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La fierté nationale et les CPE

Auteur·e·s

Gabrielle Simoneau

Publié le :

12 novembre 2021

Subtil rite de passage vers l’âge adulte, de plus en plus de mes ami·e·s décident de faire le grand saut et de devenir parents. Et si, comme moi, certain.e.s de vos ami.e.s ayant fait le grand saut se trouvent à l’étranger, vous aurez probablement pu constater que, contrairement au Québec, il faut des talents de Fanny Blankers-Koen pour combler le ravin entre simple vie conjugale et vie familiale. Les grandes coupables : l’absence de congés de maternité de longueur raisonnable, mais surtout l’absence d’un système de garderie robuste.

C’est vrai : les grands titres des dernières années (décennies...) tendent à nous le faire oublier, à coup de listes interminables, de salaires de misère et, plus récemment, d’éclosions et de couverture vaccinale, mais le Québec est l’un des endroits les plus favorables à la réussite d’un projet parental, en grande partie grâce à son programme de CPE subventionnés.

C’est vrai : les grands titres des dernières années (décennies...) tendent à nous le faire oublier, à coup de listes interminables, de salaires de misère et, plus récemment, d’éclosions et de couverture vaccinale, mais le Québec est l’un des endroits les plus favorables à la réussite d’un projet parental, en grande partie grâce à son programme de CPE subventionnés. Ici, le dilemme entre les prix exorbitants d’un service de garde et la viabilité financière de garder la nouvelle maman à la maison est virtuellement inexistant ‒ avec les femmes suisses, les Québécoises ont le plus haut taux de participation sur le marché du travail au monde (1) (et ce sans que 32 % du revenu de la famille moyenne ne soit grugé par la garde d’enfant, contrairement à la Suisse) (2).


Ces gains sont le fruit d’une longue lutte pour la reconnaissance des femmes, au Canada, mais aussi à l’international.


Première à se pencher sur la situation des femmes canadiennes, la Commission royale d’enquête sur la situation des femmes au Canada, créée en 1967 et présidée par la journaliste torontoise Florence Bird, avait pour mission de « faire des recommandations pour assurer l’égalité entre les hommes et les femmes dans toutes les sphères de la société » (3). Chose inusitée pour l’époque, la Commission rencontra les femmes canadiennes dans des audiences télévisées tenues dans les endroits fréquentés par celles-ci, des centres commerciaux aux YWCA. Après trois ans de travail, les membres de la Commission, qui refusaient toute étiquette féministe, concluèrent que le travail des femmes canadiennes est moins reconnu et moins bien payé que celui des hommes, engendrant du même coup des problèmes de pauvreté systémique. Pour y remédier, la Commission déposa 167 recommandations, dont, vous l’aurez deviné… le financement d’un réseau national de garderies.


Malgré les conclusions claires et étendues de la Commission Bird, la première politique en matière de services de garde ne sera établie qu’en 1974, lorsque la ministre Bacon mis en place son programme éponyme qui remplaçait les subventions salariales pour les gardiennes, en vigueur depuis deux ans, par une aide financière pour les parents les plus démunis. Déjà controversée à l’époque, cette réforme est aujourd’hui accusée d’avoir contribué à la fermeture de plusieurs établissements et d'avoir coupé les ailes à un réseau de garderies subventionnées déjà embryonnaire (4).


Si l'élection du Parti Québécois en 1976 permit de renverser le plan Bacon en offrant pour la première fois des subventions directes aux garderies, il faudra attendre 1997 pour qu’une politique familiale révolutionnaire voit le jour. Le nom Pauline Marois, pour beaucoup d’entre nous, fait tout d’abord penser à la première femme ayant occupé le poste de première ministre du Québec, dans une des seules intervalles non-libérales ayant existé de notre vivant. Mais 15 ans plus tôt, Mme Marois était aussi la porte étendard d’une politique familiale étendue, allant de la maternelle obligatoire pour tous les enfants de 5 ans aux congés de maternité payés, en passant par, vous l’aurez deviné, l’implantation d’un système de garderie au coût fixe de 5$ pour tous les jeunes d’âge préscolaire avant trois ans (5). L’objectif de cette réforme tentaculaire, selon Mme Marois, était de « nous assurer que le million et demi d’enfants du Québec vivront dans une société plus juste » (6). Cette société plus juste, on y est arrivé en mettant les femmes au cœur d’un projet de société.


