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La déesse des mouches à feu

Auteur·e·s

Noémi Brind’Amour-Knackstedt

Publié le :

1 octobre 2020

En février dernier, la réalisatrice Anaïs Barbeau-Lavalette présentait en grande primeur mondiale son troisième long métrage de fiction au 70e Festival de Berlin devant une salle pleine à craquer. Il aura fallu sept mois, deux saisons et une pandémie afin que La déesse des mouches à feu atterrisse enfin en sol québécois et remporte, par la même occasion, le Grand Prix du Festival de cinéma de la Ville de Québec (FCVQ). Que l’on soit un.e cinéphile du second millénaire ou une âme nostalgique de l’époque grunge, l’adaptation par la scénariste Catherine Léger du roman éponyme de Geneviève Pettersen résonne intensément et sans artifice. Sous nos yeux se dévoile le Chicoutimi des années 90 marquées par le suicide de Kurt Cobain et par la Mia Wallace de Pulp Fiction. On y suit la chute de Catherine, interprétée par Kelly Depeault, une adolescente de 16 ans, coincée entre le divorce houleux de ses parents et son ascension en tant que déesse des mouches à feu dans l’échelon social.


Même le jour de son anniversaire, Catherine est témoin des inlassables altercations violentes entre sa mère (Caroline Néron) et son père (Norman D’Amour). Animée d’un désir de s’échapper du carcan familial empreint de douleur et de solitude, l’adolescente inspirée par la biographie Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée… trouve refuge et réconfort en sa nouvelle bande d’amis. Ensemble, ces adolescents scintillent le temps d’une clef de mess, cette drogue hallucinogène des poètes et autres intellectuels du siècle dernier.

Ayant dévoré le roman en une soirée, il semblait évident pour Anaïs Barbeau-Lavalette que la réalisation du film La déesse des mouches à feu exigerait une authenticité sans pareille. Pour leur accorder ce souhait, Pettersen, dont le roman est largement autobiographique, a offert à Catherine Léger et à Barbeau-Lavalette une grande liberté, d'où l’adaptation. Seul l’émerveillement devant une poignante vulnérabilité subsiste.

Dans une entrevue avec Entrée libre, journal communautaire de Sherbrooke, Barbeau-Lavalette révèle sa vision de la trame narrative. Effectivement, pour elle, le film dépeint « le déluge intérieur de Catherine qui voit sa propre noyade ». La protagoniste encaisse les coups sans jamais qu’une seule larme ne soit versée. Cette noyade interne repose sur une esthétique sensorielle et onirique qui se manifeste à travers les représentations visuelles de l’eau ainsi que le montage sonore fidèle au milieu aquatique. Le résultat est à couper le souffle. Il faut saluer le remarquable travail du directeur de la photographie, Jonathan Decoste, qui mêle poésie et débauche : tantôt l’eau, tantôt le feu, que la réalisatrice rattache à la chaleur procurée par le nouveau groupe d’amis de Catherine, ses nouvelles relations affectives (1).


Il ne faut pas non plus négliger la trame sonore qui parsème les scènes, gracieuseté du directeur musical Maxime Veilleux. Faire appel à un directeur musical n’est pas monnaie courante, rappelle Anaïs Barbeau-Lavalette, contrairement aux productions américaines. Et pourtant, cette innovation apparaît essentielle. Pour les mélomanes, la liste de lecture officielle de La déesse des mouches à feu est disponible sur Spotify. Il sera possible d’écouter 20 chansons, dont le cover de la chanson Voyage, Voyage par l’artiste autrichienne Soap&Skin, Creep de Radiohead, Seul au combat des BB, Décadence de Jean Leloup ou encore Rape Me de Nirvana.


Ce désir de vérité se manifeste également à travers le choix des acteurs et des actrices. Dans le roman, notons que la protagoniste a 14 ans au lieu de 16, comme c’est notamment le cas dans le film. Des jeunes filles de cet âge-là ont bien sûr auditionné. Toutefois, Kelly Depeault, 16 ans, a ravi le cœur de la réalisatrice lors de son audition. Pendant cette fameuse audition, alors que Barbeau-Lavalette savait qu’elle avait enfin trouvé sa déesse, Depeault a quitté l’audition à mi-chemin, car la charge émotionnelle requise par la scène faisait non seulement appel à son jeu d’acteur, mais également à une dimension fort personnelle. Or, « ce n’est pas professionnel de mêler la carrière à la vie personnelle », dénote l’actrice principale. Puis, la chimie entre les jeunes aperçue à l’écran est bien réelle. En fait, certaines scènes correspondent à des bouts du quotidien tournés « hors script ». De plus, Depeault et ses camarades de tournage ont passé une fin de semaine au chalet de Barbeau-Lavalette pour apprendre à se connaître. Par la même occasion, Kelly Depeault a également été hébergée par Caroline Néron qui, par ce film, effectue un retour au grand écran après 13 ans d’absence. En toute honnêteté, le casting de la femme d’affaires suscite quelques questions. Barbeau-Lavalette craignait notamment de ne pas être sur la même longueur d’onde quant au jeu d’acteur de l’ancienne dragonne. Autrement dit, on appréhendait la discorde sur la vision cinématographique entre l’actrice et la réalisatrice. Toutefois, à l’époque, Néron déclarait faillite, traversait un divorce ultra-médiatisé et pénible et faisait un passage fort remarqué à Tout le monde en parle. Dès le départ, Barbeau-Lavalette a indiqué à la créatrice de bijoux que celle-ci « n’allait pas toujours être belle, qu’elle allait devoir morver ». Finalement, le jeu en a valu la chandelle. Par ailleurs, toujours par souci du détail, autant la réalisatrice que les acteurs ont consulté des consommateurs de mescaline pour évoquer avec justesse les effets de cette substance psychédélique, évitant ainsi la caricature et certains effets spéciaux.


Le tournage s’est effectué entièrement de manière écoresponsable, approche documentée et disponible en ligne. Parmi les gestes « verts », notons que les costumes proviennent de friperies au lieu d’être « Made in China » et que la nourriture servie était biologique et compostable. En termes de déplacement, l’équipe de tournage privilégiait le covoiturage ou bien le transport en commun en ce qui concerne les figurants. En outre, des inspecteurs écologiques patrouillaient le plateau pour vérifier que les objets se retrouvaient dans les endroits appropriés (poubelle, recyclage, compost), preuves photographiques à l’appui.


À l’affiche depuis le 25 septembre 2020, à quelques jours de l’annonce d’un code rouge, la sortie de La déesse des mouches à feu est à l’image de ce qu’est l’adolescence : une prise de risques.


Note : L’autrice de ce texte a participé à une projection du film La déesse des mouches à feu suivie d’une période de questions avec la réalisatrice Anaïs Barbeau-Lavalette et l’actrice Kelly Depeault au Cinéma Beaubien le 26 septembre 2020.

(1) Souley KEÏTA, « La déesse des mouches à feu », Entrée libre, 24 septembre 2020, [En ligne],  http://www.entreelibre.info/2020/09/24/la-deesse-des-mouches-a-feu/.

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