L'avenir du droit à la réparation
Auteur·e·s
Hugo Lefebvre
Publié le :
15 septembre 2021
L’équipe du Pigeon Dissident sait que l’environnement est une des priorités phares des étudiants de la faculté, et ce, surtout avec le récent rapport alarmant du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et le vote sur la levée de cours du 24 septembre qui approche. C’est pourquoi nous avons décidé de rassembler quelques-unes de promesses électorales les plus intéressantes en matière de droit de l’environnement, tous partis confondus, et d’interroger des professeurs de la faculté sur les enjeux sous-jacents à ces promesses. Voici le troisième article d’une série de trois.
« Si on permet plus les réparations en protégeant ceux qui les font contre les entreprises qui les poursuivraient pour ça, on peut espérer que plus de gens offriront des services de réparation. » - Ysolde Gendreau
Image: Hugo Lefebvre
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Au sein de la plateforme de chacun des grands partis, on trouve des solutions pour augmenter la circularité de l’économie, notamment en ce qui concerne le plastique et les déchets électroniques. (1) Parmi eux, le parti libéral, le parti néo-démocrate et le bloc québécois souhaitent tous éliminer des régulations empêchant la réparation de produits électroniques par le manufacturier.
Ainsi, les néo-démocrates prévoient supprimer les restrictions législatives qui empêchent de réparer les appareils électroniques afin de réduire les déchets électroniques tout en tenant les entreprises responsables du cycle de vie de leurs produits. (2) De même, le Bloc québécois veut déposer un projet de loi s’attaquant à l’obsolescence programmée en s’assurant « que la Loi sur les brevets et la Loi sur le droit d’auteur ne puissent être invoquées pour empêcher la réparation de produits récupérables ». (3)
Dans une formulation similaire, les libéraux prévoient « modifier la Loi canadienne sur le droit d’auteur pour s’assurer que ses dispositions n’empêchent pas la réparation des appareils et des systèmes numériques, même lorsque rien n’est reproduit ou distribué ». (4.1) Ces derniers comptent également instaurer un « droit à la réparation » pour les appareils électroniques afin d’obliger les fabricants à fournir des pièces de rechange pour les produits et à autoriser leur reproduction une fois qu’elles ne sont plus produites. (4.2)
Avec les avancées technologiques modernes, la réparation des appareils électroniques est de plus en plus difficile, ce qui empêche beaucoup de consommateurᐧriceᐧs de profiter pleinement des produits qu’ils achètent et fait s’accumuler les déchets électroniques. En effet, beaucoup de compagnies de produits électroniques, d’automobiles ou d’électroménagers n’autorisent aucun réseau de réparateurs officiels et interdisent la vente de pièces aux utilisateurs. L’exemple le plus connu est Apple, qui se donne le monopole sur la réparation de ses produits. Un autre outil à cette fin sont les « digital locks », qui viennent souvent sous la forme de restriction à l’accès des usagers aux logiciels de leurs appareils. (5)
La logique derrière ce problème est simple. Tandis que les consommateurᐧriceᐧs ont avantage à réparer les produits qu’ils ont achetés et d’en prolonger ainsi la durée de vie, les producteurs ont plutôt avantage à utiliser cet achat comme source de revenus futurs et de favoriser l’achat de produits connexes ou d’une nouvelle version du même produit. En entrevue avec le Pigeon Dissident, Ysolde Gendreau, professeure titulaire à la Faculté de droit de l’Université de Montréal, décrit ce dilemme : « Le frein à la réparation, c’est que si vous avez un producteur d’un produit quel qu’il soit et qu’il décide de ne pas offrir de services de réparation [...], il détient le monopole sur ce produit et s’il brise vous êtes obligés d’en acheter un autre. » Au fil des ans, avec la digitalisation de plus en plus de nos objets quotidiens, les compagnies de produits électroniques ont fait du monopole sur la réparation et le service liés à leur produit une stratégie d’affaire lucrative. (6) Dans l’industrie agricole, avec la digitalisation des équipements, des compagnies comme John Deere intègrent des verrouillages logiciels onéreux à leurs tracteurs et autres produits, empêchant le diagnostic et la réparation de leurs appareils. (7)