Parallèlement aux remous québécois des dernières décennies, les femmes de partout dans le monde ont aussi protesté pour une société plus égalitaire. Notamment, en 1975, les Islandaises ont « célébré » l’année de la Femme en faisant la grève ‒ la grève du travail rémunéré, mais surtout la grève de toutes les autres tâches, celles qui permettaient aux hommes d’être 60 % mieux rémunérés en moyenne. Pendant 24 heures, 90 % des femmes insulaires ont laissé la cuisine, le ménage et surtout la garde d’enfants aux hommes (7). La fermeture des commerces, les cris des enfants des présentateurs de nouvelles en arrière-fond et la manifestation de 25 000 femmes (sur une population de seulement 220 000 personnes à l’époque) ont mené à l’élection de la première cheffe d’État au monde (Vigdís Finnbogadóttir) et à la première place du pays dans l’Indice mondial de l’écart entre les sexes (8) pour la dixième année consécutive.


Malgré tout, la proportion de travail non-rémunéré fait par les femmes est restée disproportionnée partout dans le monde. En Inde, les femmes passent en moyenne cinq heures par jour à s’occuper de tâches ménagères, contre un fatiguant 13 minutes pour les hommes (9). Et ce n’est pas nécessairement parce que les hommes passent plus de temps sur des tâches rémunérées ‒ aux États-Unis, les hommes profitent en moyenne d’une heure supplémentaire par jour pour s’adonner à leurs activités favorites (10); les hommes britanniques, eux, bénéficient d’un maigre cinq heures de plus par semaine. Nous ne sommes pas épargnés magiquement au nord du 49e parallèle: en incluant l’ensemble des tâches non rémunérées et rémunérées, les femmes canadiennes travaillent 1 à 2 heures de plus par jour que leurs maris, frères et amis (11), avec les conséquences négatives sur leur santé et sur notre PIB qui s’ensuivent.


Néanmoins, un demi-siècle après le rapport Bird, et un quart depuis la création des CPE, il n’existe toujours pas, au Canada, un réseau de garderies subventionnées d’un océan à l’autre. Signe que l’histoire se répète ou que nous sommes toujours collectivement bloqués en 1974, les propositions du Parti conservateur en termes de service de garde sont basées sur la même logique caduque que le plan Bacon, soit de l’aide financière directement aux parents les plus démunis ‒ une stratégie qui fut coûteuse au Québec.


La stratégie de Madame Marois, elle, en plus d’être visionnaire, a quantitativement cultivé l’accès au marché du travail pour les nouvelles mamans à un tel point que, selon l’économiste Pierre Fortin, le pourcentage des femmes avec des enfants de zéro à cinq ans ayant intégré le marché du travail a augmenté de 16% entre 1997 et 2016, contre une augmentation de 4 % ailleurs au Canada ‒ une statistique zieutée avec envie par plusieurs provinces canadiennes (12). Bientôt, avec l’élection d’un gouvernement libéral minoritaire, ce sont toutes les femmes canadiennes, cinquante ans après s’être confiées dans des centres d’achat à une journaliste sans dénomination féministe, qui pourront bénéficier de garderies subventionnées calquées sur celles du Québec. Un Québec, qui, des décennies avant le reste du pays, s’est démarqué par un engagement profond envers l’égalité. Au-delà des anicroches du système (qui, ne l’oublions pas, affectent majoritairement les éducatrices), on a de quoi être fier⋅e⋅s.

Sources citées:

  1. Pierre FORTIN, « Quebec’s childcare Program at 20 », 3 décembre 2019, Inroads, [pdf] https://wnywomensfoundation.org/app/uploads/2019/07/Quebec%E2%80%99s-Childcare-Program-at-20-%E2%80%93-Inroads.pdf

  2. OECD, « Net childcare costs », 2019, OECD, [en ligne], consulté le 22 septembre 2021,  https://data.oecd.org/benwage/net-childcare-costs.htm

  3. Aujourd’hui l’histoire, « La commission Bird racontée par Camille Robert », 23 janvier 2019, Radio-Canada Ohdio, https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/aujourd-hui-l-histoire/segments/entrevue/103027/commission-bird-femmes-camille-robert

  4. https://www.sttcpee.ca/fr/historique.htm

  5. Archives de Radio-Canada, « Le Québec avant les CPE », 12 juillet 2021, Radio-Canada, [en ligne], consulté le 22 septembre 2021,  https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1482103/garderie-centre-petite-enfance-politique-familiale-loi-tarif-quebec-archives.

  6. Ibid.

  7. Caroline CRIADO-PEREZ, Invisible women, 2019, Abrams, New York, p. 69.

  8. « Global Gender Gap Report 2021 », 2021, Forum économique mondial, [En ligne], consulté le 22 septembre 2021, http://www3.weforum.org/docs/WEF_GGGR_2021.pdf.

  9. Invisible women, p. 71

  10. Ibid.

  11. Amanda BURLOCK et Melissa MMOYSER, « Time use: Total work burden, unpaid work, and leisure » 30 juin 2018, Statistique Canada, [en ligne], https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/89-503-x/2015001/article/54931-eng.htm.

  12. Pierre Fortin.

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