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La bonne foi contractuelle à l’ère de la COVID-19

Auteur·e·s

Angelo Mandeville-Sacco

Publié le :

2 février 2022

Pierre angulaire du droit civil québécois, le concept de bonne foi est omniprésent dans les relations contractuelles au Québec.

En effet, la bonne foi comme norme de comportement requiert de la part des cocontractantᐧeᐧs une attitude à la fois bienveillante et proactive, ce qui permet à chaque partie de tirer un avantage du contrat : on en déduit un devoir de loyauté.

Aujourd’hui, aux articles 6 et 7 C.c.Q. qui traitent de la bonne foi dans l’exercice des droits civils, le législateur québécois ajoute une disposition ayant pour objet la bonne foi contractuelle : c’est l’article 1375 C.c.Q. (1) qui prévoit que toute partie incluse dans un rapport d’obligation doit agir de manière conforme aux exigences de la bonne foi, peu importe si ce rapport est contractuel ou non (2). Ce devoir de bonne foi contractuelle se décline en plusieurs sous-devoirs. En effet, la bonne foi comme norme de comportement requiert de la part des cocontractantᐧeᐧs une attitude à la fois bienveillante et proactive, ce qui permet à chaque partie de tirer un avantage du contrat : on en déduit un devoir de loyauté (3). D’après la Cour suprême du Canada, les parties au contrat doivent, en plus d’agir de bonne foi entre elles, agir ainsi à l’égard des tiers (4) et la Cour explique que l’obligation de bonne foi inclut un devoir de renseignement (ou d’information). Le devoir de coopération est également une facette indispensable du devoir de bonne foi contractuelle (5). Coopérer équivaut donc à créer un climat contractuel qui facilite l’exécution du contrat (6). Ne pas coopérer, n’est-ce donc pas être déloyal à l’égard de sonᐧsa cocontractantᐧe ? Chose certaine, les parties au contrat doivent agir avec un « comportement altruiste minimum qui doit épouser les attentes légitimes de [leur] partenaire » (7).


Les lignes précédentes portent à croire que le devoir de bonne foi est tellement bien défini qu’il ne saurait être modifié dans les prochaines années. Pourtant, la pandémie actuelle est venue mettre en doute cette hypothèse. En effet, des jugements de la Cour suprême comme l’arrêt Churchill Falls (Labrador) Corp. c. Hydro-Québec nous renseignent sur l’interprétation du concept de la bonne foi en ces temps de pandémie.


Dans cette affaire, les entreprises Churchill Falls et Hydro-Québec ont conclu un contrat d’approvisionnement en électricité. Churchill Falls demandait que la Cour, en se basant sur la bonne foi contractuelle, reconnaisse un droit de renégociation qui ferait en sorte de forcer Hydro-Québec (la partie adverse) à modifier certaines parties du contrat directement liées aux changements inattendus survenus sur le marché de l’électricité une fois le contrat conclu, afin de réduire le fardeau incroyable supporté par Churchill Falls (8).


Tout d’abord, la Cour suprême réitère le fait que la théorie de l’imprévision – selon laquelle une obligation contractuelle peut se voir renégociée entre les parties à un contrat lorsqu’un événement absolument imprévisible rend la prestation exagérée pour une des parties – ne s’applique pas en droit civil québécois (9). On accorde cependant une place centrale à la bonne foi contractuelle qui peut, dans certains cas, mener à des renégociations contractuelles. Selon certainᐧeᐧs juristes se basant sur les enseignements de la présente décision, au début de la pandémie, ce n’était pas une raison valable pour des parties de se baser sur la pandémie pour renégocier des dispositions contractuelles. Pour d’autres, la bonne foi et l’équité en matière de contrats peuvent certainement justifier une renégociation de certaines dispositions d’un contrat.


Dans la décision Churchill Falls, la Cour étaye et établit clairement les paramètres et les limites de la bonne foi contractuelle et le rôle que celle-ci peut jouer dans une relation contractuelle. Les juges majoritaires insistent sur le fait que la bonne foi est nécessairement liée au comportement qu’adoptent les parties : de ce fait, il ne serait pas possible, en se basant sur la bonne foi, d’imposer à l’une d’entre elles une obligation n’ayant aucun lien avec le comportement des parties (10). De plus, la Cour confirme que les parties doivent en tout temps, dans l’exercice de leurs droits, agir de manière raisonnable et satisfaire à leur obligation de bonne foi. Elle insiste sur les principes qui vont dans le même sens que la bonne foi contractuelle, à savoir que les parties doivent, entre autres, obligatoirement agir en toute coopération et absolument collaborer l’une avec l’autre (11).


