primordial de protéger les droits de celleux faisant affaire avec ces deux organismes. Essentiellement, ce sont une série de droits consacrés par écrit à la LIPR, ainsi que le rétablissement de certaines mesures judiciaires.


Pour commencer, il y a la question de la paperasse. Le seul moyen de communication officiel de l’IRCC étant des formulaires électroniques, et considérant les demandes de plus en plus nombreuses en mandamus à la Cour fédérale, ou encore les multiples demandes au sein du même système — le service étant donc lent et difficile d’accès en ce moment — il est important de préserver la confiance du public en l’IRCC. Le rapport est non-équivoque sur ce point: cela ne peut se faire qu’en rendant le processus plus accessible ainsi que transparent, avec des procédures « plus formalisées » (8), notamment pour mieux allouer les ressources. Puis, par sa fonction, l’ASFC doit nécessairement faire affaire avec les questions d’immigration à la frontière. L’organisme est donc impliqué dans ce projet de réforme, et ce, malgré un processus formel et juridique distinct pour les demandes, plaintes et tout ce qui se trouve entre les deux. Il serait donc question d’arrimer les deux systèmes, soit celui de l’IRCC et de l’ASFC, pour assurer un fonctionnement complémentaire et harmonieux.


Enfin, pour compléter le volet strictement judiciaire, il est soulevé qu’en adoptant certains changements, les possibilités d’appel pour les ressortissants étrangers pourraient être bonifiées, contrairement au système d’appel présentement restreint par la Loi accélérant le renvoi de criminels étrangers.


En effet, quant au système d’appel, le rapport se base sur l’ancien article 64(2) de la LIPR qui a été amendé en 2013 avec la Loi. C’est parce que l’amendement a pour conséquence un sévère élargissement de ce qui peut être considéré comme de la « criminalité », donc a pour effet de réduire les possibilités d’appels et les ressortissants étrangers pouvant s’en prévaloir (11). Cette recommandation est fondée sur deux considérations. La première, le fait que le fardeau de preuve prévu à l’article 33 de la LIPR, pour les faits concernant l’interdiction de territoire, est moins fort que la prépondérance des probabilités, ne requérant que « [des] motifs raisonnables de croire » (12). La seconde, que les délais d’emprisonnement réduits dans la considération élargie de ce qui constitue la « criminalité » à l’article 36 de la LIPR sont trop restrictifs (13). Ce délai, qui était fixé à deux ans et plus avant l’amendement, est aujourd’hui réduit à moins de six mois. Cette mesure empêche des appels de ressortissants étrangers pour l’interdiction de territoire sur motifs humanitaires, même si ces derniers sont condamnés à purger leur peine dans des établissements provinciaux vu la courte durée de cette dernière. L’ACAI propose de rétablir l’article 64(2) au texte pré-amendement pour se départir de ces deux embûches qu’elle juge comme des dispositions « fondamentalement injustes » vu leur sévérité.


À présent, il reste à voir si Marc Miller et le reste du gouvernement Trudeau décideront d’agir dans le sens de ce rapport, ou si les législateurs à Ottawa continueront à faire abstraction du rapport dans son entièreté.


Vous pouvez consulter le document référencé dans son intégralité sur le site web officiel de l’ACAI.


chrome-extension://efaidnbmnnnibpcajpcglclefindmkaj/https://cila.co/wp-content/uploads/2024/05/ACAI-LIPR-Rapport.pdf

1. Comité sur la réforme législative de l’Association Canadienne des Avocats en Immigration (ACAI), Mettons de l’ordre dans notre loi. Rapport sur la réforme législative de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, Calgary, Publications de l’ACAI, 2024, en ligne: <https://cila.co/wp-content/uploads/2024/05/ACAI-LIPR-Rapport.pdf >.

2. Id., p.5.

3. Id., p.9.

4. Id., p.33.

5. Id., p.34.

6. Id., p.33.

7. Id., p.34.

8. Id. 

9. L’art. 10 de la Charte canadienne des droits et libertés ne fait pas de distinction quant au lieu de la détention ou le statut de la personne pouvant bénéficier de ce droit.

10. Comité sur la réforme législative de l’Association Canadienne des Avocats en Immigration (ACAI), préc., note 1, p.35.

11. Id., p.32.

12. Id., p.32.

13. Id., p.32.

14. Id.

15. Id., p.33.

16. Image: https://ca.pinterest.com/pin/975099756804018741/

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