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L'oseille

Auteur·e·s

Thomas Doré

Publié le :

16 septembre 2022

L’urgence sanitaire est peut-être derrière nous, mais il appert que les étudiantᐧeᐧs ressentiront encore longtemps ses effets économiques néfastes. L’inflation galopante qui accable présentement les Canadienᐧneᐧs heurte disproportionnellement les plus pauvres. Les étudiantᐧeᐧs moins nantiᐧeᐧs seraient donc forcéᐧeᐧs à une entrée précoce sur un marché du travail en ébullition, limitant l’atteinte de leur plein potentiel et fragilisant l’égalité des chances à la sortie du baccalauréat. Plaidoyer pour un accès plus égalitaire à des expériences de vie enrichissantes.

On le sait : le droit mène à tout et les possibilités sont infinies, de quoi exciter les plus ambitieuxᐧses. Mais en est-il vraiment ainsi? Chacun d’entre nous a-t-il réellement le choix d’orienter son futur librement après le baccalauréat, ou sommes-nous davantage contraints à agir comme les circonstances nous l’imposent?

Comme nombre d’entre vous, mon parcours au baccalauréat a été marqué par la survenue de la pandémie de covid-19, qui a coloré presque tous les aspects de mon périple universitaire, de ma vie sociale aux modalités d’enseignement de mes cours.


Loin de prétendre que la pandémie est terminée, il semblerait que l’on ait toutefois les deux pieds dans le «après», et ce, malgré la énième vague de covid déferlant en ce moment sur le Canada. L’ère des lingettes Lysol, du télétravail obligé et des cours en visioconférence est sans doute bien derrière nous, pour le meilleur et pour le pire.


On réalise aujourd’hui que de certaines solutions temporaires à la crise sanitaire ont émergé des tendances durables aux effets parfois délétères, lesquelles n’ont pas manqué de bouleverser de nombreux aspects de notre quotidien et de ramener sur la sellette de vieux démons de la société dans laquelle on vit, qu’on qualifie cette dernière d’occidentale, de capitaliste, de coloniale, de démocratique ou de tout cela en même temps.


L’économie, sans décrire avec exactitude tous les aspects de notre réalité transformée, s’avère un filtre intéressant à travers lequel analyser ces bouleversements post-pandémiques. Exposé de manière simpliste, la pandémie et les mesures sanitaires font maintenant place à un tsunami inflationniste, que les banques centrales et les différents paliers de gouvernement peinent à contenir.


Bien que l’on ne puisse pas si facilement établir de causalité directe entre la crise sanitaire et un phénomène aussi complexe que l’inflation, laquelle est sans doute causée par une multitude de facteurs, dont ceux géopolitiques, il semblerait que les confinements successifs, la distribution de soutien financier important par le gouvernement durant la crise et la transformation de nos habitudes de vie, de travail et de consommation ont grandement contribué au climat économique difficile sévissant ces derniers jours.


Sans surprise, les moins nantis sont disproportionnellement affectés par une telle poussée inflationniste. La hausse des prix des aliments et de l’essence, par exemple, a des conséquences négligeables sur les dépenses des plus riches, alors qu’elle est une question de survie pour de nombreux autres.


N’oublions pas, au passage, que de nombreuses grandes sociétés ont tiré des profits records durant les années 2020 et 2021, au bénéfice premier de leurs investisseurs, et ce, au même moment où d’innombrables petites entreprises se voyaient obligées de mettre la clé sous la porte, pour de bon.


Ainsi, pour notre troisième et dernière année de bacc, mes camarades de classe et moi aurons certes les yeux rivés sur notre avenir, qu’il soit professionnel, académique ou autrement cosmique. On le sait : le droit mène à tout et les possibilités sont infinies, de quoi exciter les plus ambitieuxᐧses. Mais en est-il vraiment ainsi? Chacun d’entre nous a-t-il réellement le choix d’orienter son futur librement après le baccalauréat, ou sommes-nous davantage contraints à agir comme les circonstances nous l’imposent?


