La CAQ et le fait religieux
Auteur·e·s
Gabriel Auger
Publié le :
30 janvier 2022
On croyait en avoir bientôt fini avec cette pandémie, hélas! Ce n’est pas le cas, loin de là. À l’instar des autres pays, le Québec et les autres provinces canadiennes fracassent des records de contamination quotidienne. Il y a deux semaines, c’était plus de 17 000 nouvelles infections qui s’ajoutaient quotidiennement au bilan. Pour faire face à la catastrophe annoncée, le gouvernement québécois met une fois de plus des mesures drastiques en place, parmi les plus sévères vues à travers le monde, pour freiner la pandémie et la propagation d’Omicron. La situation est grave et il faut agir. Il faut se protéger et surtout protéger les plus vulnérables, ainsi que l’intégrité physique et mentale des travailleurᐧeuseᐧs du réseau de la santé qui sont à bout de souffle, épuiséᐧeᐧs, malades et, pour plusieurs milliers, atteintᐧeᐧs de la COVID-19.
Cependant, la nouvelle mesure est justement une contrainte importante au droit à la liberté de religion, un droit protégé par les chartes et dont l’importance a été réitérée à de multiples reprises par la Cour suprême du Canada, notamment dans Big M Drugmart, Sydicat Northcrest et Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony.
Lors du point de presse du 30 décembre dernier, j’étais, comme des millions de Québécoisᐧes, rivé sur la télévision pour connaître les nouvelles mesures qui allaient être mises en place. Essentiellement : fini les partys, fermeture des commerces non essentiels le dimanche et le retour du couvre-feu. Il faut dire que cette dernière mesure était certainement la plus « coup de poing ». Les expertᐧeᐧs étaient de plus en plus nombreuxᐧses à questionner l’efficacité de cette mesure, sans oublier les impacts négatifs qu’elle amène sur l’ensemble des Québécoisᐧes et a fortiori sur les personnes particulièrement vulnérables (personnes sans domicile fixe, personnes vivant en situation de violence, notamment conjugale, etc.). Je ne suis pas un spécialiste en santé et je ne prétends pas l’être, mais après 22 mois de pandémie, il est normal et sain dans une démocratie que des questions soient posées et surtout adressées par les autorités sanitaires. On ne peut plus y aller « au pif », « au gros bon sens ». Les Québécoisᐧes doivent pouvoir savoir sur quelles assises, quels avis d’expertᐧeᐧs et quels scénarios le gouvernement se base pour mettre en place les mesures spécifiques et l’efficacité projetée de celles-ci. La transparence est un pilier de la démocratie. Le contrat social de Locke met l’accent sur l’importance pour les dirigeantᐧeᐧs d’être « responsables » devant leurs citoyenᐧneᐧs. Ça semble être de moins en moins le cas actuellement, car les décisions se prennent essentiellement derrière des portes closes, et à la moindre interrogation sur les mesures sanitaires, on risque de se faire traiter de complotistes, possiblement par notre propre ministre de la Justice – ça promet (1).
Même si le couvre-feu est la mesure qui affecte la liberté du plus grand nombre de Québécoisᐧes et qui suscite les plus vives contestations, ce n’est pas celle qui m’effraie le plus, loin de là. En effet, parmi les nouvelles mesures, il y a aussi la fermeture des lieux de culte sauf pour les funérailles, qui sont limitées à 25 personnes. Pour plusieurs, cette mesure ne change rien à leur vie, ces dernierᐧeᐧs ne se rendant jamais dans les lieux de culte, sauf rares exceptions ou lorsqu’ils voyagent « pour s’imprégner de culture ». Or, ces lieux sont bel et bien vivants. Ils sont des maisons d’accueil pour bon nombre des plus vulnérables de notre société, personnes âgées, ancienᐧneᐧs détenuᐧeᐧs, personnes itinérantes, personnes seules, etc., en plus d’être un lieu d’intégration important pour plusieurs nouveauxᐧelles arrivantᐧeᐧs qui ont justement immigré au Canada pour y trouver une terre ouverte à la pratique de leur foi, sans contrainte excessive de la part de l’État. Cependant, la nouvelle mesure est justement une contrainte importante au droit à la liberté de religion, un droit protégé par les chartes et dont l’importance a été réitérée à de multiples reprises par la Cour suprême du Canada, notamment dans Big M Drugmart, Sydicat Northcrest et Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony. S’il est vrai que plusieurs communautés religieuses permettent maintenant d’assister aux célébrations en ligne, ce n'est pas tousᐧtes les fidèles qui ont accès à une connexion internet. Pour ces dernierᐧeᐧs, leur droit de professer et de pratiquer leur religion en groupe et en communauté, dont l’importance a été rappelée par la juge Abella dans l’affaire Hutterian, précitée, est affecté de façon importante. En effet, « la liberté de religion comporte des aspects à la fois individuels et collectifs » (2).
