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L'épée de Damoclès sur la France

Auteur·e·s

Manu Cassivi

Publié le :

22 août 2024

Le 7 juillet dernier, la France a pris le monde par surprise en empêchant le Rassemblement National (RN) de gagner les élections législatives. Alors que la capitale s’apprêtait (tant bien que mal) à accueillir les Jeux olympiques, la plus grande victoire s’est faite hors des terrains et à l’encontre de tous les pronostics.

Les Français ont répondu à l’appel : le taux de participation au deuxième tour s’est élevé à 66,7 %, le plus haut pourcentage depuis 1997.

Après une victoire du RN aux élections européennes, le président français, Emmanuel Macron, a surpris plus d’un observateur en décidant, le 9 juin dernier, de dissoudre l’Assemblée nationale et de convoquer des élections législatives. Alors que les sondages annonçaient une nouvelle victoire du parti d’extrême droite dirigé par Marine Le Pen et Jordan Bardella, une alliance inattendue des partis de gauche, le Nouveau Front Populaire (NFP), a raflé la mise en remportant 180 des 577 sièges de l’hémicycle.


Cette réussite est le fruit d’une mobilisation réelle des acteur.ices politiques et de la population pour faire obstacle à l’extrême droite, mettant de côté les querelles partisanes. Le NFP, tout comme le parti présidentiel, a incité ses électeur.ices à voter pour le ou la candidate ayant le plus de chances de vaincre le candidat du RN dans leurs circonscriptions respectives, peu importe son allégeance politique. Les Français ont répondu à l’appel : le taux de participation au deuxième tour s’est élevé à 66,7 %, le plus haut pourcentage depuis 1997.


Ce coup de théâtre surprenant et inespéré du front républicain mérite éloges et compliments, mais il dissimule aussi un portrait inquiétant : celui d’un parti xénophobe autrefois marginal qui ne cesse de prendre de l’ampleur. Le Rassemblement National arrive certes en 3e position des élections, mais avec 143 sièges. C’est seulement 37 sièges derrière le NFP, 20 derrière le parti d’Emmanuel Macron et surtout 54 de plus que les 89 sièges précédemment obtenus (qui représentaient déjà une percée record!). Les chiffres parlent d’eux-mêmes: le RN est plus que jamais un candidat à la présidence pour 2027.


Le succès du parti est dû en grande partie à un polissage médiatique finement orchestré par Marine Le Pen. Le parti ne veut plus quitter l’Union européenne, ne propose plus de rétablir la peine de mort, et se présente comme plus modéré. On peut penser à l’ascension fulgurante de Jordan Bardella : un homme blanc de 28 ans sans diplôme post-secondaire. Une coquille vide qui doit sa popularité à des TikToks dans lesquels il sourit et mange ce qu’on lui tend sans jamais parler de politique afin de gagner en capital de sympathie. Une marionnette mignonne qui ne pourrait pas faire de mal à une mouche… N’est-ce pas ?


Dans les faits, le Front National de Jean-Marie Le Pen n’est pas fondamentalement différent du Rassemblement National de sa fille. Un article du Monde réalisé lors des élections présidentielles de 2022 comparant les programmes du père en 2007 et ceux de sa fille en 2022 montre que, malgré quelques changements économiques, les politiques d’immigration sont sensiblement les mêmes. Le RN veut supprimer le droit du sol, garanti en France depuis 1515, qui attribue la citoyenneté française à toute personne née sur le territoire. Il souhaite inscrire dans la Constitution une mesure empêchant les binationaux d’accéder à certaines hautes fonctions stratégiques. Une interdiction inconstitutionnelle posant un « problème au principe d’égalité », comme le disait Anne-Charlène Bezzina, maîtresse de conférences en droit public à l’université de Rouen, dans une interview au Nouvel Obs.


La plus grande différence entre l’ancien Front National et le nouveau Rassemblement National est peut-être son électorat. Une enquête de TF1 démontre que le RN attire le vote des classes populaires (47 %) et des personnes déscolarisées (45 %). Son programme promet de redonner du pouvoir d’achat aux Français, or les économistes Raul Sampognaro et Elvire Guillaud ont analysé que les répercussions du programme du RN occasionneraient un gain de 1160 euros pour les plus riches et une perte de 210 euros pour les plus pauvres.


Le RN incite les plus pauvres à voter contre leurs intérêts tout en prétendant habilement le contraire. Il est l’alternative jamais essayée, la réponse simple aux problèmes complexes, bref, le parti du populisme et de la propagande. Le RN profite des personnes les plus vulnérables de la société française afin d’enrichir les élites. Un choix nourri par la désinformation, l’instrumentalisation de la peur et par un cadre républicain qui les a délaissées trop longtemps.


Les élections présidentielles auront lieu dans trois ans. Face à un président Macron dont la popularité ne cesse de baisser et à une union de la gauche qui enchaîne les querelles, la perspective d’une présidente Le Pen se rapproche dangereusement de la réalité. Le sauvetage in extremis du dernier mois pourrait vite laisser place au cynisme politique, qui fera dire à certains que X ou Y sur le bulletin de vote, c’est du pareil au même. On confond les adversaires politiques d’un même camp et les ennemis de la démocratie, comme s’ils étaient à mettre sur un pied d’égalité. Car si le respect du pluralisme politique est important, lutter contre l’extrême droite l’est tout autant.

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