Or, notre dépendance de plus en plus grande aux nouvelles technologies pousse activistes et politicienᐧneᐧs à réclamer une plus grande protection du droit des consommateurs à utiliser leurs produits électroniques à plein escient. Aux États-Unis, en 2021, plus de la moitié des États ont introduit des législations sur le droit à la réparation. En juillet 2021, l’administration Biden a également introduit un nouveau décret fédéral visant à donner un droit à la réparation aux fermiers américains. (8) Dans l’Union Européenne, une nouvelle loi force les fabricants de certains appareils à rendre leurs pièces détachées accessibles aux réparateurs indépendants pour 10 ans. (9)
En plus d’en coûter aux consommateurᐧriceᐧs, ce phénomène a également des impacts environnementaux majeurs. L’ONU rapportait qu’en 2019 plus de 53,9 millions de tonnes de déchets électroniques ont été produits, soit l’équivalent de plus de 350 bateaux de croisière. Ces produits contiennent le plus souvent des métaux rares dont l’extraction implique de lourds coûts environnementaux et sociaux, et ce en plus de l’impact environnemental du transport et de l’assemblage de ces appareils à travers un réseau mondial de production. (10)
Ce problème n’est pas nouveau; il s’est présenté par le passé en ce qui concerne les pièces détachées servant à la réparation d’appareils. En discutant de comment les tribunaux ont pallié les problèmes des fabricants utilisant la Loi sur le droit d’auteur pour empêcher la reproduction de pièces servant à la réparation de machines, Me Gendreau explique : « Au Canada, la réponse a été, dans la Loi sur le droit d’auteur, en 1997, de modifier pour dire, à l’art.64.1, que quelqu’un qui reprend les éléments utilitaires d’un dessin, donc dans une pièce détachée c’est ça, ne peut pas être poursuivi en droit d’auteur. » De cette façon, les fabricants ont été privés de recours dans certaines situations de réparation d’appareils.
On retrouve une logique similaire derrière le projet de loi C-272, un projet de loi privé présenté par le député libéral Brian May et s’attaquant aux « digital locks » qui empêchent la réparation des appareils. Comme la Loi sur les droits d’auteur impose des pénalités sévères à ceux contournant ces barrières aux logiciels internes des appareils sans autorisation, ce projet de loi compte créer une exception pour le diagnostic, l’entretien et la réparation des appareils. (11) En deuxième lecture, ce projet de loi a accueilli l’appui unanime de la Chambre des communes. (12)
Comparant ce projet de loi à l’ancienne problématique liée aux pièces détachées, Me Gendreau explique : « Probablement que ce qu’on tente de faire ici, c’est de transposer ça à un univers électronique [...], ils veulent que la personne qui répare ne s’expose pas à être poursuivie au titre du droit d’auteur. » Opinant sur les conséquences que pourrait avoir ce projet de loi sur le marché des appareils électroniques, Me Gendreau commente : « Si on permet plus les réparations en protégeant ceux qui les font contre les entreprises qui les poursuivraient pour ça, on peut espérer que plus de gens offriront des services de réparation. » Aussi, en plus de la Loi sur le droit d’auteur, la Loi sur les brevets entre également en jeu, car, avec le temps, les programmes d’ordinateur ont commencé à être brevetés lorsqu’ils pouvaient être décrits comme des moteurs.
Au Québec, le projet de loi privé 197, présenté par le député indépendant Guy Ouellet en 2019 et actuellement à l’étude, prévoit protéger le droit à la réparation et lutter contre l’obsolescence programmée, notamment en instaurant une infraction pour obsolescence programmée, une cote de durabilité des biens et un droit à la réparation. (13) Or, un projet de loi similaire a été mis de côté en Ontario en 2019 à la suite de pressions de groupes d’intérêt issus de l’industrie, notamment Apple et Panasonic. (14) Il reste donc à voir si les efforts des gouvernements provinciaux et fédéraux en vue de la reconnaissance d’un droit à la réparation des appareils électroniques pourront surmonter la pression exercée par les entreprises de produits électroniques.