Si, dans une relation contractuelle, les obligations d’une partie deviennent si exagérées qu’elles mettent en danger sa santé ou sa survie et que sonᐧsa cocontractantᐧe refuse obstinément de renégocier le contrat ou d’alléger la situation de la partie souffrante, cette dernière pourrait invoquer, devant un tribunal, qu’en faisant ainsi, sonᐧsa cocontractantᐧe se comporte déraisonnablement et donc qu’il n’agit pas conformément aux exigences de la bonne foi (12). Donc, au Québec, bien que la théorie de l’imprévision ne s’applique pas, la justice contractuelle est favorisée grâce aux concepts de bonne foi et d’équité (13). Quant au rôle que peut avoir la bonne foi lors d’un changement de circonstances qui désavantage une partie, la Cour l’explique ainsi :


« À eux seuls, le changement imprévu de circonstances et le désavantage subi par le cocontractant qui demande la renégociation du contrat ne justifient pas qu’un tribunal impose la renégociation demandée. [...] Ainsi, si une protection s’apparentant à celle qu’accorde la théorie de l’imprévision peut se manifester en l’espèce, c’est uniquement dans la mesure où la bonne foi l’autorise. [...] La notion de bonne foi possède ses propres contours et sa propre logique, et sa portée ne peut être élargie au point d’y inclure la possibilité de sanctionner une partie en l’absence de comportement déraisonnable de sa part, ou une obligation de renégociation des obligations principales d’un contrat en toutes circonstances […] [D]ans une situation de “hardship”, correspondant à la description qu’en donnent les principes d’Unidroit, le comportement du cocontractant favorisé par le changement de circonstances ne pourrait être ignoré et devrait être évalué. (14) »


La COVID-19 a certainement changé la donne en matière contractuelle, mais malgré ces changements inattendus, une chose demeure intacte : les parties à un contrat doivent obligatoirement agir selon les exigences de la bonne foi. La coopération, la collaboration, le devoir sous-jacent de renseignement sont plus importants que jamais et doivent gouverner les relations entre les parties. Notre société étant en constante évolution, il s’avère nécessaire pour le droit de prendre en compte ces changements pour mieux refléter la réalité. La bonne foi contractuelle, à travers le temps, n’a cessé d’évoluer et sa portée est aujourd’hui bien délimitée. Par contre, la pandémie nous fait comprendre que son développement est encore loin d’être terminé. À la lumière de la COVID-19, le concept est-il voué à un élargissement?


Malgré tout, une chose demeurera : la bonne foi contractuelle constitue, aujourd’hui et pour les années à venir, un principe aussi fondamental qu’immuable, qui est à la base de toute relation contractuelle.

Sources citées:

  1.  Vincent KARIM, Les obligations, 4e éd., vol. 1, Montréal, Wilson & Lafleur, 2015, p. 65.

  2. Julie BIRON et Maya CACHECHO et Élise CHARPENTIER et Sébastien LANCTÔT et Andréanne MALACKET et Benoît MOORE et Catherine PICHÉ et Alain ROY et Jérémie TORRES CEYTE, Code civil du Québec Annotations-Commentaires, 6e éd., Montréal, Éditions Yvon Blais, 2021, art. 1375. ; Lacoursière c. Promutuel des Bois-Francs, 2021 QCCQ 7655, par. 57. ; Bédard Martin c. Intact, compagnie d'assurances inc., 2018 QCCA 162., par. 45.

  3. Banque Toronto Dominion c. Brunelle, 2014 QCCA 1584, par. 94. ; Équipements Omnibac inc. c. Construction Urbex inc., 2017 QCCS 4079, par. 25. ; Birtz Bastien Beaudoin Laforest Architectes c. Centre hospitalier de l'Université de Montréal, 2021 QCCS 795, par. 531.

  4. Banque de Montréal c. Bail Ltée, [1992] 2 RCS 554.

  5. Turcotte c. Turcotte, 2021 QCCA 567, par. 65. ; Provigo Distribution inc. c. Supermarché A.R.G. inc., [1998] R.J.Q.

  6. Christine LEBRUN, Le devoir de coopération durant l’exécution du contrat, mémoire de maîtrise, Montréal, Faculté de droit, Université de Montréal, p. 1.

  7. D. LLUELLES et B. MOORE, Droit des obligations, 3e éd., Montréal, Les Éditions Thémis, 2018, p.866.

  8. Laurent CRÉPEAU, « Bonne foi et exécution en nature », (2019) 53 RJTUM 323, 329.

  9. MA. GRÉGOIRE, préc., note 3, p. 35.

  10. Churchill Falls (Labrador) Corp. c. Hydro-Québec, 2018 CSC 46.

  11. Churchill Falls (Labrador) Corp c. Hydro-Québec, préc., note 17, par. 110.

  12. J. BIRON, M. CACHECHO, É. CHARPENTIER, S. LANCTÔT, A. MALACKET, B. MOORE, C. PICHÉ, A. ROY et J. TORRES CEYTE, préc., note 7, art. 1375.

  13. Id.

  14. Churchill Falls (Labrador) Corp c. Hydro-Québec, préc., note 17, par. 105, 110. ; Laurent CRÉPEAU, « Bonne foi et exécution en nature », (2019) 53 RJTUM 323, 333.

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