Le problème est que le gouvernement n’a offert aucune raison pour cette mesure. Les lieux de culte sont-ils des endroits où les mesures sanitaires ne sont pas respectées ? On ne le sait pas. Sont-ils des milieux d’éclosion ? Impossible de le savoir sans les données compilées (espérons qu’il y en a) de la santé publique. D’ailleurs, si les lieux de culte doivent être fermés pour éviter la propagation du virus, pourquoi autorisons-nous encore qu’ils accueillent les funérailles, mais non les services réguliers, ou encore les baptêmes, mariages et autres ? Le virus serait-il moins agressif lorsque nous célébrons et honorons la fin d’une vie que lorsque nous célébrons l’amour entre deux personnes ? Peut-être y a-t-il une explication. Toutefois, à voir la superficie des lieux de culte et le nombre de fidèles qui s’y rendent sur une base quotidienne et hebdomadaire, l’État n’aurait-il pas pu, comme il l’a fait pour les commerces non essentiels, aménager de nouvelles indications sanitaires plutôt que d’interdire leur fréquentation ? Il heurte la logique de penser que l’on peut se retrouver avec 100 personnes dans le Zara du centre Eaton, ou à plusieurs dizaines entasséᐧeᐧs dans le wagon en direction de Berri-UQAM, mais que ces mêmes agrégats de personnes ne pourraient prier dans la basilique de l’oratoire Saint-Joseph, qui a une capacité de près de 2500 fidèles. Le droit à la liberté de religion peut, à l’instar de la majorité des droits prévus aux chartes, être limité conformément aux articles 1 (CC) et 9.1 (CQ). Je ne fais pas ici l’argument que le droit à la liberté de religion devrait être plus important, moins enfreint que d’autres droits prévus aux chartes. Les impératifs sociétaux commandent que nos droits individuels soient limités dans une certaine mesure pour le bien général, cela se comprend. Ma réflexion en l’espèce porte seulement sur la logique du gouvernement québécois qui décide de limiter drastiquement le droit à la liberté de religion sans offrir : 1) d’explications et surtout, 2) de mesures atténuantes, ce que requiert le test d’Oakes au niveau du critère de l’atteinte minimale.
Il faut dire que le droit à la liberté de religion est malmené au Québec depuis quelque temps et qu’il ne reçoit que très peu d’appui de la population. Il semble aisé pour le gouvernement Legault de mettre en place une telle mesure lorsqu’entre 55 et 64 % des Québécoisᐧes supportent la loi 21, loi (3) qui a des implications et des impacts beaucoup plus sinistres que l’interdiction de fréquenter les lieux de culte. Le pari est simple, la majorité des Québécoisᐧes n'est pas affectée et ne s’opposera pas à cette mesure. Preuve de mes propos : aucune grande chaîne n’y a consacré la moindre minute alors qu’on débat depuis des mois sur l’utilité et la légalité du couvre-feu. Le fait religieux au Québec n’attire ni compassion ni empathie. Depuis la Révolution tranquille, la société québécoise s’est éloignée de tout rattachement aux institutions religieuses (4). Plutôt que d’adopter le modèle anglo-saxon dans lequel nous baignons, nous avons développé collectivement, à l’image de la France, une sorte d’apathie pour les institutions religieuses. Ma crainte, c’est que cette mesure accentue encore les préjugés et la marginalisation des communautés religieuses présentes au Québec qui, sans explication, font une fois de plus l’objet de mesures sanitaires drastiques. Rappelons-nous les vives réactions de la population en mars 2020 envers la communauté juive de Boisbriand qui avait été critiquée pour des contaminations dans cette région des Laurentides. S’il est vrai que celle-ci avait participé à une fête religieuse dans l’État de New York, qui était à l’origine de la contamination dans la communauté, il faut savoir que : 1) cet événement n’était pas soumis aux contraintes sanitaires québécoises (l’activité s’étant tenue à Brooklyn) et 2) qu’aucun autre exemple de zone d’éclosion en milieu religieux n’a été mis de l’avant par la santé publique.
Sources citées:
Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, [2009] 2 R.C.S. 567, par. 31
Donado, Rachel. “Why is France So Afraid of God ?” The Atlantic, 22 novembre 2021