Sources citées:
(1) Jonas Goldman, Anna Jessop et Aline Coutinho, « Election 2021: A Comparison of Climate Policy in Federal Party Platforms: How party platforms compare on promises regarding greening the economy », Smart Prosperity Institute, 30 août 2021, en ligne: < https://institute.smartprosperity.ca/Election2021 >
(2) Nouveau Parti démocratique, Oser mieux : Les engagements néo-démocrates pour vous, en ligne : < https://xfer.ndp.ca/2021/Commitments/Oser%20mieux%20-%20Engagements%20NPD%202021.pdf?_gl=1*xwkvej*_ga*MTQ1Mjg0ODYyOS4xNjI5MTIwNTA0*_ga_97QLYMLC56*MTYzMTMzMjc4OS4zLjAuMTYzMTMzMjc4OS4w>, p. 20
(3) Bloc Québécois, Québécois : Plateforme politique bloc 2021, en ligne : < https://www.blocquebecois.org/wp-content/uploads/2021/08/blocqc-Plateforme-2021-planche.pdf >, p. 23
(4.1) Parti Libéral du Canada, Avançons Ensemble : Plateforme 2021, en ligne : <https://liberal.ca/wp-content/uploads/sites/292/2021/09/Plateforme-Avancons-ensemble.pdf>, p.62
(4.2) Id.
(5) Maxime Johnson, « Pour le droit à la réparation des appareils électroniques », Radio-Canada, 25 janvier 2017, en ligne : < https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1012936/pour-le-droit-a-la-reparation-des-appareils-electroniques >
(6) Anthony Rosborough, « Canada needs right-to-repair legislation », Policy Options, 14 mai 2021,en ligne: < https://policyoptions.irpp.org/magazines/may-2021/canada-needs-right-to-repair-legislation/ >
(7) Matthew Gault et Jason Koebler, « John Deere Promised Farmers It Would Make Tractors Easy to Repair. It Lied. », Vice, 21 février 2021, en ligne : < https://www.vice.com/en/article/v7m8mx/john-deere-promised-farmers-it-would-make-tractors-easy-to-repair-it-lied >
(8) Greta Moran, « Farmers Will Soon Have the Right to Repair their Tractors », Civil eats, 13 juillet 2021, en ligne: < https://civileats.com/2021/07/13/farmers-just-got-a-new-right-to-repair-their-tractors/ >
(9) Adam Smith, « New EU ‘Right to Repair’ Laws Require Technology to last for a decade », The Independent, 1 mars 2021, en ligne: < https://www.independent.co.uk/life-style/gadgets-and-tech/eu-right-repair-technology-decade-b1809408.html >
(10) Radio-Canada, « Record de 53,6 millions de tonnes de déchets électroniques en 2019, selon l’ONU », 2 juillet 2020, en ligne : < https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1716920/dechet-electronique-onu-rapport-unu-telecommunication-electrique >
(11) Loi modifiant la Loi sur le droit d'auteur (diagnostic, entretien ou réparation), projet de loi C-272 (2ième lecture et renvoi à un comité – 2 juin 2021), 2ième sess., 43ième légis. (Can.), art. 2
(12) Chambre des Communes du Canada, Débats de la Chambre des communes, 2ième sess., 23ième légis., no109, Vol. 150, 2 juin 2021, en ligne : < https://www.noscommunes.ca/DocumentViewer/fr/43-2/chambre/seance-109/debats >
(13)Loi modifiant la Loi sur la protection du consommateur afin de lutter contre l'obsolescence programmée et de faire valoir le droit à la réparation des biens, projet de loi 197 (Étude détaillée – 24 mars 2021), 1ière sess., 42ième légis. (Qc), Notes explicatives
(14) Jordan Pearson, « Right to Repair Bill Killed After Big Tech Lobbying In Ontario », Vice, 2 mai 2019, en ligne: < https://www.vice.com/en/article/9kxayy/right-to-repair-bill-killed-after-big-tech-lobbying-in-ontario >