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L'arrogance de François Legault

Auteur·e·s

Jérôme Coderre

Publié le :

16 septembre 2021

Cela a beau être une campagne électorale fédérale, c’est pourtant à Québec qu’un politicien s’est démarqué de la pire des façons. Non, cette personne n’est pas un chef de parti fédéral, mais bien le premier ministre du Québec lui-même, François Legault. Comme quoi on aura vu pire que le français d’Annamie Paul dans cette campagne, ce qui n’est pas peu dire.

C’est surtout que Legault ne peut pas à la fois jouer la carte du défenseur neutre du Québec, et celui d’un politicien qui s’implique activement dans la campagne fédérale en soutenant ouvertement un parti. Le message est beaucoup trop teinté de partisanerie pour être porteur.

Un vieil adage de la politique canadienne veut que ce soit en Ontario qu’on décide de la couleur du gouvernement, et que ce soit au Québec qu’on établisse si le gouvernement sera majoritaire ou non. La première portion de la phrase est encore d’actualité – libéraux et conservateurs se livrent une féroce bataille, notamment dans la couronne de Toronto et la région d’Hamilton. La deuxième cependant, aurait avantage à être changée pour la proposition que je vous soumets : « C’est au Québec qu’on décide du véritable débat (malsain, par ailleurs) qui dictera la campagne. »


En 2015, c’est la question du niqab qui avait coulé Thomas Mulcair. En 2019, c’est par la défense de la loi 21 qu’Yves-François Blanchet avait pu faire renaître le Bloc de ses cendres, barrant ainsi la route à une majorité libérale. Puis, cette année, ça aura pris une question, maladroite par ailleurs, d’une panéliste ontarienne, pour que reparte de plus belle l’éternel enjeu de la place du Québec dans le Canada.


Remarquez que ce n’est pas la faute des Québécois si de tels enjeux monopolisent l’attention. Disons que le Canada anglais aime bien se payer la tête du Québec pour en faire un wedge issue, comme disent les Anglais; et que les Québécois ne se déplaisent pas non plus d’être au cœur de la campagne électorale fédérale. Ça démontre à certains l’importance de rester au sein du pays, et ça conforte les autres dans leur idée qu’on ne devrait tout simplement plus en faire partie.


Je ne sais pas exactement où se loge François Legault entre les deux, personnellement du moins, mais une chose est certaine, ce n’est certainement pas lui qui va se plaindre qu’on mette la lumière sur le Québec pendant cette campagne. C’est dans ce genre de situation que Legault sort avec plaisir sa cape de Capitaine Québec.


***


La semaine de Legault a d’abord commencé par une déclaration pour le moins surprenante : « Les libéraux, le NPD et les Verts sont dangereux pour le Québec. » Rien de moins. À moins d’en avoir manqué un bout, je dois avouer que je ne sais pas où il est allé la chercher celle-là.


Quelques minutes plus tard, le chat sortait du sac : « Je souhaite un gouvernement conservateur minoritaire, avec la balance du pouvoir au Bloc. » Un chausson avec ça? Rendu là François, remplis donc les huit millions de bulletins de vote des Québécois, ça nous fera ça de moins à faire lundi prochain.


Au diable la traditionnelle retenue d’un premier ministre provincial, Legault est en mission. Non seulement la manœuvre est risquée pour l’état des relations Québec-Ottawa advenant une victoire de Trudeau, mais voilà surtout le parfait exemple du double standard. Legault déchire sa chemise à la moindre intervention du fédéral dans le champ de compétence des provinces, mais n’hésite pas à offrir le plus grand soutien d’un premier ministre québécois à un chef fédéral depuis fort longtemps? Ça te dirait François, d’un appui de Trudeau à Anglade en 2022?


Ça, c’était lundi. Jeudi, François Legault annule un point de presse censé parler de COVID-19, d’emploi et de relance économique pour plutôt aller parler en tant que « chef de la nation québécoise ». Élégant surnom. Au cours d’une rencontre aussi choquante qu’absurde avec les journalistes, Legault affirme qu’il est de son devoir de « défendre les intérêts et les valeurs du Québec ».


Les intérêts, ça va. Après tout, le premier ministre est en quelque sorte le négociateur en chef dans les relations du Québec avec les autres provinces et pays. Mais défendre les valeurs du Québec? Vraiment? À ce que je sache, les seules véritables valeurs communes à tous les Québécois sont celles humaines. Respect, tolérance, égalité, justice et autres. Comme partout ailleurs finalement.


La réalité, c’est qu’on se doute très bien du genre de valeur que veut défendre Legault. Le genre de valeur qui prétend que la seule façon d’atteindre la laïcité passe par la loi 21. Alors là, M. le premier ministre, si c’est de ce genre de valeurs dont il est question, je confirme que nous ne les partageons pas, vous et moi.


Legault sentait le besoin de faire cette sortie publique pour dénoncer une question biaisée, loadée et forcément fondée sur une appréciation subjective de la loi 21 posée la veille lors du débat en anglais. L’ironie de l’affaire est que la réponse de Legault était justement empreinte de subjectivité. Défendre les intérêts du Québec, c’est objectif. De vouloir défendre ses « valeurs », on nage en territoire subjectif. Et d’affirmer que la loi 21 est au cœur des valeurs des Québécois, et de surcroit que cette loi n’est pas discriminatoire, alors là, on a les deux pieds dans la subjectivité.


C’était non seulement subjectif, c’était faux. La loi 21 est discriminatoire. Point.


C’est surtout que Legault ne peut pas à la fois jouer la carte du défenseur neutre du Québec, et celui d’un politicien qui s’implique activement dans la campagne fédérale en soutenant ouvertement un parti. Le message est beaucoup trop teinté de partisanerie pour être porteur.


Reste à savoir si la sortie de Legault aura un véritable impact sur la campagne. N’oublions pas que près de trente pour cent des électeurs caquistes votent libéral au fédéral. Et à moins d’une surprise, les conservateurs sont loin de la coupe aux lèvres au Québec.


Au mieux, Legault n’aura fait que retenir quelques électeurs conservateurs de la tentation de passer au rouge. Au pire, le message de Legault n’aura été qu’un coup d’épée dans l’eau, démontrant au passage toute son arrogance dans sa gestion des relations Québec-Canada.

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