J’arguerais que, depuis la pandémie, les circonstances économiques imposent malheureusement une entrée de plus en plus précoce des bachelierᐧèreᐧs en droit, surtout ceux et celles issuᐧeᐧs de milieux moins aisés, sur le marché du travail, à l’exclusion d’autres expériences enrichissantes. Il semblerait que les études universitaires de deuxième et troisième cycle ou les voyages de quête du soi sont des luxes que peu d’étudiantᐧᐧ.s peuvent se permettre.


D’abord, l’inflation et l’augmentation des taux d’intérêt découragent les étudiantᐧeᐧs de recourir à l’endettement afin de réaliser des projets comme l’obtention d’un diplôme universitaire de deuxième ou de troisième cycle, qui apportent souvent beaucoup plus en croissance personnelle qu’en retombées économiques - pensons au J.D. qui, bien qu’il soit un complément ô combien intéressant au LL.B., est purement et simplement inutile dans la pratique de nombreuxᐧeuses avocatᐧeᐧs québécoisᐧes.


Ensuite, les étudiantᐧeᐧs doivent mettre les bouchées doubles afin d’espérer atteindre un niveau de vie comparable à celui des générations passées, notamment en ce qui a trait à l’accès à la propriété immobilière, voire à la possibilité d’avoir des enfants. Chaque “année de salaire” compte, et je vois facilement comment certainᐧeᐧs pourraient aller jusqu’à renoncer à faire leur Barreau pour continuer de travailler à temps plein après le baccalauréat, quitte à ce que l’on ne les appelle jamais Maître.


Enfin, la pénurie de main-d'œuvre représente une rare occasion pour les travailleurs et travailleuses d’obtenir des conditions de travail plus favorables, de même qu’une certaine sécurité d’emploi en prévision de l’éventuelle récession que plusieurs anticipent dans les années à venir. C’est vrai, ce n’est pas parce qu’il pleut des emplois aujourd’hui que ce sera pareil demain; aussi bien se caser tout de suite.

En bref, ce n’est pas la valeur numérique de mon futur salaire annuel que je dénonce en ce début d’année scolaire, mais plutôt l’inégalité croissante d’accès à certaines expériences épanouissantes entre les bachelierᐧèreᐧs les plus pauvres et les bachelierᐧèreᐧs les plus riches. Il faut toutefois se garder d’aborder cette situation avec cynisme, et miser plutôt sur les solutions à celle-ci.


Élargir l’accès au programme d’aide financière aux études pourrait être un premier pas dans la bonne direction, en permettant à un plus grand nombre d'étudiantᐧeᐧs d'accéder à une formation académique, notamment de deuxième ou troisième cycle universitaire, plus abordable. Toutefois, une réflexion préalable s’impose sur l’endettement étudiant en tant que composante clé de notre ascenseur social. Bien que la situation des étudiantᐧeᐧs québécoisᐧes ne se compare pas à celles des étudiantᐧeᐧs américainᐧeᐧs à ce sujet, mon expérience empirique me permet d’affirmer que l’endettement étudiant est un obstacle de taille pour certains étudiantᐧeᐧs fréquentant les universités québécoises, et que la distribution de bourses aurait un effet autrement plus concret et efficace que la distribution de prêts par l’État.


Offrir des cours ou des emplois aux modalités plus flexibles pourrait également aplanir les différences de classe entre les jeunes bachelierᐧèreᐧs, qui pourraient mieux jongler entre les aspects professionnels, académiques et personnels de leur vie, sans toutefois jamais régler le problème à la source.

En somme, contentons-nous pour l’instant de reconnaître cette problématique dans toute sa complexité, et ce, notamment quand viendra le temps de célébrer la graduation de notre belle cohorte et des parcours diversifiés que chacunᐧe de nous empruntera.

D’ici à ce qu’on sabre le champagne, je souhaite que Le Pigeon devienne un espace sûr pour ceux et celles qui souhaitent parler d’argent et de difficultés financières de toutes sortes.

Parce que si c’est vrai qu’en cette fin de bacc et de pandémie, tout est à reconstruire et que les possibilités sont infinies, l’équipe du Pigeon, de pair avec la communauté étudiante de notre Faculté, a la responsabilité d’utiliser sa tribune dans le but de construire un discours constructif sur ces enjeux sociaux et d’ainsi créer un monde dans lequel tousᐧtes et chacunᐧe de nous ont accès aux innombrables occasions de notre monde en transformation constante.

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